Entretien avec la startup Eridanis, leader européen du conseil en innovation spécialisé dans l'Internet des Objets, pour échanger autour du projet Noisy-Le-Grand et de l’avenir des Smart Cities dans la société.

Léonard et Alexis, qui êtes-vous et quels rôles jouez-vous chez Eridanis ?

Léonard : je m’appelle Leonard Boulay et je suis le Directeur Commercial Eridanis. J’ai deux fonctions principales : d’une part, aller à la recherche de nouveaux relais de croissance pour toute la partie Smart City d’Eridanis. D’autre part, je suis responsable du partenariat et de la gestion de la relation client.

Alexis : je m’appelle Alexis Semmama et je suis Ingénieur de formation spécialisé en Intelligence Artificielle. J’ai intégré Eridanis il y a deux ans. J’y suis spécialiste de la Smart City et de la partie Intelligence Artificielle d’Eridanis avec à la fois une casquette technique et commerciale. Mes activités principales sont les suivantes :

  • Développer les offres Smart City et rencontrer de nouveaux clients.
  • Gérer l’équipe technique sur ce sujet et participer au développement de ces produits.

Interview :

BearingPoint : quel est le cœur d’activité d’Eridanis en dehors des sujets Smart City ?

Eridanis : Eridanis a été créé en 2014 en tant que fer de lance technologique de Robinson Technologies, premier groupe français indépendant de transformation digitale. Il intègre également la société Astek (SSII – 4000 collaborateurs, 500 M€ CA).

Eridanis est une entreprise française créée en 2014 par Emmanuel Gavache. Passé par Renault, il a très vite décelé le potentiel offert par l’IoT pour le monde industriel. C’est pourquoi il a fait des objets connectés, autrement dit l’IoT, le cœur de métier d’Eridanis.

BearingPoint : comment appréhendez-vous le secteur de l’énergie dans vos projets ?

Eridanis : Dans le secteur à proprement parler, Eridanis n’a aujourd’hui pas de projets 100% énergie. Ces dernières années nous avons accompagné des acteurs majeurs de l’énergie sur des projets IoT. À titre d’exemple on peut citer une entreprise opérant dans des régions reculées en Afrique qui avait besoin de suivre le niveau de gaz de ses bouteilles afin d’en optimiser le transport. Nous avons aussi été sollicités par un gestionnaire de réseau pour la mise en place de bornes connectées dans des zones rurales afin de recueillir des données sur le réseau. Notre angle d’attaque est toujours la data, qui reste au cœur de nos travaux visant à rendre les villes plus intelligentes. Nous avons déjà travaillé avec la ville de Londres et la Commission Européenne sur des problématiques de cybersécurité. Mais nos projets pour la Métropole Nice Côte d’Azur, pour la ville de Marseille ou, plus récemment pour Noisy-Le-Grand constituent nos principales références. Nous y reviendrons plus en détails par la suite. Au démarrage Eridanis s’est appuyée sur le réseau de ses dirigeants pour prospecter et ainsi décrocher ses premiers projets. Désormais, grâce à notre expérience et à un bouche à oreille positif, nous sommes souvent démarchés directement.

BearingPoint : dans le cas précis de Noisy-le-Grand, comment cela s’est passé ?

Eridanis : des prises de contacts de plus en plus précises avec la ville de Noisy-Le-Grand ont débouché sur un premier projet d’audit de maturité digitale de la ville ou « DMA » (NDLR : Digital Maturity Assessment) initié en septembre 2019. Notre méthodologie très processée autour du DMA a permis d’avancer rapidement et de produire une feuille de route digitale pour les trois prochaines années.
Pour la ville de Noisy-Le-Grand, le DMA a été initié en septembre 2019. Depuis, Eridanis poursuit ses interventions avec la ville de Noisy-Le-Grand.

BearingPoint : pourriez-vous préciser quel était le périmètre de cet audit de maturité digitale ? Uniquement les systèmes d’informations relatifs à la Data ? Tout le SI ? Voire tous les outils de la ville ? 

Eridanis : c’est l’ensemble de la Ville qui a été auditée, aussi bien la DSI que les services « Data » ou tout autre département technique. Cela comprend aussi les services actuellement non reliés à la data alors qu’ils devraient l’être comme les services de voiries, RH, financiers, etc.  
L’idée principale derrière le DMA étant bien d’obtenir la cartographie générale de la ville sur les plans fonctionnel et technique. 

BearingPoint : le DMA inclut-il aussi un audit de l’architecture de la ville ? Faites-vous intervenir des urbanistes ou autres architectes ?

