Usager, Client, Citoyen, Assuré, Ressortissant, Abonné, Contribuable… voilà autant de casquettes que nous revêtons vis-à-vis de nos interlocuteurs, et ce, souvent au cours d’une même journée. Dès lors, nos attentes sont-elles les mêmes selon que l’on échange avec son opérateur téléphonique, sa préfecture, sa banque ou son organisme de protection sociale ? Quel niveau de services (en termes de canaux d’accès, de suivi des dossiers, etc.) attendons-nous des services publics en termes de « relation client » ? Comment les services publics peuvent-ils répondre à ces attentes ?

Les enjeux sont bien entendu incomparables entre une simple modification de son forfait téléphonique et la liquidation de sa retraite ou une demande de renouvellement de passeport. Les services publics ont la lourde responsabilité de devoir accompagner et répondre à nos demandes dans des moments de vie clés et parfois difficiles.

Cependant, habitués que nous sommes à avoir des réponses rapides de nos entreprises fournisseurs (livraison d’un article commandé sur Amazon en 24 heures par exemple), est-il concevable d’avoir à appeler 3 ou 4 fois une administration pendant plusieurs jours pour obtenir une réponse sur l’avancement de notre dossier ? Certainement non ! Car nous ne différencions plus l’expérience « client » en fonction du service auquel nous nous adressons.

Voilà bien l’enjeu pour le service public aujourd’hui : répondre aux attentes des citoyens / usagers habitués à certains standards en termes de relations clients tout en tenant compte de ce qui fait la spécificité de leur action.

La relation digitale largement développée par les grandes entreprises fixe aujourd’hui un niveau de référence en termes d’expérience digitale rendant obsolète et archaïque tout service numérique qui n’utiliserait pas ces pratiques plébiscitées. La question que doivent se poser les pouvoirs publics aujourd’hui ne réside donc pas dans la sémantique à employer concernant ses usagers ou « clients », mais bien de savoir comment recentrer son service autour de la personne face à un monde digital dont elle comparera les télé-services entre eux quel que soit l’univers de sa demande.  Ainsi tout acteur de la sphère publique ou privée se doit d’être agile en toute circonstance afin de fournir une réponse adéquate et de plus en plus personnalisée.

Erik Campanini et Kyle Hutchens ont démontré dans leur ouvrage « Le Darwinisme à l’ère du client », qu’il est possible de comparer les marchés à des territoires où les processus Darwiniens sont maîtres : seuls ceux qui savent s’adapter sont à même de survivre. Les auteurs ont identifié quatre modèles clés présentant sous un jour nouveau la gestion des relations clients, leurs conclusions sont riches d’enseignements pour nos services publics. Le service public, par essence, n’a pas à progresser pour survivre mais son évolution est nécessaire pour offrir un service optimal à la hauteur des attentes d’un monde digital faisant désormais partie de notre vie quotidienne.

Développer la « symbiose » pour libérer le potentiel créatif 

Les relations interpersonnelles et les façons de travailler ont été bouleversées par l’avènement d’Internet. L’innovation provient non seulement des nouvelles technologies mais elle surgit également du croisement d’idées neuves et de leur multiplicité. Ainsi, même des acteurs provenant d’horizons a priori très différents sont capables de créer des synergies insoupçonnées.

L’Open Data est un parfait exemple de ce bouleversement. Keolis, spécialiste du transport public, l’utilise à son avantage depuis plusieurs années. En effet, il permet par exemple aux collectivités locales, ou encore à la SNCF, d’accéder à ses données exploitables en temps réel pour développer des solutions de dématérialisation et de transport intermodal : itinéraire mêlant bus, tramway, vélo en libre-service, location, auto-partage…

Ainsi, ancrer le numérique au cœur de l’innovation publique semble indispensable car c’est un fabuleux accélérateur d’échanges,  il permet le décloisonnement des départements et le mélange d’idées. Cela peut également s’appuyer sur une politique RH plus propice aux échanges, de nouveaux postes pouvant être créés, tels des chefs de projet numérique ayant une hauteur de vue suffisante pour identifier des synergies entre un certain nombre de projets en cours.

Ainsi, ancrer le numérique au cœur de l’innovation publique semble indispensable car c’est un fabuleux accélérateur d’échanges,  il permet le décloisonnement des départements et le mélange d’idées. Cela peut également s’appuyer sur une politique RH plus propice aux échanges, de nouveaux postes pouvant être créés, tels des chefs de projet numérique ayant une hauteur de vue suffisante pour identifier des synergies entre un certain nombre de projets en cours.

