Depuis le début des années 2000, la transformation digitale dans la société a connu une accélération exponentielle. De la digitalisation d’outils de gestion RH, formation, etc. à la numérisation de services et d’industries complètes (Pharmacie, Pétrole, Energie, etc.) au sein d’entreprises et d’administrations publiques, le mouvement s’est ainsi répandu à tous les niveaux de la société.

Cette digitalisation a vu naître la notion de SmartCity et de ville connectée où les outils digitaux ont intégré à part entière la vie quotidienne des habitants permettant ainsi de simplifier et d’optimiser un grand nombre de tâches et de services.

 

La SmartCity ou ville intelligente représente une amélioration de l’organisation d’une ville. Cela va de l’optimisation des coûts énergétiques avec l’implémentation de panneaux solaires par exemple à l’installation d’un grand nombre de capteurs pour récolter les données de température, d’eau, d’éclairage la nuit, etc. et ce, dans l’objectif de réduire les pertes, d’anticiper les événements (météorologiques et autres) et d’améliorer la consommation énergétique.
Les villes asiatiques ont été pionnières dans le domaine dès les années 1980 à l’exemple de HongKong ou de Singapour avec le projet de SuperTrees qui sont des arbres artificiels de plus de 50 mètres de haut contenant un grand nombre de capteurs[1]. D’autres exemples peuvent être cités tels que la ville de SongDo en Corée du Sud ou encore aux Emirats Arabes Unis à Dubaï et à Abu Dhabi.

Qu’apportent donc ces SmartCities en termes d’amélioration du quotidien des habitants des villes modernes ? Assistons-nous à un véritable changement de cap dans l’organisation urbaine de la société d’aujourd’hui en prenant pour exemple Singapour ?

L’expansion des SmartCities et donc de la digitalisation de nos sociétés a permis non seulement de gagner en compétitivité et en productivité de manière globale mais aussi l’amélioration des outils utilisés dans les chaînes de production dans l’industrie par exemple. Cela a ainsi vu naître la notion de double virtuel d’une usine réelle voir du double numérique d’une ville entière[2] comme dans le cas de Singapour.

Ainsi, cette cité-Etat a été pionnière depuis plusieurs décennies dans la transformation digitale. Au-delà des nombreuses installations typiques d’une SmartCity, Singapour est allé plus loin avec l’introduction de la notion de SmartNation[3] avec un investissement de plus d’un milliard de dollars en 2019 pour atteindre les objectifs de digitalisation[4].

Dans ce contexte, une véritable révolution digitale est née modifiant la façon dont les Singapouriens vivent, travaillent et interagissent entre eux. Soutenues pour le gouvernement, de nombreuses initiatives ont vues le jour servant de catalyseurs dans tous les domaines incluant le secteur public ; l’objectif étant d’offrir aux citoyens les meilleures habitations en termes d’optimisation énergétique et confort mais aussi de les accompagner dans toutes les évolutions technologiques de la société[5].       

Pour atteindre son but de SmartNation, Singapour s’est appuyée sur des plateformes avancées dont la 3DExperiencity de Dassault Systèmes mise en place à partir du 16 juin 2015[6]. Cette plateforme collaborative a permis de créer un double virtuel intitulé Virtual Singapore. L’objectif a été de créer un modèle 3D de Singapour afin de naviguer dans la ville dans un environnement virtuel tout en ayant les informations réelles de température, d’humidité, ensoleillement, de circulation, de niveaux sonores, voir des disponibilités de place de parking dans certaines zones, etc. parfois en temps réel. 

D’autre part, Virtual Singapore permet d’aller plus moins grâce à la réalisation de simulations (exemple de cas d’urgences, d’évacuations, d’intempéries, etc.) et à l’anticipation d’un certain nombre d’évènements.

Le jumeau virtuel de Singapour s’appuie principalement sur la data. L’ensemble des données récoltées via des outils tels que les IoT (ou l’Internet des objets) ou encore des QR Code - mis à disposition des citoyens dans toute la ville pour faciliter de nombreux services - permettent d’alimenter des bases de données sur lesquelles s’appuient les outils de virtualisation.  

