La réussite d’un projet de CSP[1]  peut-il se résumer à notre capacité à créer une entreprise apprenante ?

Renforcement du télétravail, épreuve du confinement… l’éloignement physique des collaborateurs vis-à-vis de leurs équipes et de l’entreprise est une réalité de l’environnement de travail d’un grand nombre d’entre eux depuis mars 2020. Une expérience jugée souvent positive, ou tout du moins prometteuse. Patricia Cazier, manager de transition, spécialisée dans la mise en place de CSP et le management d’équipes comptables, nous fait part de son retour d’expériences : les équipes comptables n’ont habituellement pas recours au télétravail. Patricia Cazier a cependant pu constater que cela avait fonctionné beaucoup mieux qu’on ne pouvait s’y attendre, notamment avec les comptables les plus autonomes, ayant un certain niveau de séniorité et lorsque la continuité du lien, même à distance, était assurée.

Pour créer des CSP, on fonctionne souvent par transfert de populations pour réunir, en un même lieu, une population comptable auparavant disséminée entre les entités opérationnelles de l’entreprise : il s’agit d’un investissement projet conséquent ayant souvent un impact social et humain significatif dans la mesure où les comptables décident rarement de rejoindre le CSP. On pouvait donc s’attendre à ce que la pertinence des projets de CSP soit remise en cause au profit de « CSP virtuels ». Or, contre toutes attentes, les projets de CSP continuent de se multiplier.

Le CSP virtuel pourrait-il fonctionner grâce au socle commun qu’offre, à défaut d’un lieu commun, la digitalisation et les outils informatiques ? Les outils embarqués dans ce type de projets (e-procument, ERP, outil de ticketing etc.) permettent d’homogénéiser les pratiques, de fluidifier la communication et de tendre vers des process LEAN. [HS2] Ils créent, de facto, une plateforme virtuelle sur laquelle se structurent les échanges et le travail des collaborateurs : dès lors, quelle importance que les collaborateurs soient situés dans le même open-space ou sur deux sites différents si leurs échanges se traduisent par des flux digitaux ? Il est d’ailleurs fort probable qu’ils préfèrent échanger par mails pour ne pas déranger leurs voisins s’ils sont dans le même open-space.

Par ailleurs, pourrait-on, a minima, considérer qu’un mode hybride, avec une partie seulement des collaborateurs à distance, est possible ? Le CSP virtuel permettrait alors d’apporter une réponse au dilemme auquel sont confrontées les directions financières qui doivent laisser partir des collaborateurs qui constituent la mémoire vive de l’entreprise et dont les compétences et le savoir-faire sont unanimement reconnus. Plutôt que de sacrifier un capital humain au nom d’une promesse d’efficacité, il pourrait être utile d’intégrer, à distance, ces collaborateurs souvent facteur clé de succès du programme de transformation.

Si les directeurs de CSP que nous avons interrogés nous ont tous parlé des limites de la mutualisation, aucun ne remet en cause la nécessité d’un regroupement physique des collaborateurs : l’efficacité est permise par la cohabitation des collaborateurs, comprise comme un tout en mouvement permanent qui évolue pour toujours rester adapté à son environnement. Pierre Vissière, Directeur des services partagés d’Eramet en est convaincu et l’a maintes fois constaté : la montée en compétence se fait de façon quasi mécanique par l’échange ; les collaborateurs partagent les bonnes pratiques, s’entraident en cas de difficulté et ne restent pas bloqués sur une problématique. Ceci est d’autant plus vrai que les collaborateurs échappent à la mainmise des sites qui décident des priorités des collaborateurs sans s’assurer qu’elles convergent avec celles des fonctions supports : sur les sites opérationnels, les comptables ont vite fait de répondre aux urgences et peuvent devenir support IT si les circonstances le demandent. A l’inverse, certains comptables peuvent avoir la tentation d’agir en électron libre lorsque la distance avec leur management fonctionnel est importante. Tout ceci est cause d’inefficacité générale de la fonction. Pierre Vissière souligne que les compétences et les ressources isolées ne sont pas indispensables. La capacité à créer et mettre une équipe en mouvement reste donc l’enjeu principal pour ce type de projet. La valeur ajoutée du service proposé par les CSP démontre d’autant plus la puissance du collectif qu’elle se conjugue entre les différentes fonctions supports : comptabilité, contrôle de gestion, paye, juridique etc. C’est en associant les compétences que l’on obtient un service de grande qualité. Pierre Vissière donne l’exemple de la gestion de flotte des véhicules de société qui gagne à être gérée en synergie avec la comptabilité fournisseurs et la paye.

Avec le concept « d’entreprise apprenante », Peter Senge avait déjà mis en évidence dans les années 90 cette capacité du collectif à créer de la valeur et de l’expertise.

Patricia Cazier nous livre à ce titre l’ambition qui l’anime chaque fois qu’elle doit mettre l’écosystème CSP en mouvement : d’abord et avant tout donner la parole à chacun, ce qui remet en cause la notion de hiérarchie, très présente dans les services comptables pour établir une équipe aux relations plus linéaires. Il faut pouvoir créer un climat de confiance pour que chacun ose exprimer ses idées, fasse part de ses difficultés, pour que la culture du partage prenne forme... et le plaisir de travailler ensemble aussi, souligne Patricia. Changer ou créer une culture d’entreprise est un travail de longue haleine où le rôle du manager est essentiel. Promouvoir la collaboration est sans aucun doute un art et savoir l’encourager un défi quotidien. Pierre Vissière souligne en ce sens que le rôle du manager est de préserver l’équipe : l’organisation de comités pour canaliser la voix du client en est un exemple. Pierre nous rappelle que les relations avec les clients peuvent être très conflictuelles au lancement d’un CSP : la reprise des comptabilités locales va souvent de pair avec la reprise des dysfonctionnements, bien vite oubliés par ces nouveaux clients internes qui sont les premiers à se plaindre des erreurs dont ils sont à l’origine et qui n’ont pas encore pu être réglées par le CSP. Mieux vaut ne pas être seul face à des clients mécontents !

Les fonctions supports ne peuvent s’imaginer morcelées, leur efficacité tient en partie à la cohésion de l’équipe. Comme quoi, l’union fait toujours la force.

[1] CSP : Centre de Services Partagés
[2] Le LEAN : un système visant à générer la Valeur Ajoutée maximale au moindre coût et au plus vite, ceci en employant les ressources juste nécessaires pour fournir aux clients ce qui fait de la valeur à leurs yeux », Christian Hohmann, Senior Manager Bearingpoint dans LEAN Management.


Auteure : Coralie Lancerotto, Senior Manager

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