Au cours de l’année 2022, plusieurs événements se sont enchainés et ont affecté le système énergétique français. Cela a mis en exergue des défaillances tant sur le plan structurel que conjoncturel. La question de l’indépendance énergétique de la France réapparaît et est repositionnée au niveau de la sphère publique et privée. Elle n’a historiquement plus été au cœur des réflexions stratégiques nationales depuis les deux chocs pétroliers des années 1970, lesquels avaient permis d’amorcer la politique de nucléarisation massive de la France. En conséquence, avec une valeur nette de 445,2 TWh [1], la production d’électricité française totale se situe à son plus bas niveau depuis 1992. Habituellement exportatrice nette, cette situation exceptionnelle a engendré des surcoûts associés d’environ 5 milliards d’euros.

L’indépendance énergétique d’un pays est-elle une grandeur physique mesurable ?

L’indépendance énergétique a été définie comme « la capacité d’assurer de manière autonome l’approvisionnement et la production d’énergie dont les citoyens ont besoin » par M. Daniel Verwaerde, administrateur général du Commissariat à l’énergie atomique (CEA) de 2015 à 2018, ou encore comme la « capacité d’un pays à satisfaire de manière autonome des besoins énergétiques, donc à maximiser la production locale d’énergie nécessaire à la population et aux activités industrielles », par M. Pascal Colombani qui occupait la même fonction.[2]

Une manière intuitive de déterminer si une nation parvient à satisfaire ses besoins en énergie est de comparer sa production d’énergie primaire et sa consommation. Selon l’INSEE, l’énergie primaire représente l’ensemble des produits énergétiques non transformés, exploités directement ou importés. Le rapport des deux constitue ce que les spécialistes appellent usuellement le taux d’indépendance énergétique et traduit la capacité d’une nation à répondre à ses besoins.


Figure 1 Evolution du taux d'indépendance énergétique de la France entre 1970 et 2020
Source : SDES, bilan énergétique 2021 provisoire


Les données montrent que ce taux d’indépendance est une fonction croissante du temps avec un saut de 25% après le premier choc pétrolier à environ 55% sur l’ère pré-covid. La France produit environ la moitié de l’énergie qu’elle consomme. Si cet indicateur permet de se faire une première idée de la capacité d’un pays à répondre à ses besoins, il reste largement critiqué. D’autres indicateurs permettent de préciser le niveau d’indépendance, tel que, par exemple, le taux de dépendance aux importations énergétiques, produit par Eurostat. Ce taux indique que la dépendance de l’Union européenne aux importations d’énergie oscille, depuis les années 1990, entre 40 et 60%, partant d’un taux de 50% en 1990 pour atteindre 55,5% en 2021. La comparaison des taux européens permet de constater que, depuis 2013, tous les États membres sont importateurs nets d’énergie mais le sont très inégalement. En effet, en 2021, les États de l’UE présenteraient une très grande variété de situations, d’un taux de dépendance de près de 100 % pour certains pays (97 % pour Malte et 92,5 % pour le Luxembourg) à 1 % pour d’autres (Estonie). Les données retenues pour 2021 permettent de constater que la France se situe parmi les États européens les moins dépendants énergétiquement avec un taux s’élevant à environ 44%. [2]
 

Baisse structurelle et conjoncturelle de la production électronucléaire

Deux types de causes sont responsables de la baisse de production d’électricité d’origine nucléaire, les causes de nature politique et celles de nature technique. La France a traditionnellement été dépendante de l'énergie nucléaire et cela depuis le plan Mesmer de développement massif du nucléaire civil. L’énergie nucléaire fournissait une part significative de son approvisionnement énergétique (environ 80%). Cependant, au cours des dernières années, il y a eu un débat croissant sur la réduction de la part du nucléaire dans le mix énergétique français.

Tout d’abord, des raisons et perspectives électorales ont influencé les décisions en matière de politique énergétique et plus particulièrement en ce qui concerne le développement de nouveaux projets nucléaires.  Cela a notamment conduit, en 2020, à la fermeture de la centrale nucléaire de Fessenheim située dans le Haut-Rhin, qui a produit durant toute sa vie plus de 440 milliards de kWh [3] d’électricité à l’aide de ses deux réacteurs de 900 MW chacun. Pourtant, cette centrale n’a fait l’objet d’aucune contre-indication de fonctionnement de la part de l’Autorité de Sûreté.

