Le digital au service du développement : perspectives pour les bailleurs de fonds en Afrique (1/2)

Comment les IFI (Institutions Financières Internationales), bailleurs de fonds, agences onusiennes, organisations publiques nationales, fondations privées, et autres acteurs de l’aide au développement, peuvent-ils tirer le meilleur parti du numérique dans leur manière d’accompagner les pays africains ? Voici quelques pistes de réponses tirées de notre livre blanc, Bailleurs et digital en Afrique.

Partie 1 - Le potentiel du numérique pour l’atteinte des Objectifs de Développement Durable en Afrique

Une approche par les ODD, qui fournissent un cadre de référence à de nombreux bailleurs pour l’orientation et l’évaluation de leurs actions au service du développement, permet de mettre en lumière la diversité et le caractère très prometteur des applications possibles du digital, en particulier dans des secteurs clés et/ou des pays prioritaires sur le continent africain.

L’Afrique connaît un essor fulgurant, mais très disparate, des technologies de l’information et de la communication (TIC)

Sur 1,3 milliard d’habitants, il y a aujourd'hui en Afrique plus de 453 millions d’internautes et un taux de pénétration d’Internet de 34%[1]. En 2019, en Afrique subsaharienne, 477 millions de personnes possédaient un abonnement mobile, soit un taux de pénétration de 45%, qui devrait s’établir à 50% en 2025 avec 614 millions d’abonnés[2]. Le continent est en train de connaître ce que l’on pourrait appeler un « rattrapage numérique » : l’Afrique a le plus fort taux de croissance d’utilisateurs d’internet au monde, avec une progression annuelle pouvant atteindre 20%, soit 73 millions de nouveaux utilisateurs chaque année[3]. L’usage du numérique commence également à se structurer : une étude menée communément par les bailleurs de fonds australien Australian Aid et britannique UK Aid recensait 442 hubs technologiques sur le territoire africain, dont 47% d’incubateurs[4]. Néanmoins, à eux seuls, cinq pays africains rassemblent 45% de ces centres technologiques (Afrique du Sud, Nigéria, Egypte, Kenya et Maroc). Alors que la région nord-africaine et l’Afrique australe enregistrent un taux moyen d’accès à Internet d’environ 50%, cette proportion n’est que de 12% dans le centre de l’Afrique. Au niveau des régions, des pays et à l’intérieur même des pays africains, on peut véritablement parler de « fracture numérique » [5].

Le numérique recèle un immense potentiel pour atteindre les objectifs de développement durable (ODD) qui correspondent particulièrement aux défis africains :

Croissance économique et création d’emplois formels :

Selon la Banque Mondiale, qui n’hésite pas à parler de « dividende digital », une augmentation de 10% du nombre de connexions à Internet haut débit fait progresser la croissance de 1,4% en moyenne[6]. Plus de 400 millions d’Africains sont âgés de 15 à 35 ans et leur taux de chômage est en moyenne deux fois supérieur à celui des plus de 35 ans[7]. Le numérique peut aider à accroître les richesses nationales et insérer les jeunes africains sur le marché de l’emploi formel. Par exemple, en quatre ans d’activité, le CTIC de Dakar (premier incubateur et accélérateur lancé en Afrique de l’Ouest pour les entrepreneurs des TIC et des technologies mobiles) avait créé à lui seul plus de 200 emplois[8].

De manière générale, de nombreux pays d’Afrique connaissent un phénomène de « leapfrog » ou saut technologique : lors d’une croissance de rattrapage, ils passent au-delà de technologies intermédiaires pour aller d’un modèle basé sur le secteur primaire à un modèle basé sur les services, notamment ceux offerts par les nouvelles technologies, qui sont fortement créateurs d’emplois[9]. La valeur ajoutée des services représente déjà plus de 50% du PIB de l’Afrique subsaharienne[10]. C’est ainsi que Proparco, filiale de l’Agence Française de Développement (AFD), s’est investie en 2017 dans le soutien de la startup Afrimarket. Cette plateforme e-commerce fondée en 2013 propose notamment un service de « cash to goods » : elle permet aux membres de la diaspora de commander et faire livrer à leurs proches restés au pays des biens de consommation courante, distribués localement, en substitut au transfert d’argent (onéreux et difficilement traçable jusqu’au produit acheté).