 


Singapour, une SmartNation s’appuyant sur de nombreux outils digitaux (crédit : https://www.smartnation.sg )

 

L’organisation de cette SmartNation s’appuie sur 6 piliers principaux[7] :

  • L’open data : toutes les données collectées sont mises à disposition au public afin que tous les citoyens puissent y contribuer (notamment via des sites gouvernementaux officiels).
  • Un laboratoire vivant : Singapour maintient un très haut niveau d’investissement dans la recherche et l’innovation technologique pour le développement de nouveaux marchés économiques (à l’exemple de Research, Innovation and Enterprise 2020 : RIE2020 et AI Singapore).
  • Une industrie et un écosystème important de startups permettant la connexion entre entrepreneurs et mentors du monde de l’industrie, lien essentiel entre l’innovation et l’entreprise.
  • Une importante cybersécurité et sécurisation des données récoltées afin de se protéger des risques de piratage ou de vol des données personnelles.
  • Une mise à disposition de ressources technologiques pour l’ensemble de la population et des entreprises afin de créer une inclusion digitale globale et permettre de créer de nouvelles opportunités pour chaque citoyen.
  • Une collaboration au-delà des frontières avec ASCN : l’ASEAN Smart Cities Network qui est une plateforme collaborative où l’ensemble des pays de l’Asie du Sud-Est échangent les best practices et nouvelles idées pour améliorer non seulement la vie des singapouriens mais également celle de tous les habitants de la région.

 

Par ailleurs, Singapour a investi massivement dans l’amélioration de la mobilité avec par exemple seulement 20% de citoyens équipés d’une voiture individuelle ainsi que le développement des voitures électriques et des voitures autonomes[8]. En conséquence, 45% des singapouriens utilisent les transports en commun notamment le bus.

L’objectif principal de la transformation de cette cité-Etat en SmartNation est ainsi d’observer virtuellement la ville en temps réel afin de fluidifier le trafic, d’augmenter l’efficacité énergétique et de surveiller des paramètres importants tels que la sécurité ou la qualité de l’air et d’agir en conséquence en fonction des besoins et des attentes des citoyens.

Cependant, cette expansion rapide des SmartCities soulève des enjeux éthiques voir philosophiques qui touchent à la vie démocratique notamment le respect de la vie privée, des données personnelles récoltées et de la place du citoyen dans cet environnement de plus en plus numérisé.

Au vu de l’omniprésence d’outils de récolte des données, Singapour affirme que « la protection des données personnelles et de la vie privée est au cœur des considérations dans le déploiement technique du projet »[9] et a par ailleurs mis en place une plateforme où les citoyens peuvent consulter leurs données personnelles et d’en autoriser l’utilisation ou pas.

Singapour est devenue aujourd’hui la ville la plus connectée au Monde, ce qui lui a valu d’être lauréate de nombreux prix dont le City Award lors du Smart City Expo World Congress (SCEWC) 2018. La particularité de cette cité-Etat, sa situation géographique et sa démographie lui permettent de poursuivre sa transformation digitale et numérique, mais elle ne pourrait être érigée en modèle à l’échelle mondiale car, comme le souligne Anthony Townsend, chercheur à l’université de NewYork, dans un article dans Technology Review « l’utopie parfaitement contrôlée et efficiente d’une ville sécurisée et ­intelligente peut fonctionner dans un lieu comme Singapour. Mais elle ne fonctionnerait probablement pas à New York ou à Sao Paulo, où les attentes en termes de conception et de ce qui fait la vitalité d’une communauté sont complètement différentes »[10].

Notons néanmoins que les nombreuses expérimentations et outils utilisés au sein de la SmartNation Singapour pourront servir de modèles à adapter aux différentes villes du monde pour atteindre les objectifs d’efficience, d’économie d’énergie et d’amélioration de la vie des citoyens ; éléments importants pour faire face aux problématiques liés aux changements climatiques et à l’organisation de la vie citadine du futur.

 

Auteurs : 

Hicham Kadiri, Consultant
Patrice Mallet, Directeur Associé

 

Sources :