• 29/10/2025

Pour la première fois en 2023, au large des côtes normandes, une éolienne offshore rattachée à un électrolyseur permettait de produire de l’hydrogène vert.

Ce démonstrateur industriel était l’œuvre de la start up française Lhyfe, en partenariat avec EDF Renouvelables et Total Energies dans le cadre du projet Normandie Hydrogène. Ce projet pilote de production d'hydrogène s’inscrit dans la volonté de démontrer la faisabilité de la production d'hydrogène à grande échelle à partir d'énergies renouvelables, tout en soutenant l'essor des énergies marines. Il repose notamment sur le parc éolien offshore de Courseulles-sur-Mer en Normandie, amené à devenir l'un des plus grands parcs éoliens de France. Dès lors, comment l'intégration de l'énergie éolienne offshore dans la production d'hydrogène vert peut-elle contribuer à son développement ? Quels sont les défis techniques et infrastructurels associés à cette combinaison ? En tant qu’interfaces essentielles dans la chaine de valeur de l’éolien offshore, les zones portuaires peuvent-elles, quant à elles, être amenées à connaitre des bouleversements majeurs ?

Vers une production d’hydrogène vert grâce aux éoliennes offshore

GASCADE et Fluxys, gestionnaires de réseau de transport de gaz respectivement allemands et belges ont, dans une étude, estimé que la production d'hydrogène en Europe pourrait atteindre 350 TWh en 2050 grâce à l’électricité provenant des parcs offshores européens.

A. Qu’est-ce que l’hydrogène ?

Le dihydrogène (H₂), communément dénommé « hydrogène » est un vecteur énergétique qui est produit par réactions chimiques, de ressources primaires que sont principalement l’eau (H2O) et certains hydrocarbures comme le méthane (CH4).

Traditionnellement, l'hydrogène est utilisé dans l'industrie chimique pour la production d'ammoniac et dans le raffinage du pétrole. Cependant, son potentiel s'étend à d'autres domaines :

  • Décarbonation de l'industrie lourde : L'hydrogène peut remplacer les combustibles fossiles dans des secteurs comme la sidérurgie, réduisant ainsi les émissions de CO₂.
  • Mobilité durable : Utilisé dans les piles à combustible ou directement comme carburant, l'hydrogène peut alimenter des véhicules, notamment pour le transport lourd et l'off-road.
  • Stockage d'énergie : Il offre une solution pour stocker l'excédent d'électricité renouvelable, assurant une stabilité du réseau énergétique.

B. Qu’est-ce que l’hydrogène vert et pourquoi l’énergie éolienne offshore peut s’intégrer dans sa production ?  

Actuellement, 95 % de l'hydrogène est produit à partir d'hydrocarbures via des procédés comme le reformage ou la gazéification. Ces méthodes émettent du CO₂, bien que l'hydrogène puisse être décarboné en associant ces procédés à des techniques de captage et de stockage géologique du CO₂.

Une alternative plus propre est l'électrolyse de l'eau, utilisant de l'électricité renouvelable pour produire de l'hydrogène sans émissions directes de CO₂. L'hydrogène vert ne produit aucune émission de carbone lors de sa production, ce qui en fait une solution clé pour la transition énergétique et la décarbonation des secteurs industriels et des transports.

L'électricité renouvelable peut provenir de plusieurs sources naturelles qui se régénèrent naturellement et ne génèrent pas de CO₂ lors de leur exploitation. Les parcs éoliens offshore représentent ainsi un potentiel majeur dans la production d'énergie renouvelable, avec des capacités impressionnantes de production d'électricité. En France, plusieurs projets sont en cours ou déjà opérationnels. Le parc éolien de Saint-Nazaire, inauguré en 2022, est le premier parc offshore commercial de France, avec une capacité de 480 MW, capable de fournir de l'électricité à environ 700 000 foyers. Le projet de Fécamp peut atteindre une puissance de 500 MW, fournissant ainsi de l'énergie à 850 000 foyers. Le parc éolien de Courseulles-sur-Mer, prévu pour 2026, aura une capacité de 450 MW.  À l'échelle européenne, le parc éolien offshore le plus puissant est le parc Hornsea 2 au large du Royaume-Uni, avec une capacité de 1,4 GW, suffisamment pour alimenter plus de 1,3 million de foyers.