Eradiquer la faim : le numérique dans le secteur primaire

L’agriculture, la pêche et l’exploitation forestière nourrissent le continent africain par les denrées qu’elles produisent, mais aussi parce qu’elles représentent à elles seules la majorité des emplois du continent et environ 16% du PIB de l’Afrique subsaharienne[11]. Afin d’augmenter la quantité et la qualité des productions, en particulier pour les petits agriculteurs familiaux, qui gèrent près de 75% des terres agricoles mondiales et dont beaucoup utilisent des méthodes traditionnelles[12], le numérique peut permettre de :

  • mettre en contact différents maillons des chaînes de valeur agricoles (fournisseurs d’intrants et de matériel agricole, producteurs, collecteurs, transformateurs, distributeurs, consommateurs finaux…) ;
  • affiner et diffuser plus largement des prévisions météorologiques à l’ère du changement climatique, qui frappe particulièrement l’Afrique ;
  • enseigner de bonnes pratiques, orienter les choix vers les variétés les plus adaptées et optimiser les modes d’entretien des parcelles ;
  • prévenir les maladies et ravageurs transfrontaliers…

Illustration : rizières à Madagascar. La culture du riz, comme de nombreuses céréales, est un exemple des cultures vivrières africaines pour lesquelles l’utilisation de technologies numériques présente un fort potentiel d’amélioration de la productivité et de hausse du niveau de vie des petits exploitants familiaux.

Réduction des inégalités de genre

Les femmes africaines peuvent être tout à la fois bénéficiaires et actrices des dynamiques digitales africaines. Tout d’abord, l’Afrique est le continent qui compte la plus forte concentration de femmes entrepreneures au monde[13], et le numérique est un excellent moyen de les accompagner. La Bill and Melinda Gates Foundation a investi massivement dans le DFS Lab[14], un accélérateur qui a accompagné des startups telles que Cherehani Africa : celle-ci propose une application sur mobile pour accorder facilement des crédits aux femmes possédant des micro-entreprises.

De plus, les femmes peuvent œuvrer elles-mêmes à cette transformation en cours. Au Sénégal, la JIFTIC (Journée Internationale des Femmes dans les TIC) vise à favoriser l’autonomisation de plus de 60 000 jeunes femmes via les technologies de l’information et de la communication. En Côte d’Ivoire, le programme « She Is The Code » vise à initier les femmes ivoiriennes au code informatique et les encourage à devenir entrepreneures.

Santé et bien-être

Le numérique peut agir sur l’actuelle pénurie de professionnels de la santé en Afrique. Il y a potentiellement plus de 50 000 patients pour chaque médecin au Niger, contre environ 300 en France[15]. Tout d’abord, le numérique permet de vulgariser l’information médicale de base et de diminuer les distances, délais et prix nécessaires pour consulter. L’application Hello Doctor, fondée en 2010 en Afrique du Sud et aujourd’hui présente dans six pays d’Afrique (le Kenya, la Côte d’Ivoire, le Ghana, le Swaziland et la Zambie), permet non seulement d’obtenir des informations médicales sur son smartphone, mais également de converser avec un médecin.

Dans certains cas, les nouvelles technologies offrent même la possibilité de réaliser de premiers diagnostics. C’est le cas de Vula, créée en 2014 en Afrique du Sud et qui permet, sur la base de photographies de l’œil du patient, de détecter certaines pathologies ophtalmologiques. Enfin, la mise en place d’algorithmes et l’analyse de données permettent parfois de prédire des épidémies : HealthMap, une société spécialisée en big data de santé, a été en mesure de détecter l’épidémie d’Ebola en 2014 avant les annonces officielles des autorités internationales, en se basant sur les signaux observables sur les sites internet et réseaux sociaux.

Energies renouvelables et à coût abordable

Le développement d’initiatives de paiement mobile pour de l’énergie en Afrique[16], notamment pour l’achat de mini kits solaires (comprenant souvent un petit panneau solaire, une ou plusieurs lampes, de quoi charger un appareil électronique, et parfois même une télévision) contribue à faciliter l’accès à l’énergie pour les régions délaissées des réseaux d’électricité nationaux[17], mais également à développer une énergie verte et un système de paiement sans intermédiaire. Ainsi, la start-up kenyane M-Kopa a déjà équipé plus de 600 000 foyers dans toute l’Afrique de l’Est.

Des villes durables et intelligentes grâce à l’optimisation des transports 

En 2017, la population urbaine s’élevait à 472 millions d’habitants sur le continent africain. Ce chiffre va doubler dans les vingt-cinq prochaines années, pour atteindre un milliard de citadins sur le continent[18]. Accra Mobility, un projet financé par l’AFD au Ghana, vise à cartographier les réseaux de transports informels dans la capitale du pays en récoltant les données des utilisateurs des « tro-tros »[19]. Cela permet d’optimiser le réseau de transport de la ville et d’en réduire l’empreinte énergétique. Les données récoltées et traitées ont été mises à disposition des utilisateurs et ont fait l’objet d’un hackathon en 2016.

Auteur : 

  • Florence Rieux , Consultante au sein de l'équipe Afrique et Développement International

 

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