Ce démonstrateur industriel était l’œuvre de la start up française Lhyfe, en partenariat avec EDF Renouvelables et Total Energies dans le cadre du projet Normandie Hydrogène. Ce projet pilote de production d'hydrogène s’inscrit dans la volonté de démontrer la faisabilité de la production d'hydrogène à grande échelle à partir d'énergies renouvelables, tout en soutenant l'essor des énergies marines. Il repose notamment sur le parc éolien offshore de Courseulles-sur-Mer en Normandie, amené à devenir l'un des plus grands parcs éoliens de France. Dès lors, comment l'intégration de l'énergie éolienne offshore dans la production d'hydrogène vert peut-elle contribuer à son développement ? Quels sont les défis techniques et infrastructurels associés à cette combinaison ? En tant qu’interfaces essentielles dans la chaine de valeur de l’éolien offshore, les zones portuaires peuvent-elles, quant à elles, être amenées à connaitre des bouleversements majeurs ?
GASCADE et Fluxys, gestionnaires de réseau de transport de gaz respectivement allemands et belges ont, dans une étude, estimé que la production d'hydrogène en Europe pourrait atteindre 350 TWh en 2050 grâce à l’électricité provenant des parcs offshores européens.
Le dihydrogène (H₂), communément dénommé « hydrogène » est un vecteur énergétique qui est produit par réactions chimiques, de ressources primaires que sont principalement l’eau (H2O) et certains hydrocarbures comme le méthane (CH4).
Traditionnellement, l'hydrogène est utilisé dans l'industrie chimique pour la production d'ammoniac et dans le raffinage du pétrole. Cependant, son potentiel s'étend à d'autres domaines :
Actuellement, 95 % de l'hydrogène est produit à partir d'hydrocarbures via des procédés comme le reformage ou la gazéification. Ces méthodes émettent du CO₂, bien que l'hydrogène puisse être décarboné en associant ces procédés à des techniques de captage et de stockage géologique du CO₂.
Une alternative plus propre est l'électrolyse de l'eau, utilisant de l'électricité renouvelable pour produire de l'hydrogène sans émissions directes de CO₂. L'hydrogène vert ne produit aucune émission de carbone lors de sa production, ce qui en fait une solution clé pour la transition énergétique et la décarbonation des secteurs industriels et des transports.
L'électricité renouvelable peut provenir de plusieurs sources naturelles qui se régénèrent naturellement et ne génèrent pas de CO₂ lors de leur exploitation. Les parcs éoliens offshore représentent ainsi un potentiel majeur dans la production d'énergie renouvelable, avec des capacités impressionnantes de production d'électricité. En France, plusieurs projets sont en cours ou déjà opérationnels. Le parc éolien de Saint-Nazaire, inauguré en 2022, est le premier parc offshore commercial de France, avec une capacité de 480 MW, capable de fournir de l'électricité à environ 700 000 foyers. Le projet de Fécamp peut atteindre une puissance de 500 MW, fournissant ainsi de l'énergie à 850 000 foyers. Le parc éolien de Courseulles-sur-Mer, prévu pour 2026, aura une capacité de 450 MW. À l'échelle européenne, le parc éolien offshore le plus puissant est le parc Hornsea 2 au large du Royaume-Uni, avec une capacité de 1,4 GW, suffisamment pour alimenter plus de 1,3 million de foyers.
Ces parcs génèrent un volume important d’énergie qui peut néanmoins s’avérer intermittent. L’hydrogène peut permettre de surmonter l’intermittence de l’énergie éolienne. En effet l'hydrogène permet de stocker de l'énergie éolienne de manière efficace en transformant l'excédent d'électricité générée par les éoliennes en un combustible chimique stockable. Lorsque la demande d'électricité augmente ou que la production éolienne diminue (par exemple, en cas de faible vent), l'hydrogène stocké peut être reconverti en électricité de manière flexible. En effet l'hydrogène peut être stocké sous différentes formes : soit sous forme gazeuse dans des réservoirs haute pression, soit sous forme liquide à température très basse, soit encore sous forme solide, dans des matériaux comme les hydrures métalliques. Cela peut se faire via des piles à hydrogène ou en brûlant l'hydrogène dans des centrales thermiques, produisant ainsi de l'électricité ou de la chaleur à la demande. Ainsi, l’hydrogène permet de surmonter l’intermittence de l’éolien en permettant le stockage de l’énergie à long terme.
