D’énormes investissements sont nécessaires pour la remise en état et la modernisation des réseaux en Afrique, et ce sur plusieurs décennies. La mise en place de nouvelles technologies de réseaux électriques intelligents et de compteurs communicants pourrait permettre à l’Afrique de rattraper beaucoup plus rapidement son retard en la matière.

Parmi les bénéfices attendus, les Smart grids auront pour effet de rendre le réseau bidirectionnel, d’améliorer la gestion, la maintenance et la qualité de service, mais permettront aussi aux opérateurs de faire des économies, notamment au niveau des pertes techniques (~40% sur les réseaux en Afrique Subsaharienne) et non techniques (~20-40%). Par ailleurs, les Smart grids contribueront à l’intégration des énergies renouvelables et à l’amélioration de l’efficacité énergétique en Afrique.

Le compteur électrique intelligent, laisse entrevoir des perspectives de développement importantes pour le continent. Ce dispositif permet de fournir des informations sur les consommations énergétiques en « temps quasi réel » et d’informer, par extension, de l’état du réseau. La technologie de communication utilisée, dite AMR (« Automated Meter Reading »), permet de transmettre les informations par différents canaux tels que CPL, GSM, Internet etc. Le compteur intelligent est en outre “programmable à distance”, c’est-à-dire qu’il permet de piloter le réseau par ordre télécommandé. On parle alors d’une méthode de gestion avancée du système des compteurs dite AMM (« Advanced Meter Management »), permettant une communication bidirectionnelle. C’est à dire qu’un compteur pourra émettre des informations et recevoir des consignes. Dans le contexte africain, où la croissance urbaine est très élevée (+4%/an) et s’organise de façon non structurée, ces solutions offrent le support pour gérer un réseau électrique à distance, même pour les zones difficiles d’accès.

En Afrique, les « Telcos » sont en avance sur les autres acteurs notamment grâce à leur implantation de proximité, leur réputation et leurs compétences locales. Ainsi, Orange, MTN et Safaricom ont déjà lancé leur propre produit de "compteur intelligent " (électricité et eau) et se placent ainsi en fournisseurs de solutions et de services pour les « Utilities ».

Les smart meters : un besoin urgent pour les « Utilities »

Les compteurs intelligents participeraient à l’amélioration du réseau électrique et à la qualité du service offert aux consommateurs, en utilisant l’infrastructure, les services ou les solutions des « Telcos ». En effet, ces compteurs communicants permettent en premier lieu d’améliorer les revenus des distributeurs électriques en luttant en particulier contre la fraude et le vol grâce à un système d’alerte automatique. Le taux de fraude et de vol est très important en Afrique, et les opérateurs optent très souvent pour des raccordements multiples pour diminuer l’investissement et le risque de vol ou de casse du compteur, privant ainsi les consommateurs de certains avantages tarifaires.

Les compteurs intelligents sont également le moyen d’améliorer le taux de recouvrement via la mise à disposition de solutions de mesure à distance et de facturation automatique. Un logiciel de facturation ad hoc permettra d’éditer automatiquement les factures à partir des relevés, de la segmentation client et de la segmentation tarifaire des opérateurs électriques, puis de les envoyer par un canal approprié (email, sms, WhatsApp, …). Ce système de recouvrement et de facturation peut être complété par une offre de paiement élargie. Ainsi des offres prépayées, qui conviennent bien à une population à faible budget, ont déjà vu le jour dans la plupart des pays africains (au moins sur des projets pilotes).

Les compteurs intelligents permettent aussi d’améliorer le service client en réduisant le délai d’intervention souvent très long en cas de panne, via une intervention à distance, mais également en en offrant un mode de tarification innovant adapté aux habitudes de consommation des populations locales et à leur pouvoir d’achat compteurs intelligents sont aussi une source d’optimisation de l’énergie pour les distributeurs via l’information de l’usager sur sa consommation en temps réel qui leur permet de le sensibiliser à une utilisation responsable de l’énergie.

Ces compteurs permettraient donc aux opérateurs de réaliser d’importantes économies, tout en offrant un meilleur service aux consommateurs en limitant les délestages, et en améliorant la connaissance de leurs besoins énergétiques et la réponse qui doit être apportée.

