Un changement de paradigme

Au-delà̀ de la transformation digitale dans son acception stricte, le monde de demain sera bouleversé par le développement des nanotechnologies, biotechnologies, l’intelligence artificielle et la robotique. Les changements sociétaux et sociologiques qui en découleront seront sans précédent, impactant la raison d’être même de l’entreprise. Les robots inévitablement remplaceront les humains dans la plupart des tâches, l’homme vivra et travaillera autrement, les lignes rouges éthiques bougeront fortement à l’horizon des deux prochaines décennies.

Si l’évolution à laquelle les entreprises établies vont devoir faire face ne se limite pas à la seule transformation digitale, elle est aujourd’hui la partie visible de l’iceberg. Le digital n’est plus un sujet de laboratoire mais une réalité que les entreprises établies doivent affronter pour s’adapter. Il change le comportement des clients et des salariés, transforme les chaînes de valeur et incite à repenser les business models. Le paradigme du digital est radicalement différent du paradigme de l’économie de consommation de masse.

 

Une nouvelle philosophie de l’entreprise

Le « je » de la multitude

Un élément fondamental de la révolution digitale est la transformation radicale du rapport de force entre entreprises et consommateurs. Dans le paradigme de marché de masse, les consommateurs se voient imposer des produits standardisés, aux mêmes conditions. La standardisation s’inscrit dans une logique d’asymptote : le produit tend vers une adéquation avec les besoins clients sans jamais l’atteindre.

Le paradigme digital conduit à construire des propositions de valeur autour d’un seul et même objectif : la qualité de l’expérience des consommateurs dans toute leur multitude. Les entreprises digitales maîtrisent cette multitude au travers de canaux digitaux et de multiples applications. Elles puisent ainsi leur force dans l’alliance qu’elles nouent avec la multitude.

L’ambition et l’importance du « pourquoi »

L’ambition des leaders du digital repousse toujours plus loin les limites. L’expression « sky is the limit » pâlit face au projet de conquête spatiale de SpaceX, qui ambitionne de coloniser les autres planètes(1). Calico (groupe Alphabet) promet d’offrir à l’humanité une longévité, voire de vaincre la mort.

Les leaders du digital s’investissent dans des missions qui comptent, ce qui leur permet d’attirer et fidéliser les talents passionnés et motivés.

À défaut de repousser les limites spatio-temporelles, les entreprises digitales offrent des propositions de valeur qui permettent de conquérir les consommateurs du monde entier. Les entreprises telles que Facebook, Uber, Airbnb, Twitter, Amazon, BlaBlaCar, etc., opèrent sur un marché planétaire et visent une clientèle mondiale. Les entreprises post-industrielles, quant à elles, s’attaquent à un marché géographique local, voire régional avant d’entreprendre un développement à l’international. Par construction, leurs produits et modèle d’affaires doivent être adaptés pour conquérir plus rapidement l’international.

À la recherche de l’hyper-croissance

La globalisation des marchés impose un impératif de croissance exponentielle aux sociétés de cette nouvelle ère. La capacité à accroître sa base client rapidement sans entraver la qualité de service nécessite une vitesse d’exécution remarquable (ex. : six villes couvertes par Uber en moins de deux mois). À l’inverse des sociétés post industrielles établies, les modèles opérationnels (organisations et processus) des entreprises digitales permettent une très grande réactivité et « scalabilité ». Les valorisations vertigineuses de start-up dépassant le milliard de dollars(2) deviennent presque banales. Les leaders du digital peuvent ainsi se permettre de privilégier la croissance à la rentabilité, en distribuant peu de dividendes et en réinvestissant sans cesse dans la croissance.

