La relance du fret ferroviaire français ne se passe décidément pas comme prévu. Après des années de déclin, le fret ferroviaire regagne des couleurs et atteint en 2022 son meilleur niveau de part modale depuis 2017, soutenu par le plan de relance de l’Etat et jouissant de son avantage écologique. Cependant, la décision de la Commission européenne de condamner Fret SNCF à rembourser l’intégralité des aides publiques (5,3Md€) qu’elle aurait perçues entre 2007 et 2019 et jugées non-conformes aux règles de libéralisation de l’UE vient perturber les efforts de relance. La transformation structurelle de Fret SNCF qui en découle peut faire craindre un report modal inversé vers la route, ainsi que la destruction partielle de l’outil industriel français.

Quels sont les leviers existants à court-terme pour développer le fret ferroviaire et attirer les chargeurs ?

Au regard des volontés politiques et plans d’investissements présentés dans notre premier article, la question est désormais : comment le fret ferroviaire peut-il améliorer rapidement sa compétitivité par rapport au transport routier en termes de souplesse, ponctualité et qualité de service ?

Trois premiers leviers ont été décrits dans notre deuxième article. Retrouvez ci-dessous deux leviers supplémentaires et notre conclusion.

Levier 4 : Renforcer la traçabilité, d’autant plus importante avec le développement du combiné et de l’intermodalité

Dans sa stratégie de relance du fret ferroviaire publiée en 2021, le ministère des Transports indique que « les échanges avec les opérateurs font également ressortir le besoin d’un renforcement […] de la traçabilité » pour deux raisons principales :

  • Rendre plus fluides les échanges avec le gestionnaire d’infrastructure SNCF Réseau
  • Mieux inscrire le transport ferroviaire dans l’ensemble de la chaîne logistique

La traçabilité des wagons et des convois ferroviaires permet d’offrir aux clients de nouveaux services personnalisés dont l’objectif premier est de leur apporter une fiabilité d’exécution tout au long de la chaîne de transport des marchandises et notamment une prédiction fiable de leur heure d’arrivée.

L’Internet des Objets (l’IoT) et la communication bas débit sont des solutions particulièrement intéressantes dans la mesure où elles permettent de rendre « intelligents » les actifs des entreprises de fret sans avoir à changer toute leur flotte d’un seul coup. Plusieurs opérateurs ont notamment opté pour la pose de boîtiers de monitoring en ligne des wagons permettant ainsi aux clients de suivre la position et l’état de sa marchandise. 

Afin d’assurer une offre de traçabilité souple, intégrée, adaptative et adaptée aux différents usages, plusieurs recommandations sont à prendre en compte.  

L’industrie du fret peut capitaliser sur les nombreux projets déjà matures dans d’autres secteurs d’activité et notamment prendre en compte les facteurs clés de succès suivants :

  • Penser à la vision globale dès le début en intégrant notamment les ambitions futures dès le début du projet pour assurer l’évolutivité de la solution ;
  • Sélectionner la bonne solution selon les usages et les produits : de plus en plus d’éditeurs de solutions de traçabilité arrivent sur le marché (Traxens, Everysens, Projet 44, …), mais avant de se focaliser sur la solution technique, il est important de trouver des synergies entre les cas d'usage, les processus et les technologies envisagées pour éviter les rétropédalages techniques ;
  • Prendre en compte l’aspect conduite du changement auprès des équipes opérationnelles : analyser les impacts processus, organisation et outils, assurer un support sur site et avoir un plan de communication simple ;
  • Profiter des projets de traçabilité pour optimiser les processus, l’organisation et les outils.

Avec le développement de l’intermodalité, les enjeux de traçabilité ne se limitent plus à la partie ferroviaire de l’acheminement des marchandises et sont étroitement liés aux autres modes de transport. Il est donc important d’avoir une vision de bout en bout de la chaîne logistique et une coordination étroite entre les différents opérateurs maritimes, ferroviaires et routiers afin d’éviter toute « rupture » dans la traçabilité.

Levier 5 : La digitalisation pour gagner en compétitivité, flexibilité et conquérir de nouveaux marchés

Le développement accéléré du fret ferroviaire ne peut se concevoir sans les technologies digitales, véritables leviers de la performance et de la compétitivité du ferroviaire de demain.

L’arrivée du train autonome et des matériels roulants du futur se prépare déjà. Le rapport d’innovation 2022 du groupe SNCF met en lumière un axe de recherche particulièrement innovant qui permettrait des gains importants d’efficience : l’attelage automatique numérique des wagons de marchandises.

  • Actuellement, le fret ferroviaire repose sur un système d’attelage à vis standardisé qui rend les opérations de couplage et de découplage des wagons plus nombreuses et plus longues sur un train fret que sur un train de voyageurs.
  • La solution développée fonctionne grâce à la pose de capteurs sur les wagons, permettant ainsi une connexion numérique dans le train fret qui ouvre la voie à d’autres utilisations comme la surveillance des éléments de chaque wagon (frein, roue, conduite, position du chargement). Le rapport affirme que la solution « conjugué(e) à d’autres technologies telles que l’ERTMS, […] facilitera la circulation de trains de fret plus longs et plus lourds. »

D’autres projets prometteurs viennent compléter le tableau :

  • Le projet Digital Platform1, initié en 2022, vise à améliorer la communication des données opérationnelles et partager la localisation des wagons.
  • Le projet MONITOR2, lancé en février 2023, a pour objectif de développer la surveillance des wagons (freins, vibrations) à l’aide de capteurs afin de prévenir les risques de déraillement et de réduire le temps de préparation des trains.

Et au-delà du court terme ?

Les 5 leviers actionnables à court-terme pour promouvoir le fret ferroviaire doivent dès à présent être accompagnés d’investissements plus structurels, sur le réseau ferré français mais aussi d’investissements dans l’innovation afin de déployer les trains fret du futur, plus efficaces et plus rapides et d’inventer de nouvelles solutions intermodales et multimodales moins gourmandes en énergie.

Pour le fret, les efforts d’innovations doivent encore se poursuivre sur :

  • L’automatisation des opérations au sein des terminaux de transport combiné (transbordement, gestion dynamique…) ;
  • La digitalisation des opérations ferroviaires : essai de frein digital, visite technique, mise en tête, formation automatique des trains, triage des wagons...

Bien que ces projets visent à faire évoluer et adapter la flotte existante, la conception du matériel roulant (wagons et locomotives) de nouvelle génération doit être accélérée pour disposer de matériels intelligents, sobres et polyvalents3.

Augmenter l’efficacité des opérations de manutention et de manœuvre permet également d’accroître la polyvalence des cheminots et contribue ainsi à renforcer l’attractivité d’un métier qui fait récemment face à des pénuries.

Tous sont gagnants : clients, opérateurs et cheminots !  

Auteurs :  
Alexandre Mayer, consultant 
Lucie Moulin, consultante 
Laetitia Chatain, senior manager 
Caroline Perrin, partner

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