A la recherche d’une politique publique de formation professionnelle plus efficiente Suite à de longs débats, les représentants des salariés et des employeurs ont abouti, dans la nuit du 13 au 14 décembre 2013, à un consensus sur un projet d’accord portant sur la formation professionnelle. Ce projet, salué par le Gouvernement comme constituant un accord « porteur d’avenir », constitue la base du prochain projet de loi qui sera présenté en Conseil des Ministres le 22 janvier 2014 et débattu au Parlement courant février. Cet accord porte sur plusieurs mesures qui orienteront la future loi encadrant la formation professionnelle et son financement. En voici les principaux éléments :

Le grand départ : Adieu le « DIF », bonjour le « CPF » !

 

Le constat est sévère : depuis le création du « Droit Individuel à la formation » (DIF), il y a plus de neuf ans, 47% des salariés n’ont jamais utilisé leur droit à la formation.

Partant de ce constat d’échec, l’accord prévoit que chaque salarié et demandeur d’emploi disposera désormais d’un « compte personnel de formation » (CPF) qui les suivra tout au long de leur vie professionnelle en lieu et place du DIF.

Ce compte, qui pourra être ouvert dès l’âge de 16 ans, sera crédité de 20 heures par an pour tous les salariés. Un plafond est fixé à 150 heures, soit 30 de plus que pour le DIF. Une fois les 150 heures atteintes, des abondements supplémentaires seront possibles.

Il pourrait également, à terme, être alimenté par le futur « compte personnel de prévention de la pénibilité ».

Afin de rendre plus autonome les salariés dans leur parcours de formation, l’accord prévoit que le « compte personnel de formation » pourra, selon certaines modalités, être utilisé sans demande auprès de l’employeur. Tel sera le cas pour les formations qui seront réalisées en dehors du temps de travail des salariés.

Cependant, les partenaires sociaux précisent que seules les « formations qualifiantes correspondant aux besoins de l’économie prévisible à court et moyen terme et favorisant la sécurisation des parcours professionnels des salariés » pourront être financées par le « compte personnel de formation ». De nombreux acteurs et observateurs du monde de la formation professionnelle ne manqueront pas d’être attentifs aux critères qui seront proposés pour déterminer le périmètre exact des formations concernées.

L’accord prévoit également que, dans la cas d’un licenciement pour faute lourde, la totalité des heures de formation cumulées sur le « compte personnel de formation » durant l’exécution de ce contrat de travail seront déduites du compte. Une telle mesure semble imposer aux salariés une « double peine » (la perte des heures de formation épargnées s’ajoutant au licenciement). La question de la légitimité et de la proportionnalité d’une telle sanction sera très certainement sujet à discussion.

Enfin, la mise en œuvre du « compte personnel de formation » emporte la création d’un « passeport orientation formation » propre à chaque individu.

 

L’El Dorado en vue, mais pas pour tout le monde…

 

  • Un financement simplifié et étendu, au détriment des petites entreprises ?

Pour rappel, jusqu’à aujourd’hui, le financement de la formation professionnelle était supporté par quatre sources de revenus que sont les entreprises, l’Etat, les Régions et Pôle emploi. Les entreprises étant les plus importantes contributrices.

La contribution des entreprises était déterminée par la loi qui prévoyait, en fonction des effectifs, une contribution qui allait de 0,55 % à 1,6 % de la masse salariale (article 18 de la loi  LOI n° 2004-391 du 4 mai 2004 relative à la formation professionnelle tout au long de la vie et au dialogue social).

Le nouvel accord fait table rase de ce système de calcul et propose la mise en place d’une contribution unique et obligatoire dont le taux varie de 0,55 % (pour les entreprises de moins de 10 salariés) à 1 % (pour les entreprises de plus de 50 salariés).

De plus, les entreprises comptant entre 10 et 19 salariés qui étaient, jusqu’à présent, exonérées de cotisation pour le congé individuel formation (CIF) contribueront désormais à son financement.

L’équilibre du financement des formations professionnelles entre petites et grandes entreprises est donc complètement revu (et rompu ?). L’effort demandé jusque-là aux entreprises comptant le plus de salariés s’en retrouve fortement raboté.

Cette mesure a d’ailleurs entraîné de vives réactions des représentants des petites et moyennes entreprises à l’image du représentant de la CGPME dans cette négociation, Jean-Michel Pottier, qui a déclaré dans les médias que cet accord entraînait « une double peine pour les petites entreprises » et précisait que « désormais, ce sont les petites entreprises qui vont payer pour les grandes ! » (entretien accordé au magazine l’Express le 14/12/2013).

