Qui n’a jamais entendu parler des discriminations lors d’une recherche d’emploi ? Compte tenu de la vaste typologie des situations qu’elle recouvre, (seniors, homosexuels, femmes enceintes, handicapés, syndiqués, personnes à patronymes ou au physique original, personnes habitants dans des quartiers sensibles…) et de son fondement souvent subjectif (perception, croyances, non-dits), la discrimination peut potentiellement concerner chacun d’entre nous.
En 2009, 16% des Européens déclaraient avoir été victimes de discrimination, tandis qu’un quart mentionnaient en avoir été témoin au cours de l’année écoulée (note 1), et ce chiffre est en constante augmentation. Pour lutter contre ce phénomène de société, qui, au-delà de l’impact sur les victimes fausse le marché du travail, la plupart des grands pays industrialisés ont mis en place des outils supposés lutter contre ces pratiques : le premier d’entre eux fut le CV anonyme.
Mis en place aux Etats-Unis dès le début des années soixante pour lutter contre les discriminations raciales et apporter une réponse aux révoltes sociales, le CV anonyme américain (sans adresse, âge, sexe, situation familiale, année d’obtention des diplômes, expériences professionnelles supérieures à quinze ans mais mentionnant les nom et prénom) a depuis fait des émules parmi les grands pays européens confrontés aux mêmes constats.
La plupart des pays européens, notamment encouragés par les résultats probants d’une étude menée par la France en 2009 (note 2), ont mené ces dernières années des expérimentations de plus ou moins grande envergure, reflétant les hésitations des législateurs et des entreprises européens en la matière. A titre d’exemple les expérimentations suivantes ont été menées :
Les résultats des différentes expérimentations menées en Europe tendent à montrer que le CV anonyme peut s’avérer plus ou moins efficace en fonction des pays et des natures de discriminations même si des effets positifs ont pu être partagés : sensibilisation des recruteurs, gommage des aprioris négatifs, sélection par les compétences. Les résultats des expérimentations qui n’ont pas tous encore été publiés sont les suivants :
Les différents dispositifs démontrent des limites majeures, transposables à l’ensemble des pays ayant tenté de dépasser le barrage de la discrimination à l’embauche : absence d’impact sur le choix final de candidat, voire même, effet contre-productif lorsqu’il s’ajoute à des dispositifs de discrimination positive.
Ce constat peut s’expliquer par la nature même du CV anonyme qui apporte une réponse unique pour lutter contre un phénomène présentant des causes et des symptômes multiples. Alors qu’aucun antibiotique ne permet à ce jour de guérir l’ensemble des virus déclarés, le CV anonyme ne saurait, à lui seul, répondre aux différentes natures de la discrimination à l’embauche !
Ainsi les premiers résultats de l’expérimentation allemande démontrent le franc succès du CV anonyme, qui permettrait de réduire dans des proportions significatives la discrimination à l’embauche, sans pour autant, engendrer de surcharge de travail. Néanmoins, la principale forme de discrimination en Allemagne concerne la discrimination ethnique et notamment les populations d’origine turques et le CV anonyme répondrait directement à la source de discrimination. A l’inverse en France, où les résultats de l’expérimentation sont plus mitigés, les causes des discriminations semblent être fondées sur une palette beaucoup plus large de symptômes. Le rapport des chercheurs en charge de l’expérimentation française (note 2) met ainsi en avant des causes très hétérogènes de discrimination notamment portées par des croyances et des comportements inconscients, qui trouvent leur source dans l’homophilie (c’est-à-dire la tendance à choisir des personnes semblables), le sexe, l’âge, le lieu de résidence, l’origine ethnique.
Enfin, et c’est probablement sa principale limite, même si le CV anonyme permet à priori de limiter les pratiques de discrimination basées sur le bloc « état civil » du CV et donc, de faciliter l’accès au premier entretien pour les populations sensibles, il n’a pas toujours l’effet escompté sur les chances finales d’accès à l’emploi car il ne s’applique qu’à la première étape du processus de recrutement. Le CV anonyme présente un effet placébo dès lors que la phase d’entretien débute et que les mécanismes habituels de sélection peuvent être mis en œuvre…
Même si le CV anonyme a montré ses limites, il a présenté l’intérêt d’ouvrir la voie à une remise en cause des méthodes de sélection qui s’est traduite par l’éclosion de nouvelles méthodes de recrutement. Parmi celles-ci: le « personal branding » et le « recrutement sans CV ».
La première méthode, le « personal branding » repose sur l’évaluation du candidat en tant que « marque unique », composée de sa personnalité, ses idées, son savoir-être, sa réputation, son identité. Cette pratique (encore réservée à la populations des cadres) à la croisée du marketing, de la communication, de la connaissance de soi, du Web 2.0 marque un véritable tournant dans l’approche des collaborateurs de l’entreprise : le candidat ne se distingue plus par son CV mais par la marque qu’il s’est créée, notamment à travers les réseaux sociaux, blogs, communications…Encore balbutiante en Europe, cette pratique est pourtant courante aux Etats-Unis : 45% des recruteurs américains avouent utiliser les réseaux sociaux pour recruter contre seulement 2% en France. Cette approche du candidat pourrait avoir de beaux jours devant elle, en dépit des dérives possibles (amoindrissement des frontières entre la vie privée et professionnelle notamment), car elle permet de détourner le regard des recruteurs pour le focaliser sur le potentiel et les compétences du candidat.
La seconde méthode, le « recrutement sans CV » testée en 2010 par l’APEC et des entreprises comme Auchan, Danone, Areva, Konika, Veolia eau et Orange repose sur une sélection du candidat, non plus sur son CV ou sa lettre de motivation, mais à partir d’un questionnaire d’une trentaine de questions et de mises en situation destinées à évaluer les compétences, motivations, savoir-faire du candidat.
Ces deux pratiques, qui apportent certes une évolution positive des méthodes de recrutement en axant la sélection des candidats sur l’évaluation des compétences et en élargissant la diversité des viviers de candidats, réduisent sans l’effacer, le risque de discrimination : le recruteur devra toujours rencontrer le candidat lors des différentes étapes du recrutement et ainsi porter un jugement, soumis au filtre de ses émotions, de ses représentations et préconceptions, aux effets potentiellement discriminatoires.
Face à constat, ne serait-il pas plus opportun de réfléchir à une approche beaucoup plus scientifique qui exclurait tout contact physique entre le recruteur et le candidat par la mise en place d’une batterie de tests analysés scientifiquement qui validerait chacune des étapes du recrutement jusqu’à l’embauche finale ? Le concept paraît séduisant mais difficilement applicable car le manager, in fine, ne saurait gréer son équipe sans rencontrer les candidats au préalable. En la matière, la sensibilisation et la formation des recruteurs et line managers aux risques de discriminations est une piste qui pourrait en revanche apporter davantage de résultats. En effet, les méthodes de sélection actuelles laissent une place importante aux interprétations, tandis que les recruteurs ne sont pas suffisamment accompagnés et formés dans la lecture des profils des candidats.
Mais au-delà des efforts portés auprès des équipes opérationnelles, aucun dispositif ne saurait démontrer son efficacité, s’il n’est porté et suivi par les équipes dirigeantes des entreprises, premiers chercheurs du vaccin contre la discrimination à l’embauche… Le Comité Exécutif ou le Comité Directeur pourrait alors devenir un laboratoire de recherche où l’exemplarité serait la première composante du remède, un laboratoire où l’on pourrait, pourquoi pas, tester les nouvelles techniques de recrutement et laisser la place à des équipes issues de la diversité…
Contact: Olivier Parent du Chatelet, Associé