Le projet Desertec, par son ampleur, sera l’un des grands chantiers mondiaux de la première moitié du XXIème siècle. Une véritable révolution solaire, que nous appelons du Tournesol, est en préparation. Le projet est ambitieux et les risques d’échecs nombreux. Quels sont les enjeux de ce pari inter-continental ? 

Les grands projets solaires (Desertec, Medgrid) constituent les chantiers majeurs de la première moitié du XXème siècle. Leur ampleur (des centaines de milliards d’euros d’investissement, un plan de développement de près d’un demi-siècle) les rend comparables aux grands chantiers des canaux de Suez ou de Panama au tournant des XIXème et XXème siècle. Tout comme dans ces deux précédentes illustrations, l’impact dépasse le chantier en lui-même, aussi colossal fût-il.

Comment faire en sorte que ces projets ne se transforment pas en fausse bonne idée ? Comment éviter qu’ils ne débouchent sur un projet retardé 50 ans avant de voir le jour (certains fameux tunnels sous-marins) ou n’entraînent des catastrophes régionales (l’irrigation malheureuse de certaines mers intérieures)… ?

Le jasmin fut à l’honneur en 2011 lors d’un certain printemps. Et si la révolution suivante était celle d’un bel été du tournesol ? Le mot « tournesol » provient de l’italien girasole, « qui tourne avec le soleil ». Son nom scientifique est Helianthus Annuus. Plusieurs expressions vernaculaires sont utilisées : grand-soleil, soleil des jardins, soleil commun. Il est considéré comme la plante la plus intéressante en termes environnementaux (en tant qu’agrocarburant : pas de rejet de soufre, peu de dérivés azotés, faible quantité de CO2 rejeté en cas de combustion, etc.). C’est également une plante dépolluante. Fondé sur l’énergie solaire, le projet Desertec est au cœur de cette révolution.

La Méditerranée, deux rives aux problématiques complémentaires

La région méditerranéenne représente deux rives aux problématiques complémentaires (sur le plan de la démographie, de la croissance économique, des ressources en énergie, de la technologie…) : déclin démographique et vieillissement de sa population pour le Vieux continent versus croissance démographique très forte et population très jeune pour la région MENA (Middle East and North Africa. Ce terme comprend généralement les pays suivants : Algérie, Arabie saoudite, Bahreïn, Djibouti, Égypte, Émirats arabes unis, Éthiopie, Iran, Irak, Israël, Jordanie, Koweït, Liban, Libye, Mauritanie, Maroc, Oman, Qatar, Soudan, Syrie, Territoires palestiniens, Tunisie et Yémen) ; les taux de croissance économique pour les deux régions évoluent en sens contraire (ils sont relativement bas pour l’Europe alors qu’ils sont très élevés pour MENA) ; l’absence de ressources énergétiques en Europe en comparaison à la surabondance de ces ressources en MENA, alliée à la présence d’un grand savoir-faire technologique dans le domaine des énergies renouvelables en Europe, fait qu’une collaboration entre les 2 régions a de plus en plus de sens…

Plusieurs initiatives ont été menées par l’Europe depuis 1995 pour concrétiser ce rapprochement : la création du processus de Barcelone, lancé par Jacques Chirac, vise à établir les bases du dialogue entre l’Union européenne et les pays de la rive sud de la Méditerranée pour aboutir à un partenariat euro-méditerranéen dans le domaine de la sécurité, du développement et de la culture. La mise en place de l’Union Pour la Méditerranée (UPM), fondée à l’initiative de Nicolas Sarkozy en juillet 2008, destinée à renforcer les liens entre l’Europe et les pays riverains de la Méditerranée… Desertec constitue une autre initiative ayant vocation à rapprocher ces deux régions autour d’un projet d’énergie solaire.

