Avec le Grenelle de l’environnement, la France s’est engagée à atteindre en 2020 d’ambitieux objectifs en matière d’énergie éolienne et solaire. L’introduction massive de ces énergies renouvelables dans la production électrique va rendre incontournable le développement du stockage afin de pallier l’aspect intermittent de ces énergies et d’éviter de déstabiliser le réseau. Mais où en est-on aujourd’hui ?

Le stockage de l'énergieL’approche européenne du stockage de l’électricité se distingue des approches américaines et japonaises. En effet, le Japon voit dans le stockage une manière de s’assurer une alimentation continue sans avoir recours à une forte production de pointe, malgré des régions insulaires peu interconnectées. Les Etats-Unis ont adopté une approche à forte orientation économique, visant à soutenir la relance par des lois qui favorisent le développement des filières émergentes. L’Europe, au contraire, bénéficie d’un environnement électrique flexible et interconnecté, mais n’a quasiment aucun cadre législatif relatif au stockage. Malgré une vision politique favorable au niveau européen et des besoins en stockage reconnus, la filière peine à se développer.

Pourtant, le stockage de l’électricité présente de nombreux avantages : il permet l’expansion et l’intégration des énergies renouvelables, mais aussi une meilleure gestion de la pointe. Les pics de consommation journaliers, vers 8h et 19h, sont gérés actuellement par l’appel en pointe à des centrales thermiques à gaz ou au fioul. Cette solution, chère et polluante, a été épinglée par le rapport Poignant-Sido, qui préconise une maîtrise des usages de pointe et le développement des effacements de consommation. Le stockage représente un complément intéressant à ces solutions. En plus d’offrir une solution de gestion des systèmes isolés (cas du Japon), le stockage s’inscrit dans le mouvement actuel de décentralisation énergétique, qui consiste à rapprocher production et consommation. Et alors que les tarifs de rachat des énergies renouvelables commencent à être révisés à la baisse, les producteurs auront intérêt à consommer leur propre production au lieu de l’injecter dans le réseau, et donc à la stocker.

La diversité des applications du stockage de l’électricité implique des systèmes de stockage à plusieurs échelles, du stockage de masse, qui vise à assurer la stabilité du réseau électrique, au stockage diffus, qui permet à l’occupant d’un pavillon résidentiel de consommer sa production solaire par exemple. Ces différentes échelles reflètent les deux buts distincts du stockage de l’électricité : l’autonomie (pour le client) et la flexibilité (pour le réseau).

Des technologies diverses pour des usages multiples

L’énergie électrique peut être stockée « directement » en énergie électrochimique (comme dans une batterie), ou indirectement par la transformation en une autre forme d’énergie (mécanique, pneumatique, potentielle, etc.). Seul le stockage résidentiel peut pour le moment prétendre à stocker l’électricité directement grâce à des batteries ou des super-condensateurs, le stockage de masse faisant appel à des technologies de plus grande capacité. Les facteurs clés à considérer lors de l’évaluation de méthodes de stockage sont multiples : la capacité est certes primordiale, car il faut savoir quelle quantité d’électricité peut être libérée par l’installation, mais l’énergie l’est tout autant (elle dépend de la capacité ET du temps de décharge). Le rendement de l’installation déterminera quant à lui la rentabilité économique et énergétique du procédé, et sa réactivité (durée de mise en route) aura une influence notable sur l’usage auquel on destine l’installation.

Les technologies de stockage peuvent être classées selon leur usage. Pour assurer de la flexibilité au réseau électrique grâce au stockage de masse, les STEP (Stations de Transfert d’Eau par Pompage), les CAES (« Compressed Air Energy Storage ») ou encore les volants d’inertie sont les technologies les plus efficaces. Les STEP, qui représentent 99% des capacités de stockage électrique connectées au réseau dans le monde, remontent de l’eau dans les barrages en période creuse pour la turbiner en période de pointe. Les CAES sont fondés sur un tout autre principe : on comprime de l’air (ou un gaz) dans une caverne saline pour récupérer l’énergie de la détente de cet air en période de pointe. Les volants d’inertie emmagasinent quant à eux l’énergie mécanique d’une rotation d’un poids, pour la restituer en temps voulu. Ce dernier procédé est encore marginal car très couteux, contrairement aux STEP et CAES. Malgré quelques applications en Allemagne et aux Etats-Unis, les CAES ne sont pas encore suffisamment matures technologiquement pour être préférés aux STEP, qui sont de « simples » barrages fonctionnant à l’envers !

Pour stocker leur production, les industries et les particuliers peuvent faire appel aux batteries, aux super condensateurs ou aux piles à combustible (PAC). Les super condensateurs fonctionnent selon le principe des réactions électrochimiques (comparables aux batteries), tandis que les PAC produisent de l’hydrogène par électrolyse de l’eau, avant de restituer leur énergie. Les super condensateurs et les piles à combustible font l’objet d’expérimentations à petite échelle car leur coût et leur maturité sont encore peu satisfaisants, tandis que les batteries sont déjà largement utilisées. On compte déjà plus de 500 MW de capacité de stockage par batterie dans le monde, la majorité étant constituée de batteries Sodium-Souffre à haute température. Les batteries Lithium-Ion, que l’on retrouve dans les appareils électroniques portables (téléphone, ordinateur, tablette…) représentent le segment en plus forte croissance.