Aiguiser son « instinct »

Savoir anticiper et parer correctement aux évolutions futures se travaille et résulte de plusieurs facteurs. L’analyse des données en est un, celle-ci permet d’aider à la décision de manière objective et de prendre en compte des paramètres jusqu’alors inexploités. Le service public doit se donner les moyens d’anticiper toute évolution et de piloter plus finement chacun de ses services, cela passe donc par la création des conditions d’expression d’un instinct alerte et pertinent.

La création du poste clé d’administrateur général des données (AGD) démontre ce besoin d’analyse du nombre exponentiel de données générées, ceci afin de pouvoir intégrer pleinement une dimension de pilotage à chaque niveau décisionnaire. Le but étant que tout changement de conduite nécessaire pour réagir à un évènement impromptu puisse se réaliser de manière « quasi-instinctive ».

Néanmoins, l’enjeu reste bien d’accompagner la création de ce poste par une volonté d’utilisation et de contrôle des données qui doit se ressentir lors du développement de n’importe quel projet public. Cela doit devenir une composante à part entière de la gestion de projet au sein de la fonction publique.

Développer les capacités de « migration » pour explorer de nouvelles voies

Le numérique permet l’accès à pléthore d’informations sur les initiatives réalisées aux quatre coins du globe. Les pouvoirs politiques doivent profiter d’une telle opportunité et être ouverts à toute nouvelle proposition, qu’elle provienne du monde privé ou bien de sphères publiques étrangères. Adapter intelligemment une politique mature paraît effectivement bien plus pertinent qu’essayer de créer ex nihilo en restant enfermés dans ses propres carcans.

A titre d’exemple, l’Estonie a été pionnière dans la mise en place d’un système d’e-prescriptions consistant en la dématérialisation des échanges entre praticiens, pharmaciens et patients. Fort d’un taux d’e-prescriptions dépassant aujourd’hui 90%, nombreux sont les pays à avoir lancé ce service à l’intérieur de leurs frontières. Celui-ci permettant notamment d’améliorer la qualité de service et de suivi des patients.

 L’instauration de procédures de « veille » apparaît donc, à terme, comme un moyen pour tirer parti des innovations réalisées dans d’autres univers que celui de son propre service, qu’ils soient géographiques, fonctionnelles ou structurels.

Tirer parti de la « sélection naturelle »

Afin d’obtenir les résultats les plus probants, il faut considérer « l’erreur » comme un jalon indispensable à la réussite d’un projet. La révolution digitale, de par l’évolution des moyens de communications et de pilotage qu’elle implique, a permis de travailler efficacement sur plusieurs idées en même temps. Seules celles qui auront pu être éprouvées et s’adapter aux futurs utilisateurs pourront être viables.

Les expérimentations et l’attrait des usagers au cours du développement des projets indiqueront rapidement quelles sont les orientations à prendre et mobiliseront plus facilement les personnes concernées. Les jeux « Mmowgli » développés par la marine nationale américaine vont dans ce sens, ceux-ci utilisent une plateforme numérique participative où des participants peuvent échanger leurs idées. Une sélection naturelle s’opère tout au long de ces programmes pour aboutir vers une solution robuste à laquelle la majorité des participants adhère.

L’enjeu principal est bien de se servir de l’évolution des technologies comme d’un levier pour repenser l’initiative publique. Il s’agit d’insuffler un renouveau entrepreneurial par le foisonnement d’idées, plus ou moins abouties, afin que les services puissent être l’objet de l’adhésion d’une grande de la majorité des usagers.

 Les exemples évoqués ne sont qu’une infime partie des très nombreuses initiatives qui démontrent que la transformation digitale, au service des usagers, dans le service public n’est pas une utopie, cette révolution est déjà en marche ! Certains projets sont menés d’une main de maître et n’ont parfois rien à envier aux acteurs privés, il appartient désormais à l’ensemble des acteurs de la sphère publique de suivre ces exemples et de considérer le numérique comme un levier d’efficience opérationnelle et de reconquête de la satisfaction.

Pour délivrer un service public de qualité, les services digitaux sont une opportunité pour réallouer les ressources sur des activités de cœur de métier. Chaque minute gagnée par l’efficacité des services digitaux est une minute à investir dans la relation avec ceux qui en ont le plus besoin.

Cette ambition sera portée dans les prochaines années par de grands projets d’avenir qui faciliteront les démarches et les échanges avec la sphère publique. Disposer d’un système d’authentification unique pour les démarches administratives en ligne est l’ambition du projet France Connect. Sa vocation est de simplifier la relation des usagers avec l’ensemble des administrations au travers de ce système universel.

Nous pouvons désormais rêver d’un monde sans crainte de la phobie administrative…

Auteurs:
Antoine Andrieux, Manager
Mathieu Bergine, Consultant