Les moyens de ses ambitions

L’ambition des entreprises nées à l’ère du digital fait parfois sourire les sceptiques. Cependant, force est de constater que Google a transformé l’accès de l’homme au savoir, Facebook a connecté plus d’un milliard d’individus, la voiture sans chauffeur roule en Californie, l’analyse de l’ADN d’un être humain est disponible pour quelques centaines de dollars… Les exemples de défis relevés avec succès sont nombreux. Aujourd’hui, ces leaders digitaux disposent de moyens financiers considérables pour investiguer de nouvelles frontières et bousculer un peu plus les chaînes de valeur traditionnelles. À elles seules, les GAFA(3) sont valorisées plus que toutes les entreprises du CAC 40. Pour les start-up en devenir, le crowdfunding et l’abondance des capitaux disponibles dans la Silicon Valley facilitent le financement de leur développement.

Les impacts du digital sur la chaîne de valeur des filières établies

 

Le digital est une notion protéiforme qui regroupe des concepts variés. Pour BearingPoint, le digital est avant tout un phénomène de transformation des entreprises dans leur ensemble, avec pour centre de gravité le client et pour levier la donnée et la technologie.

La digitalisation est une conversion en données numériques d’un message réalisée par une machine fonctionnant sur une logique binaire. Le digital est ainsi un vecteur de communication, permettant d’échanger des informations et des données, en s’affranchissant de la plupart des contraintes matérielles : quantité et distance.

La digitalisation a pour conséquence de révolutionner le rapport à l’information, son accès et son utilisation : accès à une information quasi infinie, disponibilité immédiate et totale, puissance de calcul, collaboration globalisée…

Les technologies digitales redistribuent la valeur le long de la chaîne entre les acteurs en place et les nouveaux entrants. Le digital permet, notamment par la donnée, l’entrée dans de nouveaux secteurs, rendant floues les frontières entre filières. Par ailleurs, le manque de qualité perçue par le consommateur de certains services actuels est une source d’inspiration pour les start-up qui désintermédient les grandes entreprises. Les évolutions technologiques ont pour conséquence de déformer, casser, redessiner les chaînes de valeur et leurs frontières ; aucun secteur n’est épargné.

Captation du client final

Les business models digitaux visent le plus souvent à s’interposer entre le fournisseur ou distributeur et le client. Les agrégateurs proposent les produits ou services de plusieurs entreprises. Leur proposition de valeur s’articule autour de l’idée de comparaison (Meilleurtaux.com, Booking.com, comparateurs des produits d’assurances, devis travaux, etc.) ou de variété avec une meilleure expérience client (Amazon), ou encore de nouveaux services, souvent dans une logique de gain de temps pour le client (Urbit, Datingassistant.com, KelDoc).

Elles préemptent la relation avec le client final, reléguant les entreprises établies au rang des fournisseurs. Elles acquièrent ainsi le pouvoir allant de la mise en avant des produits jusqu’à la capacité d’anticiper de manière prédictive les choix des consommateurs, allié à une maîtrise du marketing et de la micro-segmentation. Dans le cas où elles deviennent incontournables pour assurer la visibilité sur le marché, elles obtiennent également le pouvoir de négociation tarifaire (Booking.com).

Leur entrée sur la chaîne de valeur affecte en premier lieu les acteurs positionnés sur l’aval de la filière au contact du client, par le biais d’un canal supplémentaire dont ils n’ont pas la maîtrise.

L’intermédiation et l’agrégation

De nombreuses start-up digitales articulent leurs modèles d’affaires autour de l’intermédiation, en mettant en relation directe le client final avec les ressources dont il a besoin. À cet égard, le phénomène de crowdfunding, incarné par les plateformes comme Kickstarter, sonne le glas du recours aux acteurs financiers spécialisés : banques, fonds d’investissement, business angels, assureurs de crédits… Dans le secteur du tourisme, Airbnb met en relation des voyageurs avec des propriétaires de logement. Dans l’immobilier, PAP.com ou Leboncoin entament le chiffre d’affaires des agences immobilières. Plus loin encore, ces start-up mettent en relation les consommateurs entre eux, chacun pouvant devenir ainsi prestataire de service (ex. : BlaBlaCar, Zenpark).