Eridanis : l’objectif du DMA est de savoir comment s’oriente la ville dans le domaine de la Data, ce qui peut y être fait concrètement. Quant à l’urbanisme, cela reste quelque chose de très long terme, avec beaucoup d’autres facteurs déterminants.  
Nous choisissons de privilégier les initiatives à ROI rapides à l’instar des projets d’intervention sur la voirie, des projets d’énergie sur les bâtiments et des projets relatifs à la sécurité des territoires avec la police nationale, que nous pouvons agréger autour d’une seule et unique plateforme pour que les données soit réutilisables.

BearingPoint : dans le cas particulier de Noisy-Le-Grand, après le DMA, y a-t-il eu des projets précis qui en sont ressortis ?  Quels sont les éléments prioritaires que vous avez identifiés ?

Eridanis : les éléments prioritaires qui se sont dégagés tournent autour de 3 axes :

  • La mobilité
  • La sécurité
  • L’environnement

Cela s’est traduit par un premier projet avec la police municipale : un hyperviseur intégré a été optimisé en ajoutant la localisation en temps réel de toutes les patrouilles mobiles sur le territoire. Une application mobile est reliée à cette plateforme et communique avec l’outil web de l’hyperviseur sous forme d’alertes et rapports. Ceci permet aux policiers d’être beaucoup plus efficaces notamment dans la gestion quotidienne de la flotte et de libérer davantage de signaux radios pour les problèmes les plus importants.
Une autre priorité ressortie du DMA touche à l’amélioration de l’accès aux données. Aujourd’hui les services sont relativement immatures en termes de data comme c’est le cas dans de nombreux services publics en France.
Malgré cela, ils demandent l’accès aux données et à l’Open Data pour travailler mieux. Tous ces services pourraient ainsi travailler dessus ensemble. 

BearingPoint : Eridanis accompagne donc un acteur comme Noisy-Le-Grand dans la mise en place de cette plateforme (DataLake) et aussi la surcouche pour les différents services ?

Eridanis : oui. La plateforme en elle-même est une base de données mais ce n’est pas l’application concrète.
En plus de cela, Eridanis a déployé une surcouche qui est capable d’agréger et d’intégrer toutes les applications customiseés dont les services de la ville ont besoin. L’hyperviseur pour la police nationale en est un exemple. D’autres projets comme la lecture intelligente et l’intégration des arrêtés municipaux ont été inclus. Le PDF arrêté et signé par la maire est traduit en données cartographiques et remonté dans les SI de la ville avec toutes les informations correspondantes. Cette application va être intégrée dans cette plateforme et les personnes de la voirie vont avoir accès à ces données.

BearingPoint : vous avez mentionné la notion de « ville intelligente » comme stratégique pour la ville de Noisy-Le-Grand, comment vous vous inscrivez dans ce projet global ? Quels sont les objectifs finaux de la ville par rapport à cette stratégie ?

Eridanis​​​​​​​ : l'objectif de la mairie et du secteur public de manière générale est d’améliorer et d’étendre les services aux citoyens en dépensant moins. Les attentes sont croissantes pour des solutions permettant de réduire la pollution et les gaz à effet de serre. Les élus sont aussi soucieux de rendre le cadre de vie de leurs concitoyens plus sûr, plus « vert » et où les problématiques de gestion des ressources (eau, énergie…) sont mieux traitées. Eridanis se positionne ainsi pour aider la ville dans l’optimisation et l’amélioration de ses services.

BearingPoint : vous avez donc travaillé directement avec un service qui s’appelle « Stratégie, innovation publique » ?

Eridanis : ce service a été créé spécifiquement par la ville de Noisy-Le-Grand pour faire de l’innovation.
Il traduit la volonté de la ville d’investir dans le cadre de projets de Smart Cities et d’innovation. Ce service couvre de nombreux autres aspects tels que la santé, l’inclusion globale et le handicap.

BearingPoint : avez-vous vu ce type d’organisation dans d’autres projets Smart City que vous avez accompagnés ? Ou est-ce propre à Noisy-Le-Grand ?

Eridanis​​​​​​​ : il faut bien comprendre qu’en France il n’y a à date pas d’homogénéité : chaque ville met en place une organisation qui lui est propre pour adresser les sujets concernant la Smart City. Dans la métropole MCNA par exemple, il existe une direction complète d’une dizaine de personnes : la DSNS (Direction des Services Numériques et de la Smart City). Donc dans ce cas, la Smart City est partie intégrante de cette direction numérique qui elle-même est rattachée à une partie de la DSI.  A côté de cela, dans d’autres villes, les projets liés à la ville intelligente restent la prérogative de la DSI « classique » qui les mène pour le compte d’autres services de la ville. Dans ce cas, les projets prennent plus de temps parfois pour être mis en place.