Lire la première partie de notre étude : Entre potentiel énorme et contraste de développement : le mirage des énergies renouvelables en Afrique

 

En Afrique, certains pays ont déjà démarré des projets de déploiement de compteurs intelligents ou travaillent sur des programmes de R&D.
- Dans la ville de Johannesburg, un contrat d’une valeur de 150 millions de dollars a été signé entre City Power, Itron et EDISON Power Group, concernant l’installation de compteurs intelligents de dernière génération et du système de comptage associé. L’ambition du projet est d’installer un compteur intelligent/prépayé par foyer ou entreprise d’ici 2018 pour répondre au défi de gestion des factures et des fraudes.
- Au Cameroun, l’ARSEL (Agence de Régulation du Secteur de l’Electricité) a lancé un projet d’installation de compteurs intelligents dotés en particulier de la fonctionnalité de “prépayé”. Pour venir à bout des problèmes de factures non conformes à la consommation, fraude et corruption, 1000 compteurs seront posés à Yaoundé durant la phase d’expérimentation et le projet sera ensuite élargi à l’ensemble des abonnés ENEO.
- Kenya Power a également déjà installé plus de 2 millions de compteurs prépayés et prévoit d’atteindre 4 millions d’ici 2020 pour couvrir la totalité de ses clients. Enfin un des marchés les plus attendus, celui du Nigeria, devrait également croître de façon conséquente avec la privatisation récente du secteur de l’électricité et le concours de la Banque Mondiale et de la Banque Africaine de Développement.

 

Fournir des services de connectivité est au coeur de ce que les opérateurs Télecoms peuvent offrir pour contribuer au développement du secteur de l’électricité. Ils pourront capitaliser sur la fourniture de compteurs intelligents et prépayés pour élargir leur offre, en proposant une gamme complète de services destinés aux opérateurs électriques. Les quatre principaux services qui pourront être proposés sont :

- Connectivité - connexion de l’infrastructure et des combinés individuels aux serveurs et aux bases de données centralisés

- Agrégation / analyse de données - fourniture de données sur l’état du réseau, analyse de données provenant de sources multiples pour une aide décisionnelle

- Livraison de services - fourniture d’informations sur la consommation en temps réel des personnes et des machines pour permettre une adaptation continue et une réaction aux évènements, utilisation du “m-payment” pour assurer un prépaiement ou un post paiement

- Interface client - fourniture d’opérations de support client, telles que les applications mobiles ou la transmission de messages aux abonnés.

 

Le cas du Zimbabwe : 

L’adoption du système des compteurs prépayés en 2012, puis des « smart meters » en 2017, par la Société de transmission et de distribution d’électricité du Zimbabwe (ZETDC), fait du Zimbabwe un des pays les plus avancés en Afrique sur ce sujet (avec l’Afrique du Sud). ZETDC a installé 590 000 compteurs prépayés (90% de ses clients) qui ont eu un impact très important.

Tout d’abord, l’installation de compteurs prépayés a amélioré son chiffre d’affaires de 35%. L’indice de recouvrement pour les compteurs post payés était d’environ 60%, après la migration vers les compteurs prépayés la collecte a augmenté à 140%. En effet, le système prépayé a permis à ZETDC de collecter non seulement les factures courantes, mais aussi les montants impayés d’électricité consommée pendant la période post payée. La société a récolté 123 millions de dollars de dettes long terme provenant des clients transférés au comptage prépayé, sur un montant total de 247 millions de dollars. De plus, les compteurs prépayés ont également permis une optimisation de la consommation d’énergie, avec une baisse de la consommation individuelle de 22%.

En capitalisant sur cette première expérience, ZETDC a lancé en 2017 un projet de 200m$ pour l’installation de 40 000 « smart meters », avec des objectifs ambitieux :

- Réduire de façon durable le pic de demande énergétique de 20% (par rapport à 2014) ;

- Atteindre un taux de disponibilité réseau de 100% pour servir toutes les charges critiques ;

- Améliorer l’efficacité du système (pertes techniques et non techniques) et l’utilisation des actifs pour atteindre un facteur de charge de 70% (vs.50% aujourd’hui) ;

- Intégrer 800 MW d’énergies renouvelables au réseau ;

- Améliorer le taux de satisfaction client pour atteindre un niveau supérieur à 80%.

 

D'après une étude de Jean-Michel Huet :

Electricité et Télécom en Afrique : la convergence?

Lire aussi : Quelle(s) technologie(s) de communications pour les projets de smart-metering ?