Ces parcs génèrent un volume important d’énergie qui peut néanmoins s’avérer intermittent. L’hydrogène peut permettre de surmonter l’intermittence de l’énergie éolienne. En effet l'hydrogène permet de stocker de l'énergie éolienne de manière efficace en transformant l'excédent d'électricité générée par les éoliennes en un combustible chimique stockable. Lorsque la demande d'électricité augmente ou que la production éolienne diminue (par exemple, en cas de faible vent), l'hydrogène stocké peut être reconverti en électricité de manière flexible. En effet l'hydrogène peut être stocké sous différentes formes : soit sous forme gazeuse dans des réservoirs haute pression, soit sous forme liquide à température très basse, soit encore sous forme solide, dans des matériaux comme les hydrures métalliques.  Cela peut se faire via des piles à hydrogène ou en brûlant l'hydrogène dans des centrales thermiques, produisant ainsi de l'électricité ou de la chaleur à la demande. Ainsi, l’hydrogène permet de surmonter l’intermittence de l’éolien en permettant le stockage de l’énergie à long terme.

Répondre à ces ambitions pose des défis logistiques considérables pour couvrir l’ensemble de la chaine de valeur de l’éolien marin et de l’hydrogène vert.  Interface incontournable entre les parcs et les territoires, les zones portuaires sont amenées à connaitre des bouleversements majeurs.

Vers une adaptation des zones portuaires pour répondre au développement conjoint de l’éolien offshore et de la production d’hydrogène

A. Une adaptation des zones portuaires au développement des parcs offshore

Les ports jouent un rôle stratégique dans le développement de la filière hydrogène vert en lien avec l’éolien offshore. Le développement des infrastructures portuaires est ainsi crucial pour répondre aux défis suivants :

  • Logistique et maintenance des parcs éoliens offshore : Les parcs éoliens offshore nécessitent une logistique complexe pour le transport et l'installation des éoliennes. Les ports jouent un rôle clé dans la réception, le stockage, le montage et l'acheminement des composants des éoliennes (turbines, pales, sous-stations, etc.) vers les sites en mer. Des infrastructures adaptées sont donc essentielles pour faciliter ces opérations.
  • Capacité d'assemblage et de pré-assemblage : Les ports peuvent devenir des sites d'assemblage pour les grandes structures éoliennes avant leur déploiement en mer. Cela permet de réduire les coûts et le temps de construction des parcs éoliens en mer. Ces ports doivent disposer de quais adaptés, de grandes surfaces pour le stockage et de grues puissantes pour manipuler des pièces de grande taille.
  • Maintenance continue : Une fois les parcs éoliens offshore installés, leur maintenance régulière est essentielle pour garantir leur efficacité et leur durabilité. Les ports permettent de stocker et de déployer des équipes de maintenance et des équipements spécialisés, souvent en utilisant des navires ou des plateformes flottantes.

Le port de Saint-Nazaire en France, s’est adapté pour accompagner le développement du premier parc éolien offshore français à travers des :

  • Infrastructures spécialisées : Le port a été aménagé avec des quais renforcés capables d’accueillir et de stocker les composants géants des éoliennes, comme des pales mesurant plus de 80 mètres de long et des nacelles pesant plusieurs centaines de tonnes.
  • Base logistique et d’assemblage : Saint-Nazaire est devenu un site clé d’assemblage et de pré-montage des turbines Haliade 150 produites par GE Renewable Energy. Les composants sont réceptionnés, montés partiellement, puis transportés en mer par des navires spécialisés.
  • Maintenance et soutien technique : Le port accueille également des bases opérationnelles pour les équipes de maintenance du parc éolien offshore, permettant un suivi technique permanent.

Ce modèle se retrouve dans d’autres ports européens comme Ostende (Belgique), Esbjerg (Danemark) ou Bremerhaven (Allemagne), qui développent eux aussi des hubs portuaires multifonctions tournés vers l’offshore mais également de la production d’hydrogène vert.

B. Vers le développement de « hubs hydrogènes »

Pour exploiter et devenir un véritable hub de production, stockage et distribution d’hydrogène vert, un port doit développer plusieurs types d’infrastructures spécifiques :