BearingPoint : combien de temps prend en moyenne un DMA ? Quelles en sont les phases ?

Eridanis : la réalisation d’un DMA s’étend sur 2 à 3 mois en moyenne. Par exemple celui de Noisy-Le-Grand a nécessité deux mois avec l’intervention de 10/15 personnes de la ville dont des directeurs des services de la ville.
Pour le Territoire Centre Ouest de la Réunion, nous avons eu besoin de trois mois du fait de spécificités locales obligeant à rencontrer davantage d’interlocuteurs. Le DMA consiste à auditer les SI ce qui implique de réaliser un nombre conséquent d’entretiens en s’appuyant sur un questionnaire mis au point par Eridanis. Nous cherchons à connaître l’infrastructure actuelle, au niveau de la ville comme d’un service en particulier, à comprendre leur vision et à identifier leurs besoins. Tout cela permet de positionner la maturité digitale de la ville sur une matrice afin de savoir où elle se situe par rapport à l’objectif voulu et les moyens dont elle dispose. Ce travail est un prérequis pour déterminer la liste des projets à prioriser et à mettre en cohérence avec les moyens de la ville.  
Eridanis propose ensuite un accompagnement sur les projets pour lesquels elle possède les ressources et expertises requises.
Par exemple, à Noisy-Le-Grand, une trentaine de projets ont été identifiés mais Eridanis ne s’est positionnée que sur quelques-uns en particulier. Eridanis conseille la ville sur les projets identifiés dans le cadre du DMA afin de s’aligner sur ses priorités.

BearingPoint : donc le DMA reste la première étape de tout projet ?

Eridanis​​​​​​​ : oui et non. Le DMA est la première étape pour les grands projets tels que Noisy-Le-Grand. Néanmoins Eridanis a des projets packagés comme l’hyperviseur qui peut être vendu directement à d’autres villes en mode Plug-and-Play.   

BearingPoint : quels sont les facteurs clés et les forces d’Eridanis ?

Eridanis​​​​​​​ : j’en vois principalement 4 :

  • Ne pas avoir la prétention de pouvoir tout faire. Pas de partie pris. Le DMA se fait en collaboration avec tous les acteurs de la ville. Le client comprend rapidement qu’Eridanis ne cherche pas à s’accaparer tous les projets.
  • Pouvoir s’appuyer sur des collaborateurs recrutés de manière très sélective et très bien formés.
  • Tenir compte des aspects politiques et spécificités des villes.
  • Être en apport de valeur et vecteur de transformation technologique. Eridanis est souvent très compétent et bien perçu au niveau technique.

BearingPoint : quels sont les obstacles ou freins que vous avez eus lors de vos missions : considérations politiques, aspects technologiques, etc. ?

Eridanis​​​​​​​ : là encore j’en citerai 4 :

  • Certains services peuvent être réfractaires au changement.
  • Les villes ont parfois des contraintes budgétaires.
  • Différentes mouvances politiques de la ville peuvent entrainer des priorisations différentes.
  • Parfois les changements politiques peuvent être des contraintes tout comme des opportunités.

BearingPoint : y a-t-il certains clients, services ou villes qui dès le début, vous imposent des contraintes en particulier ? Vous obligent-ils à changer votre méthodologie ?

Eridanis​​​​​​​ : à date, non. Cela n’aurait pas de sens et serait contre-productif.

BearingPoint : quels retours avez-vous une fois le projet terminé ? Que se passe-t-il en mode RUN ?

Eridanis​​​​​​​ : Eridanis continue d’entretenir des liens avec l’ensemble des clients pour lesquels elle a déjà travaillé. Très souvent nous sommes sollicités pour mettre en place de nouveaux services. N’oublions pas non plus que la Smart City étant un sujet relativement « neuf », nous n’avons pas encore réellement de recul dessus.

BearingPoint : pour conclure, avec votre vision des choses, qu’imaginez-vous comme évolution sur les prochaines années ?

Eridanis : Si l’on se projette à horizon 2-3 ans, nous pressentons le renforcement de plusieurs besoins. Il faudra accélérer le virage de la transition énergétique au sens large sur lequel les villes ont pris un peu de retard. Une gestion plus efficiente des ressources sera indispensable c'est à dire obtenir mieux avec moins. Enfin, le plus important comme l’a révélé la crise sanitaire que nous traversons, la composante « santé » de la Smart City devra être développée notamment grâce à davantage de télémédecine. 



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