 

Remettre au centre des débats, la vocation initiale de la formation et le collaborateur 

  • Un entretien de … formation

Les partenaires sociaux instaurent le principe de l’organisation, dans chaque entreprise et pour chaque salarié, d’un entretien visant à aborder « les perspectives d’évolution professionnelle, notamment en termes de qualification et d’emploi« .

L’accord précise que cet entretien devra être distinct de l’entretien d’évaluation et devra se tenir, à minima, tous les deux ans. Il devra cependant être proposé de façon systématique aux salariés reprenant leur poste à la suite d’une interruption de travail (congés parental, congé sabbatique …).

Tous les six ans, un entretien particulier permettra à chaque salarié de réaliser avec son employeur un « état des lieux de son parcours professionnel dans l’entreprise ». A travers cette mesure, l’accord dépasse le stricte cadre de la formation professionnelle pour y attacher le sujet, beaucoup plus global, de l’évolution professionnelle des salariés au sein de leur entreprise.

L’ensemble de ces entretiens devront être formalisés et pourront être archivés, à l’initiative du salarié, dans une annexe de son « passeport orientation formation ».

 

  • L’apparition du « Conseil en évolution professionnelle »

Ce Conseil, qui est accessible gratuitement, sera ouvert à toute personne souhaitant bénéficier d’aide dans son orientation professionnelle, dans l’identification de ses compétences et d’accompagnement dans le lancement d’un projet professionnel.

Les partenaires sociaux souhaitent également que ce Conseil contribue à l’identification des personnes en situation d’illettrisme ou de manque des « savoirs de base ».

Partant d’une bonne intention, les partenaires sociaux ne précisent pas davantage les caractéristiques de mise en œuvre de cette structure. De plus, à la lecture des attributions des compétences de ce Conseil, il semble légitime de se demander si ce nouvel acteur n’empiète pas sur les attributions de Pôle Emploi.

La création de cette nouvelle instance semble aller à l’encontre du mouvement de simplification du paysage des acteurs d’aide au retour à l’emploi initié par la fusion ANPE – ASSEDIC emportant la création de Pôle emploi.

 

La multiplication des instances de la formation, retour aux galères après un long voyage ?

  • La création d’un observatoire des métiers

Afin d’aider les branches professionnelles à anticiper l’évolution des métiers et des besoins, les partenaires sociaux estiment que le positionnement et le rôle des « Observatoires prospectifs des métiers et des qualifications » doit être réaffirmé.

Il reviendra désormais à ces organismes de définir l’ensemble des formations qui pourront être réalisées à travers le « Compte personnel de formation ».

 

  • A la recherche de l’efficience de Pôle Emploi …

Conscients de l’importance des formations dans la dynamique de retour à l’emploi des chômeurs  et afin d’améliorer l’action de Pôle Emploi dans l’accompagnement des chômeurs au retour à l’emploi, les partenaires sociaux souhaitent que les conseillers de Pôle Emploi aient « accès à l’intégralité de l’offre de formation collective régionale, quelle que soit son financeur, et pouvoir prescrire une formation ou valider un projet de formation à partir de cette offre ».

Une avancée bien plus qu’une révolution … en attendant la loi ?

 

Malgré les avancées valorisées par les différents contributeurs (le ministère du Travail a salué « une grande réforme, porteuse d’avenir« ), cet accord est loin de proposer une refonte complète de la formation professionnelle prônée par de nombreux acteurs du sujet.

En effet, de nombreux sujets importants portant sur les fondations même de la formation professionnelle ne sont pas abordés par les partenaires sociaux. En aboutissant à un tel accord, les syndicats évitent une réflexion, pourtant nécessaire, sur les raisons profondes de l’absence d’utilisation du DIF par les salariés.

Au final, le signal le plus positif envoyé par cet accord est très certainement la capacité des nouveaux représentants des organisations syndicales à négocier ensemble. En attendant de pouvoir, peut-être, constater que les parlementaires peuvent faire preuve de plus de courage et d’ambition au moment même où le taux de chômage national avoisine les 11 % (taux de chômage au sens du BIT d'après l'Insee 3e Trimestre 2013 en France y.c. Dom.).

Avec la contribution de Brice Levasseur

Contact: Olivier Chappert, Associé