  • Unités de production d’hydrogène (électrolyseurs) :
  • Infrastructures de stockage : L’hydrogène doit être stocké soit sous forme gazeuse (dans des réservoirs à haute pression), soit sous forme liquide (à très basse température), soit via des matériaux solides (stockage chimique). Ces installations doivent être hautement sécurisées et dimensionnées selon les besoins logistiques et industriels.
  • Réseaux internes de distribution : Le port doit se doter d’un réseau de tuyauterie sécurisé (pipelines) permettant d’acheminer l’hydrogène depuis la production vers les zones de chargement, les stations de ravitaillement ou les usines utilisatrices à proximité.
  • Stations de ravitaillement (hydrogène carburant) : Pour alimenter des navires, camions, ou véhicules portuaires roulant à l’hydrogène. Ces stations doivent offrir des capacités de recharge rapide et des systèmes de sécurité avancés.
  • Quais adaptés et navires spécialisés : Des quais renforcés et des infrastructures portuaires capables d’accueillir des navires transporteurs d’hydrogène (sous forme liquide ou gazeuse) pour l’export ou l’import.
  • Infrastructures de conversion (power-to-gas ou méthanation) : Certains ports intègrent des unités de méthanation, où l’hydrogène est combiné au CO₂ pour produire du méthane synthétique, utilisable comme carburant ou injecté dans les réseaux de gaz.
  • Capacités de raccordement électrique renforcées : Pour pouvoir accueillir de grandes quantités d’électricité renouvelable (parcs offshore, fermes solaires), le port doit disposer de connexions électriques puissantes et stables.
  • Centre de contrôle intelligent (smart port) : La gestion de la production, du stockage et de la distribution d’hydrogène doit être optimisée par des outils numériques et des plateformes de pilotage intelligent.

La gestion de la production, du stockage et de la distribution d’hydrogène doit être optimisée par des outils numériques et des plateformes de pilotage intelligent.

En ce sens, le port d’Ostende qui accueille un projet emblématique appelé Hyport, développé en partenariat avec la start-up française Lhyfe et plusieurs acteurs belges pour construire un électrolyseur de 5 MW (puis jusqu’à 100 MW) alimenté par les éoliennes offshore situées à proximité, prévoit d’adapter ses infrastructures pour exploiter l’hydrogène vert.

Ainsi le port a prévu :

  • Des zones dédiées au stockage d’hydrogène : sous haute pression dans des réservoirs sécurisés. Ces installations permettront d’assurer un stock tampon pour les besoins industriels et de transport.
  • Des réseaux internes et distribution : Un réseau de pipelines portuaires est en cours de développement pour distribuer l’hydrogène directement vers les quais, les zones industrielles voisines et les stations de ravitaillement.
  • Des infrastructures de conversion : Le port envisage aussi des solutions de conversion power-to-gas, avec la production de méthane synthétique, à partir de l’hydrogène et du CO2 capté dans les industries portuaires.
  • Un raccordement électrique : Grâce à la proximité immédiate de plusieurs parcs éoliens offshore (comme Northwester 2 ou Rentel), le port bénéficie de lignes électriques haute tension qui alimentent directement l’électrolyseur.

Le port d’Ostende est ainsi en train de devenir un modèle européen de « hub hydrogène », combinant production locale, usage industriel, mobilité propre et exportation.

Pareillement, Plug Power, un acteur des piles à combustible à hydrogène américain construit une usine à hydrogène vert au sein du port d’Anvers Bruges. Plus de 12 000 tonnes par an d’hydrogène vert pourraient être produites chaque année par cette usine grâce au procédé d’électrolyse. Grâce à sa localisation stratégique, ce projet bénéficie de l'accès direct aux infrastructures portuaires, facilitant ainsi l'importation de matières premières et l'exportation d'hydrogène.

Shell a également lancé un projet de construction d’une des plus importantes usines d’hydrogène renouvelable au monde au sein du port de Rotterdam. La capacité de l’usine pourra atteindre plus de 50 tonnes d’hydrogène vert quotidiennement. Le projet prévoit la construction d’un électrolyseur de 200 MW de capacité. Cet électrolyseur utilisera l’électricité provenant du parc éolien en mer Hollandse Kust, un des plus grands au monde. L’hydrogène ainsi produit fournira les usines chimiques de Shell présentes à Rotterdam. Cela permet d’entrevoir le potentiel de croissance que généreront les synergies entre hydrogène et éolien offshore.

Conclusion

L’avenir de la synergie entre les ports, l’offshore et l’hydrogène s’annonce stratégique pour la transition énergétique européenne. Les ports deviendront des hubs industriels clés, accueillant la production d’hydrogène vert grâce à l’électricité des parcs éoliens offshore. Ces infrastructures permettront de stocker, transformer et distribuer cet hydrogène vers l’industrie et les transports. D’après certaines estimations, la demande européenne d’hydrogène pourrait atteindre près de 2500 TWh en 2050. La montée en puissance de cette filière repose désormais sur des investissements massifs, des coopérations transfrontalières et des innovations technologiques continues.

Auteur :
- Kamil Boufaim, Consultant - BearingPoint

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