Selon l’ONU, en 2030, la population mondiale sera confrontée à un déficit hydrique de 40%. Ce problème découle du fait que seulement 0,5% de l'eau disponible est potable et facilement accessible¹, le reste étant constitué d'eau salée des mers et des océans. Ce défi crucial est amplifié par la croissance démographique rapide et les conséquences du changement climatique.
Dans ce contexte, la désalinisation de l’eau de mer apparaît comme une solution prometteuse, permettant d’exploiter des réserves de ressources hydriques presque illimitées. La filière a d’ailleurs le vent en poupe et connaît une croissance de 6 à 12% de capacité par an, comptant en 2022 plus de 21 000 stations de dessalement opérationnelles dans le monde². Cependant, l'utilisation intensive d'énergies fossiles pour le dessalement pose un défi majeur. Actuellement seul 1% des usines de dessalement sont alimentées par des énergies bas carbone. L'Arabie Saoudite, par exemple, consomme l'équivalent de 300 000 barils de pétrole par jour pour ses opérations de dessalement, qui produisent 70% de son eau potable². Face à cette réalité, l'innovation dans des procédés verts de désalinisation devient essentielle.
Il existe deux procédés majeurs permettant de désaliniser de l’eau de mer à l’échelle industrielle. Ces deux procédés sont la distillation et l’osmose inverse. Ils permettent tous deux, grâce à une importante quantité d’énergie, de séparer le sel de l’eau de mer. Sont ensuite récupérées en sortie d’une part de l’eau potable et d’autre part de la saumure, un substrat très fortement concentré en sel et produits traitants, inutilisable et rejeté dans la mer.
La distillation consiste à vaporiser l’eau de mer puis à la condenser afin de la séparer des cristaux de sel et des impuretés. Cette méthode a l’inconvénient d’être très énergivore (environ 15kWh/m3 d’eau dessalée) et peu adaptée à l’utilisation d’énergies renouvelables.
L’osmose inverse consiste quant à elle à faire passer l’eau de mer sous haute pression (60 bars environ) à travers une succession de membranes semi poreuses. Les molécules d’eau traversent ainsi les membranes, et le sel reste bloqué. La désalinisation est beaucoup moins énergivore que la distillation, et se prête plus facilement à l’utilisation d’énergies renouvelables.
La comparaison des caractéristiques de la distillation et de l’osmose inverse est résumée dans le Tableau 1 ci-dessous.
Caractéristiques techniques | Distillation | Osmose inverse |
---|---|---|
Efficacité énergétique | Moins efficace (15kWh/m3) | Plus efficace (3kWh/m3) |
Procédé | Evaporation et condensation | Filtration sous haute pression |
Coût initial | Elevé | Moyen |
Coût de production au m3 |
0,65-1,8€ | 0,4-0,8€ |
Maintenance | Complexité élevée | Complexité moindre |
Impact environnemental | 75% de l'eau rejetée sous forme de saumure | 50% de l'eau rejetée sous forme de saumure |
Adaptabilité aux énergies renouvelables | Plus difficile | Bien adaptée |
Utilisation globale | Moins répandue | La plus répandue |
Tableau 1 : Comparaison entre les caractéristiques technico-économiques de la distillation et de l'osmose inverse³,⁴
Bien que l’osmose inverse paraisse plus avantageuse sur tous les aspects du tableau, la distillation reste une solution viable et utilisée pour de grandes infrastructures dans certains cas. La distillation permet en effet d’atteindre un niveau de pureté de l’eau plus important, ce qui est nécessaire en cas de forte salinité de la source d’eau ou pour satisfaire des exigences industrielles par exemple.⁵
Comme le montre ce tableau, la production d’eau dessalée reste coûteuse, ce qui en limite l’intérêt aux régions dépourvues d’accès direct à des ressources en eau. Par ailleurs, le dessalement de l’eau de mer étant très énergivore, il est crucial d’utiliser des sources d’énergie décarbonées pour que cette technologie contribue efficacement à la lutte contre le réchauffement climatique, sans en aggraver les causes.
L’utilisation de sources d’énergies renouvelables pour le dessalement est motivée par les avancées technologiques, grâce auxquelles les coûts des centrales photovoltaïques et des installations d'osmose inverse diminuent. En parallèle l’instabilité autour des prix des énergies fossiles et les accords sur le climat poussent vers l’usage des énergies renouvelables. La tendance est donc largement favorable au développement des centrales de dessalement alimentées par de l’énergie verte, généralement fournie par des panneaux solaires, qui profitent du bon ensoleillement des régions en stress hydrique.