Les émissions de CO2 par kWh pour le Nucléaire étant très faibles [4] (quelques dizaines de grammes par kWh), il est facile de se rendre compte de l’impact carbone annuel considérable de la fermeture d’une centrale nucléaire (l’équivalent de plus de 3 millions d’allers retours Paris New-York). Pour compenser la fermeture d'une centrale nucléaire comme Fessenheim, en considérant un facteur de charge de 0,18, il faut plus de 1050 éoliennes off-shore dernière génération d’Alstom (6MW chacune [5]).

Le deuxième type de causes qui influence la production d’électricité nucléaire concerne le fonctionnement technique des installations. Si les arrêts programmés de tranches (pour rechargement combustible ou visites techniques) sont prévus à l’avance et planifiés généralement pendant les périodes creuses, d’autres événements aléatoires peuvent impacter la production. Les arrêts dus aux phénomènes de corrosion sous contrainte (Cf. Article BearingPoint sur la Corrosion sous Contrainte), aux catastrophes naturelles (séismes, etc.) ou aux incidents techniques et humains sont représentatifs. Ces événements sont considérés comme des évènements stochastiques (ou probabilistes), ils ne peuvent pas être prévus.
 

L'augmentation des importations d'énergie

La France a été confrontée à une augmentation significative de ses importations d'énergie au cours de l'année 2022 due à une production nette en recul de 15% [1]. Cela s'explique en partie par la réduction de la production d'énergie nucléaire, mais également par une diminution de la production d'énergies renouvelables. La dépendance accrue à l'égard des importations d'énergie a fragilisé la souveraineté énergétique de la France, elle est devenue plus vulnérable aux fluctuations des prix internationaux et aux éventuelles pénuries.

Le 26 août 2022, le géant gazier russe Gazprom avait annoncé l’interruption des livraisons de gaz naturel via les gazoducs Nord Stream 1, mettant en défaut la plupart des pays de l’Union Européenne, dépendante à 45% de cette source d’énergie. En 2021, sur les 400 milliards de m3 de gaz consommés par les entreprises et les particuliers, 155 milliards provenaient de la Fédération de Russie. La relance économique des pays occidentaux due à la sortie de crise du Covid-19 vient aggraver cette pénurie d’énergie, faisant grimper le cours du baril de pétrole Brent à 129,10 USD [6] (environ 95,66€), un des plus hauts pics de son histoire. Afin de répondre à cette crise, la commission européenne a lancé un plan baptisé REPowerEU afin d’affranchir l’UE de sa dépendance au gaz russe d’ici 2027 [7]. La mise en œuvre intégrale des propositions de la Commission « Ajustement à l’objectif 55 » permettrait de réduire la consommation de combustible fossile de 30%, ce qui accélérerait également, par ce biais, l’atteinte de l’objectif Net Zero en 2050. L’UE s’est mise en ordre de bataille afin de se préparer à l’hiver 2023 qui, d’après un modèle européen ECMWF, risque d’être plus froid que les précédents. Diversifier ses sources d’approvisionnement en gaz (Etats-Unis, Algérie, Qatar, etc.), mettre en place des mesures incitatives de réduction de la consommation d’énergie de chauffage pour les particuliers et les entreprises, accélérer les maintenances des centrales d’énergie [8], réouvrir des centrales à charbon [9], toutes les mesures sont bonnes pour faire face à cette crise sans précédent depuis les deux chocs pétroliers de 1973 et 1979.
 

Le manque de diversification énergétique

Une autre raison de la perte de souveraineté énergétique de la France en 2022 est le manque de diversification de son mix énergétique, notamment pour répondre aux besoins de courts termes. Bien que la France ait une capacité importante en énergie nucléaire et que cette énergie soit pilotable, elle n'a pas suffisamment développé d'autres sources d'énergie alternatives pour répondre à court terme à la demande en cas de besoin. L'absence d'une diversification énergétique adéquate a rendu la France dépendante de sources d'énergie importées, compromettant ainsi sa souveraineté. En effet, le nucléaire seul n’est pas capable de répondre à la demande, surtout pendant la période hivernale. Il y a une vraie nécessité d’avoir des énergies complémentaires qui doivent être renouvelables afin d’être compatible avec les objectifs de décarbonation pour 2050 (accords de Paris, etc.), alors que les études de développement montrent que de nouveaux EPR2 ne seront pas mis en exploitation avant 2035. 

