Partie 2 : Derrière ce tableau globalement positif, des limites apparaissent sur la capacité à développer des relations en distanciel, à soutenir effectivement des clientèles fragiles et à embarquer et renouveler les équipes dans la durée.

Les conseillers bancaires se sont recentrés sur des échanges transactionnels existants, au détriment de la prospection ou de travaux de développement de relations existantes. Globalement, ils n'envisagent pas de construire et maintenir une relation dans la durée sans rencontrer leurs clients et ont, pour la plupart, privilégié le maintien d'une relation hybride, en allant à la rencontre de leurs clients dès les fins de confinement pour les clients qui l'acceptaient.

Le contexte économique, la difficulté à se projeter et la digitalisation des interactions ont, semble-t-il, conduit à des relations transactionnelles court terme. Ainsi, les conseillers ont maintenu des échanges plus en réaction à des sollicitations clients, que liés à une démarche de conseil en pro activité ou sur des opérations long terme.

La relation commerciale s'est, par ailleurs, recentrée sur des clients déjà connus plutôt que sur la conquête. Le développement et l'analyse de la situation financière de prospects sont en effet complexes sans visite du dispositif productif ni rencontre du client.

Au-delà des chiffres et des grilles d'analyse crédit, le ressenti du banquier, comme son expérience, s'avèrent irremplaçables dans la capacité des conseillers à défendre un dossier. Pour des opérations à fort effet de levier, les secteurs de services ont ainsi été privilégiés par rapport à des secteurs plus industriels, où la connaissance de l'implantation est essentielle à l'évaluation de l'actif.

Par conséquent, le soutien apporté par les banques à l’économie via les PGE a été reçu de manière mitigée par certains clients : pour les clients éligibles, ce soutien a pu permettre de renforcer la relation avec la banque, quand la vérification des critères d'éligibilité et des conditions d'octroi de crédit n'a pas toujours été bien perçue par des clients déjà fragilisés, qui n'ont pas toujours bien compris le rôle de leur banque.

En ce qui concerne l’outillage du conseiller, la crise a mis en avant une adoption et acculturation au digital hétérogènes au sein des équipes, mais également entre clients et conseillers. L’ouverture des accès à des outils transactionnels du poste de travail des conseillers a permis de normaliser l'usage de nouveaux outils de communication (partage d'écran, entretien vidéo) : les clients ont, semble-t-il, très rapidement adopté ces nouveaux modes d'interaction, démontrant un niveau d'acculturation plus fort que certains collaborateurs parfois insuffisamment préparés à la conduite d'entretien en distanciel. En effet, on estime que le pourcentage de rendez-vous à distance est passé de 20% avant la crise à 50% aujourd’hui.

Au-delà de l'accessibilité organisée par l'entreprise, il est à noter que les banquiers, comme l'ensemble des travailleurs du tertiaire ayant basculé partiellement en télétravail en 2020, doivent ajuster leurs interactions avec le client suivant les contraintes induites par le travail à la maison (rendez-vous sur les créneaux d'absence des enfants, instabilité de la connexion Internet qui amène à ne prévoir des rendez-vous importants que lors d'une présence sur site, …).

Si 2020 a révélé que les clients BtoB sont prêts à interagir à distance avec leur conseiller bancaire, la crise met aussi en lumière des niveaux de préparation hétérogènes des clients dans leur capacité à suivre les processus bancaires quand eux aussi travaillent à distance : absence pour beaucoup de PCA (plan de continuité d’activité) ou d'équipement, que la banque doit parfois compenser (signature électronique d'autant plus critique en l'absence d'imprimante accessible pour le client).

Enfin, les limites de cette adaptation rapide des banques aux contraintes sanitaires s’expriment largement sur les dimensions managériales et d’animation des équipes commerciales. Si le rôle des managers de proximité a été déterminant dans l'adaptation au contexte de crise et la réorganisation des modalités de travail et d'échanges de leurs équipes, les managers de proximité se montrent inquiets sur le maintien de telles situations de travail dans la durée.

Les conseillers clientèles entreprises évoluent dans des structures organisationnelles marquées par leur équipe de proximité. Or, de nombreuses équipes ont rapidement basculé sur un mode de travail hybride, alternant des périodes en présentiel et en distanciel, le plus souvent par demi-équipe. L'agence ou la direction entreprise, jusqu'alors lieux de passage vivant entre deux rendez-vous, de convivialité, et marqueur d'un périmètre géographique déterminant la structure du portefeuille, n'est donc plus tout à fait la même : l'équipe n'est plus jamais entièrement "ensemble" ; dans certains cas, le manager de proximité n'est que présent sur les mêmes journées que la moitié de son équipe. Dans la durée, ce mode de fonctionnement fait redouter un management « à deux vitesses ».

Des moments d'échanges privilégiés pour l'équipe ont rapidement été sécurisés : dans un premier temps, ils permettent de transmettre rapidement une actualité changeant de jour en jour, et d'éviter l'asymétrie d'information au sein de l'équipe, génératrice de stress. Une fois la "nouvelle normale" trouvée, ces moments d'équipe perdurent. Ils deviennent plus brefs (15 min), moins fréquents (passage de points quotidiens à 2-3 rendez-vous par semaine). L'usage de la vidéo au sein de l'équipe, normalisé dans les rendez-vous clients, semble quant à lui plus hétérogène et laissé au libre arbitre local.

Avec la rotation des équipes en présentiel, l'organisation du travail est revue : la gestion des passations et de la bonne transmission des informations et des dossiers entre les équipes qui se croisent sur site devient primordiale, la re-création de moments de convivialité si chers à la vie du réseau lorsque les lieux ne s'y prêtent plus, et la promotion de modes d'échanges participatifs sont autant de sujets que le manager de proximité doit désormais adresser. 

Par conséquent, cette dimension de gestion et d’organisation de l’équipe pour assurer « la poursuite des travaux » tend à prendre plus d’espace qu’avant la crise : l'attente des collaborateurs vis-à-vis de leur manager porte davantage sur sa capacité à créer du lien, se rendre accessible, maintenir les canaux d'écoute ouverts.


Auteurs :