Répondre à ces ambitions pose des défis logistiques considérables pour couvrir l’ensemble de la chaine de valeur de l’éolien marin et de l’hydrogène vert. Interface incontournable entre les parcs et les territoires, les zones portuaires sont amenées à connaitre des bouleversements majeurs.
Les ports jouent un rôle stratégique dans le développement de la filière hydrogène vert en lien avec l’éolien offshore. Le développement des infrastructures portuaires est ainsi crucial pour répondre aux défis suivants :
Le port de Saint-Nazaire en France, s’est adapté pour accompagner le développement du premier parc éolien offshore français à travers des :
Ce modèle se retrouve dans d’autres ports européens comme Ostende (Belgique), Esbjerg (Danemark) ou Bremerhaven (Allemagne), qui développent eux aussi des hubs portuaires multifonctions tournés vers l’offshore mais également de la production d’hydrogène vert.
Pour exploiter et devenir un véritable hub de production, stockage et distribution d’hydrogène vert, un port doit développer plusieurs types d’infrastructures spécifiques :
La gestion de la production, du stockage et de la distribution d’hydrogène doit être optimisée par des outils numériques et des plateformes de pilotage intelligent.
En ce sens, le port d’Ostende qui accueille un projet emblématique appelé Hyport, développé en partenariat avec la start-up française Lhyfe et plusieurs acteurs belges pour construire un électrolyseur de 5 MW (puis jusqu’à 100 MW) alimenté par les éoliennes offshore situées à proximité, prévoit d’adapter ses infrastructures pour exploiter l’hydrogène vert.
Ainsi le port a prévu :
Le port d’Ostende est ainsi en train de devenir un modèle européen de « hub hydrogène », combinant production locale, usage industriel, mobilité propre et exportation.
Pareillement, Plug Power, un acteur des piles à combustible à hydrogène américain construit une usine à hydrogène vert au sein du port d’Anvers Bruges. Plus de 12 000 tonnes par an d’hydrogène vert pourraient être produites chaque année par cette usine grâce au procédé d’électrolyse. Grâce à sa localisation stratégique, ce projet bénéficie de l'accès direct aux infrastructures portuaires, facilitant ainsi l'importation de matières premières et l'exportation d'hydrogène.
Shell a également lancé un projet de construction d’une des plus importantes usines d’hydrogène renouvelable au monde au sein du port de Rotterdam. La capacité de l’usine pourra atteindre plus de 50 tonnes d’hydrogène vert quotidiennement. Le projet prévoit la construction d’un électrolyseur de 200 MW de capacité. Cet électrolyseur utilisera l’électricité provenant du parc éolien en mer Hollandse Kust, un des plus grands au monde. L’hydrogène ainsi produit fournira les usines chimiques de Shell présentes à Rotterdam. Cela permet d’entrevoir le potentiel de croissance que généreront les synergies entre hydrogène et éolien offshore.
L’avenir de la synergie entre les ports, l’offshore et l’hydrogène s’annonce stratégique pour la transition énergétique européenne. Les ports deviendront des hubs industriels clés, accueillant la production d’hydrogène vert grâce à l’électricité des parcs éoliens offshore. Ces infrastructures permettront de stocker, transformer et distribuer cet hydrogène vers l’industrie et les transports. D’après certaines estimations, la demande européenne d’hydrogène pourrait atteindre près de 2500 TWh en 2050. La montée en puissance de cette filière repose désormais sur des investissements massifs, des coopérations transfrontalières et des innovations technologiques continues.
Auteur :
- Kamil Boufaim, Consultant - BearingPoint