Même un parc nucléaire constitué de réacteurs prolongés et d’un nombre important de nouveaux réacteurs ne peut suffire à assurer l’alimentation d’une consommation de 645 TWh d’ici 30 ans et, a fortiori, d’une consommation de 750 TWh. Une étude RTE conclut, sans aucune ambiguïté, le caractère indispensable d’un développement soutenu des énergies renouvelables électriques en France pour respecter ses engagements climatiques et sa souveraineté. [10]

Les contraintes environnementales

La France s'est également heurtée à des contraintes environnementales plus rudes ces dernières années. Les politiques visant à réduire les émissions de gaz à effet de serre et à favoriser les énergies renouvelables ont entraîné des restrictions sur certaines sources d'énergie traditionnelles. Cela a, par exemple, conduit à la fermeture de la centrale thermique du Havre (fonctionnant au charbon) en 2021, ou à celle de Porcheville, dans les Yvelines, en 2017.  Bien que ces mesures soient essentielles pour lutter contre le changement climatique, elles ont également eu un impact sur la souveraineté de la France, en limitant sa capacité à produire de l'énergie de manière autonome.

Par ailleurs, la situation de stress hydrique qu’a connu la France en 2022 est venue peser sur la production hydraulique, première source d’énergie renouvelable. Cette année, l’électricité produite par les barrages a connu un déclin. La production hydroélectrique a atteint en 2022 son "plus bas niveau" depuis la sécheresse de 1976. Celle-ci a en effet chuté de 20% par rapport à la moyenne 2014-2019, avec seulement 49,6 TWh produits en 2022. RTE impute ce recul aux “conditions climatiques exceptionnellement chaudes et sèches".

Le parc nucléaire nécessite lui aussi une importante quantité d’eau, pour pouvoir refroidir les réacteurs et les installations. D’après la Société française d’énergie nucléaire, la production nucléaire représente en moyenne entre 5 à 10% de la consommation annuelle d’eau du pays.

Les risques de sécheresse pèsent donc fortement sur les perspectives françaises de production électrique, en particulier du côté des énergies hydraulique et nucléaire.

La perte de souveraineté énergétique de la France en 2022 est le résultat de plusieurs facteurs interconnectés. La réduction de la part du nucléaire, l'augmentation des importations d'énergie, le manque de diversification énergétique et les contraintes environnementales ont tous contribué à cette situation préoccupante. En dépendant davantage des sources d'énergie importées, la France s'est retrouvée vulnérable aux fluctuations des prix internationaux et aux éventuelles pénuries. Pour rétablir sa souveraineté énergétique, la France doit s'engager dans une transition énergétique équilibrée, en promouvant à la fois les énergies renouvelables et le nucléaire tout en assurant une diversification adéquate de son mix énergétique. Il est essentiel de soutenir la recherche et l'innovation pour développer des solutions énergétiques durables, autonomes, et compétitives. En garantissant une approche équilibrée et stratégique, la France peut retrouver une plus grande indépendance énergétique et renforcer sa résilience face aux défis futurs en saisissant l’opportunité que constituent ces pénuries en ressources énergétiques car, comme le disait Victoria Principal, « chaque crise est une chance ». 


Acteurs :
Aniss Lyamani, Consultant
Julien Bos, Manager

Sources :

[1] Bilan électrique 2022 - Un système électrique français résilient face à la crise énergétique | RTE (rte-france.com)
[2] Commission d'enquête visant à établir les raisons de la perte de souveraineté et d'indépendance énergétique de la France - Assemblée nationale (assemblee-nationale.fr)
[3] https://pris.iaea.org/PRIS/CountryStatistics/CountryDetails.aspx?current=FR
[4] Les émissions carbone du nucléaire français : 4g de CO2 le kWh - Sfen
[5] L’éolienne offshore Haliade d’Alstom installée au large des côtes belges produit ses premiers KWh | Alstom
[6] Prix du baril - Le cours officiel du pétrole
[7] REPowerEU: une énergie abordable, sûre et durable pour l’Europe (europa.eu)
[8] Fissures : le parc nucléaire sous contraintes | Techniques de l'Ingénieur (techniques-ingenieur.fr)
[9] En Allemagne, la laborieuse réouverture des centrales à charbon (france24.com)
[10] Futurs-Energetiques-2050-principaux-resultats_0.pdf (rte-france.com)

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