Plusieurs projets de construction d’usines de dessalement de grosses capacités liées à des centrales solaires sont en cours, notamment au Moyen Orient, qui concentre un peu moins de la moitié de la production mondiale d’eau dessalée. On peut citer comme exemple l'usine d'Al Khafji en Arabie Saoudite qui est la première au monde entièrement alimentée par énergie solaire. Cette usine a été inaugurée en 2018 et produit 60 000 m3 d’eau par jour qui subviennent aux besoins de la région nord-est du pays.⁶
D’autres pays du Moyen Orient tentent également de rendre leurs moyens de production d’eau potable plus propres. C’est le cas d’Oman qui a fait appel à Veolia et TotalEnergies afin de construire le plus grand projet photovoltaïque destiné à alimenter une usine de dessalement. Ce projet solaire, d’une capacité de 17 MWc, viendra fournir 30% de l’énergie de la centrale de dessalement, qui alimente 600 000 habitants en eau potable. ⁷
En complément des grosses infrastructures destinées à alimenter en eau des métropoles ou des régions, de nouvelles solutions de dessalement d’eau de mer sont de plus en plus utilisées pour des besoins plus restreints dans des régions insulaires et victimes de stress hydrique. C’est le cas des solutions proposées par Osmosun qui consistent en des unités alimentées par énergie solaire et pouvant être installées hors réseau. Ces unités peuvent produire jusqu’à 350 m3 d’eau par jour et peuvent être mises en parallèle pour augmenter la production, permettant ainsi d’absorber une période de stress hydrique pour une petite population. Elles sont actuellement majoritairement implantées en Afrique, au Moyen Orient et dans des îles de l’Océan Indien et de l’Asie du Sud-Est.⁸
Dans un futur proche, l’avancée de certaines technologies pourrait faire prendre une autre forme au dessalement d’eau de mer. On peut notamment citer deux technologies prometteuses qui pourraient être implémentées en complément des usines de dessalement alimentées par énergie solaire :
- Le dessalement se fait par osmose inverse grâce à une portion de l’électricité fournie par la centrale nucléaire. Cette technologie permettrait de profiter de la compétitivité de l’énergie nucléaire et de dessaler des volumes d’eau très importants, entièrement grâce à une énergie bas carbone. Dans un avenir proche, l’utilisation de SMR (Small Modular Reactors) dédiés à la production d’eau dessalée est par exemple en projet au Maroc.⁹
- Le dessalement d’eau de mer est réalisé par distillation grâce à l’énergie thermique dégagée par la combustion nucléaire et non convertie en électricité. Ce couplage est utilisé sur les réacteurs installés au Japon. Il permet d’augmenter le rendement énergétique de la centrale mais produit des volumes d’eau potable plus faibles : entre 1000 et 2000 m3 par jour.¹⁰
De nombreuses solutions de dessalement d’eau de mer grâce à de l’énergie verte sont aujourd’hui industrialisées ou en cours de recherche et cette décarbonation est vouée à se poursuivre, à l’aide notamment des accords de Paris. L’inconvénient principal de la désalinisation reste le rejet de saumures dans les mers et les océans : selon un rapport des Nations unies de 2019, le dessalement d’eau de mer produirait plus de 150 millions de m3 de saumure par jour¹, hautement chargée en polluants. Ces rejets ne sont pas encore bien encadrés et constituent un défi à relever pour permettre la croissance de la filière.
Pour finir, le dessalement vert, bien que pouvant offrir un complément d’eau potable à des territoires en fort stress hydrique, doit rester une solution intégrée dans un système de gestion d’eau optimisée. Cette technologie consomme beaucoup d’énergie et des actions sur la demande doivent d’abord être envisagées. Il est essentiel de mettre fin aux pertes d’eau sur les réseaux et de sensibiliser sur une utilisation efficiente de la ressource hydrique, à la fois les consommateurs mais également les agriculteurs et les industriels.
Auteurs :
- Lionel Braun, Senior Manager
- Baptiste Trin, Consultant
Sources :
¹ L’eau – au cœur de la crise climatique | Nations Unies
² Géopolitique du dessalement d'eau de mer | IFRI - Institut français des relations internationales
³ Comment remédier à une pénurie en eau ? Barcelone (psl.eu)
⁴ Dessalement d'eau : consommation d'énergie, procédés, pays producteurs (connaissancedesenergies.org)
⁵ Procédés thermiques de dessalement à haut rendement
⁶ Comment le dessalement solaire permet à l'Arabie saoudite de produire de l'eau potable de manière durable | Arab News FR
⁷ Veolia : la plus grande centrale solaire sur une usine de dessalement à Oman
⁸ Dessalement à l’énergie nucléaire : le partenariat Maroc-Russie inquiète les îles Canaries
⁹ Microsoft Word - Fiches N° 32 Dessalement 31-1-2008.doc (sauvonsleclimat.org)
¹⁰ Le dessalement de l’eau rendu possible grâce au solaire (edfenr.com)
¹¹ Nos réalisations | Osmosun