Caractéristiques techniques des principales solutions de stockage

Au-delà des problématiques de coûts et de rendement des nouvelles installations, la cyclabilité et l’autodécharge sont des verrous techniques à considérer : la durée de vie de l’installation de stockage dépend du nombre de cycles qu’elle peut effectuer en conservant une capacité suffisante, et une autodécharge importante peut avoir un effet désastreux sur les batteries notamment. Pour assurer le développement de ces technologies de stockage, différentes incitations sont possibles, offrant des opportunités à plusieurs acteurs.

Des perspectives financières et extra-financières encourageantes

Le marché du stockage de l’électricité représente environ 1 milliard d’euros par an actuellement. Ce marché devrait être multiplié par 10 à l’horizon 2020-2025, ce qui permet de mieux comprendre pourquoi plus du tiers des fonds de capital-risque affirme investir massivement depuis 2010 dans les entreprises de stockage d’électricité !

Outre ces fonds d’investissement et les opérateurs de réseaux électriques, différents acteurs pourraient se montrer intéressés par le stockage. Les principaux sont les producteurs d’énergie, exploitants de fermes solaires ou éoliennes, qui pourraient ainsi mieux rentabiliser leur production en évitant l’écrêtage (une partie de la production verte est perdue chaque année car le réseau ne peut absorber toute l’énergie générée lors de forts vents). Les fournisseurs de l’industrie électrique, comme les constructeurs de turbines éoliennes ou les producteurs de modules photovoltaïques ou de batteries, pourraient également investir dans le stockage pour compléter leur gamme d’offres et bénéficier d’économies d’échelles. Enfin, l’industrie automobile verrait dans le stockage un moyen de devenir un acteur majeur des réseaux électriques, par le biais des voitures électriques et du concept « vehicle to grid » (une flotte électrique conséquente pourrait servir de réserve d’électricité en cas de pointe).

Pour encourager ces acteurs à développer la filière du stockage, de nombreux mécanismes potentiels d’incitation sont à considérer. Parmi les incitations directes, on peut citer les crédits d’impôt à l’investissement, les mécanismes d’amortissement accéléré du coût en capital ou encore les objectifs imposés en termes de stockage : ainsi, en 2010, la France a assorti à son appel d’offres éolien une obligation de stockage au prorata de la puissance installée, ce qui permettra une utilisation optimale de l’énergie éolienne. Deux incitations indirectes pourraient aussi se révéler efficaces : l’introduction de primes à l’autoconsommation pour les particuliers et les entreprises, et la création de tarifs d’injection au réseau spécifiques à l’énergie stockée. L’Etat a déjà utilisé ce mécanisme pour favoriser le développement du photovoltaïque résidentiel, pourquoi ne pas faire de même pour le stockage ? Le manque de cadre législatif, notamment sur le statut du « stockeur », entraîne un véritable retard de la France et de l’Europe sur ses concurrents américains et asiatiques. Au sujet de la création d’un cadre législatif adéquat, la DGEC (Direction Générale de l’Energie et du Climat) adopte une position ouverte mais attentiste, soulignant le manque de maturité de la filière : « Pourquoi pas, mais encore faut-il qu’un modèle économique émerge, et pour l’instant on n’en est qu’au stade des expérimentations » résume un de ses représentants.

Les incitations gouvernementales semblent nécessaires à une meilleure valorisation économique du stockage de l’électricité. Le marché, émergent et fortement dépendant des politiques publiques, souffre de la concurrence internationale et doit s’appréhender comme une industrie de masse, dépassant largement le cadre national. De plus, le Grenelle de l’Environnement implique d’importants besoins futurs en stockage : besoin de stockage diffus pour pouvoir avoir 1 à 2 millions de voitures électriques en 2020, et besoin de stockage de masse pour pouvoir intégrer les 25 GW de capacité additionnelle en énergies renouvelables. Mais au-delà des considérations financières, économiques et politiques, le stockage représente un enjeu fort pour le développement social et environnemental. En effet, les populations isolées des réseaux électriques dans les pays en développement ont de plus en plus recours au solaire et à l’éolien pour remplacer les générateurs diesel, et se retrouvent démunies en l’absence de système de stockage pérenne et économique. Le développement du stockage contribue donc aux Objectifs du Millénaire en aidant à lutter contre la précarité énergétique. Enfin, ce secteur permet la réduction drastique du contenu carbone de l’électricité car les moyens de production de pointe rejettent trois fois plus de carbone que la production de base. Le remplacement de ces moyens de production utilisés pour la régulation réseau par des systèmes de stockage permettrait ainsi d’importantes économies d’émissions de CO2.

Auteur :
Sébastien Kahn, Consultant