Cette tendance s’appuie, sur le plan sociologique, sur l’émancipation du consommateur qui est armé d’une information abondante et d’outils digitaux qui l’assistent dans son quotidien. Le client devient moins captif et change facilement de prestataire (ex. : service de taxi).

L’impact au niveau d’une filière peut être variable : de la diminution du marché adressable pour les acteurs établis jusqu’à la destruction complète de la chaîne de valeur historique et la création d’un nouveau mode de consommation des services. Dans cette course à l’intermédiation et à l’agrégation, il n’existe que trois scénarios possibles : agréger des services, être agrégé ou disparaître.

Des stratégies « full stack »

Les entreprises digitales « full stack(4) », dont Google et Amazon sont les fers de lance, ne se contentent pas d’opérer sur un maillon de la chaîne de valeur de leur marché, ces entreprises cherchent à maîtriser globalement les produits et services auxquels leur cœur de métier contribue. En effet, l’obsession de la satisfaction du client passant par la qualité de service et la disponibilité « à la demande » poussent les acteurs du digital à maîtriser en interne l’ensemble des maillons de la chaine. Ils se diversifient par des acquisitions certes, mais le plus souvent par croissance organique en repensant à la mode digitale l’ensemble de la chaîne.

Pour accroître leur base client, les acteurs digitaux peuvent brutalement investir dans un domaine qui leur est a priori étranger. Google s’est lancé dans la construction d’un réseau de fibre, lassé d’attendre que les opérateurs traditionnels investissent. Netflix, pour répondre aux nouveaux modes de consommation, s’est affranchi des contraintes imposées par les studios de production en proposant ses propres séries(5).

L’impact sur la chaîne de valeur peut se manifester par l’intensification de la concurrence, la captation de la marge, voire par la remise en cause de positions établies.

La donnée, un cheval de Troie

La multitude des clients et des acteurs de l’écosystème fournit des quantités de données qui peuvent enrichir les données des autres filières pour créer un nouveau service. L’entreprise digitale peut alors soit le proposer à sa base de clients existants, soit de le vendre aux acteurs des autres filières (data as a service). La donnée est un actif qui permet d’investir une autre filière et d’y prendre les positions initiales.

Les impacts sur la chaîne de valeur peuvent être de deux ordres : les start-up peuvent soit proposer des services basés sur la donnée (c’est le lot de beaucoup de start-up technologiques sans base de clientèle significative propre), soit en allant plus loin et en préemptant la relation directe avec le client (ex : Nest dans l’énergie).

 

6 règles pour surfer sur la vague digitale

Pour BearingPoint, la transformation digitale touche l’entreprise dans son ensemble, avec pour centre de gravité le client et pour levier la donnée et la technologie. Cette transformation passe nécessairement par un changement de culture et d’état d’esprit.

Nous identifions six leviers indispensables et réalistes qui permettent d’accélérer la transformation digitale.

#1 Corriger la myopie stratégique

#2 Repenser la stratégie de partenariat et s’ouvrir à l’écosystème

#3 Revisiter les règles de la gestion de portefeuille d’activité et d’allocation des ressources

#4 Concevoir la transformation digitale comme un tout

#5 Valoriser la donnée, actif majeur de l’entreprise

#6 Changer de culture en apportant du sang neuf

Extrait du Livre Blanc « Le tsunami digital » publié par BearingPoint. Pour découvrir en détail ces 6 règles d’or, téléchargez la publication complète de Damien Palacci et Natalia Danon-Boileau en cliquant ici !

 

1 “The company was founded in 2002 to revolutionize space technology, with the ultimate goal of enabling people to live on other planets” (SpaceX website).

2 Dénommées Unicorn (voire Decacorn pour les start-up dépassant les 10 Md$ de valorisation).

3 Google, Apple, Facebook, Amazon.

4 Full stack : maîtrise complète d’une chaîne de valeur.

5 Les studios refusaient de diffuser les séries en un seul bloc, alors que les modes de consommation type binge watching (regarder plusieurs épisodes d’affilée) se développent.