Desertec s’inscrit dans le développement en plein essor des projets solaires


Le développement de l’énergie solaire doit son existence principalement aux projets de conquête spatiale pendant les années 50. L’utilisation a ensuite évolué pour inclure des applications terrestres mais avec un développement lent et des coûts élevés. Néanmoins, les énergies renouvelables reconnaissent un nouvel essor ces dernières années grâce à la crainte de nouveaux chocs pétroliers, la hausse des prix de l’énergie et la préoccupation de plus en plus importante des problèmes environnementaux. L’IEA prévoit un investissement quatre fois plus important dans le solaire d’ici 2020.

Les technologies de production de l’énergie solaire sont variées, les deux principales sont le solaire thermodynamique et le photovoltaïque. La course entre le solaire thermodynamique et le photovoltaïque est rude (les niveaux de maturités des technologies, les coûts et modes de fonctionnement diffèrent…).

Les projets de production d’énergie solaire se développent de plus en plus. Aujourd’hui, la puissance totale opérationnelle est d’environ 13 GW et la puissance en projet dépasse les 30 GW. La capacité totale de puissance générée par Desertec est encore en évaluation chez la Dii (Desertec industrial initiative), toutefois on estime que celle-ci tendrait à approcher les 200 GW. Desertec a choisi de considérer les deux types de technologies de manière à sélectionner celle qui présentera à long terme le meilleur profil coût-bénéfice.

En moins de 6 heures, les zones désertiques du globe recevraient du soleil la quantité d’énergie que l’humanité consomme en une année

L’idée du projet Desertec est née au sein d’un réseau mondial de scientifiques, de responsables et d’entrepreneurs. Une des études du Centre allemand de recherche aérospatiale (DLR) a permis de conclure qu’en moins de 6 heures, les zones désertiques du globe reçoivent du soleil la quantité d’énergie que l’humanité consomme en une année. Il suffirait d’installer des collecteurs solaires sur moins de 0,3% des surfaces désertiques de la région sud méditerranéenne pour produire suffisamment d’électricité pour répondre à l’augmentation des besoins de ces pays et de l’Europe. L’électricité d’origine solaire et éolienne pourrait être distribuée au moyen de lignes en courant continu haute tension (CCHT) et acheminée vers l’Europe.

La fondation Desertec s’est lancé le défi d’exploiter cette énergie inépuisable à un coût raisonnable, dans le cadre international critique de raréfaction des réserves énergétiques fossiles, d’accroissement de la demande énergétique et de réchauffement climatique. Il est prévu que l’électricité ainsi générée en Afrique commence à alimenter l’Europe en 2015. Au final, ce projet devrait permettre de couvrir 15% des besoins énergétiques européens d’ici à 2050.

Pour l’Union Européenne, Desertec pourrait apporter un complément aux ressources européennes en EnR ainsi qu’un moyen d’accélérer le processus de réduction des émissions européennes de CO₂ et d’augmenter la sécurité d’approvisionnement énergétique. Pour les pays du MENA, ce projet pourrait apporter une production d’énergie propre, des emplois, des sources de revenus économiques, une amélioration des infrastructures et des possibilités de dessalement d’eau de mer.

Le solaire a beaucoup d’avantages, mais dispose de quelques difficultés notables : son caractère intermittent, lié aux heures d’ensoleillement, ce qui impose des sources complémentaires d’énergie et du stockage ; et surtout son coût, qui reste élevé : comment donc financer un projet de plusieurs milliards d’euros d’ici 2050 (400 milliards d’euros d’après une étude du DLR datant de 2005, mais la Dii est en ce moment même en train de recalculer ces chiffres, le montant total du projet est encore inconnu à ce jour).

Une analyse des facteurs clés de succès d’un tel projet s’impose.

Cet article est le premier d’une série de 3 articles sur le projet Desertec. Le prochain article, intitulé “L’énergie solaire au cœur du débat géostratégique”, paraîtra la semaine prochaine.

Auteurs :
Abir Haddoud, Analyste
Amira Khediri, Senior Consultante
Prisca Bala, Consultante