Le troisième Plan national d’adaptation au changement climatique (PNACC-3) a été dévoilé par Michel Barnier il y a un mois, le vendredi 25 octobre 2024. L’un des 5 objectifs clés du Plan est d’assurer la résilience des territoires, infrastructures et services essentiels et deux mesures concernent précisément les gestionnaires d’infrastructures stratégiques.

Alors concrètement, comment assurer la résilience de vos infrastructures ? Quels aléas principaux menacent vos infrastructures selon votre secteur d’activité ? Comment procéder avec méthode pour s’adapter au changement climatique ? 

Des risques différenciés selon les secteurs d’activité, nécessitant des actions d’adaptation ciblées

Un risque se matérialise lorsqu’une infrastructure exposée et vulnérable fait face à un aléa climatique. 

 L’exposition d’une infrastructure au changement climatique se réfère à sa propension à être affectée par des aléas climatiques. L’exposition est déterminée par plusieurs facteurs : la localisation géographique, la nature de l’infrastructure, la fréquence et intensité des aléas climatiques...¹

Pour réduire les risques, une stratégie d’adaptation cherche à diminuer la vulnérabilité d’une infrastructure aux aléas climatiques et à prendre en compte l’exposition des sites. 

Les aléas climatiques impactent différemment chaque secteur d’activité et leurs conséquences varient selon les types d’infrastructures concernées. Pour illustrer cette hétérogénéité, nos équipes ont réalisé une analyse comparative de quatre secteurs : ferroviaire, énergie, portuaire/fluvial et aéroportuaire.  

Les actions mises en place par les gestionnaires d’infrastructure diffèrent également. Les actions d’adaptation doivent être adaptées au contexte et aux risques identifiés.

Face à ce constat, comment définir une stratégie d’adaptation au changement climatique ? Par où commencer pour être efficace et prioriser les bonnes actions ? Comment se structurer et accompagner le changement de paradigme ? 

¹ https://www.cerema.fr/system/files/documents/2020/07/cp_infrascc_ptitessentielnumerique_v2.pdf
Périmètres analysés : SNCF Réseau et Network Rail, Enedis, RTE, EDF, Voies Navigables de France (VNF), HAROPA Port, Aéroports de Paris, autres aéroports dans le monde (presse)

4 clés de succès pour s’adapter et anticiper au mieux le changement climatique plutôt que d’en subir les effets

 

Clé de succès 1 : Se doter d’une méthodologie permettant d’évaluer la criticité des risques et développer des scénarios pour aider à la décision  

Pour réussir un diagnostic fin des risques, l’analyse est cadrée sur les sites/systèmes/processus à fort enjeux. Une analyse d’exposition aux aléas climatiques (actuels et futurs) couplée à une analyse de vulnérabilités doit être réalisée. Le croisement permet d’évaluer la criticité des risques. Pour réussir ce diagnostic, l’enjeu clé est de disposer de données initiales, le cas échéant sur l’ensemble de la chaîne de valeur d’une entreprise, et d’avoir la capacité de les analyser grâce aux outils adéquats (voir notre clé de succès #2 concernant les outils). 

Elaborer différents scénarios d’évolution climatique et différents scénarios de réponse pour éclairer les choix économiques et opérationnels et mettre en regard les coûts et les bénéfices. Cette méthode est de plus en plus utilisée sous l’impulsion de la TCFD (Task Force on Climate-related Financial Disclosure). Ainsi, le groupe La Poste a élaboré trois scénarios d’évolution climatique, accompagnés d’un récit pour ensuite définir la stratégie du groupe.  

Construire une stratégie globale d’adaptation au changement climatique, en déclinaison des objectifs fixés au niveau national, qui regroupe l’ensemble des informations clés (objectifs, synthèse du diagnostic, matrice des risques, plan d’action, gouvernance etc…). Ainsi, Aéroports de Paris a inscrit ses actions d’adaptation au sein de son plan stratégique de vigilance 2023. SNCF Réseau a publié en août 2024 sa stratégie d’adaptation au changement climatique.  

A titre d’illustration, Network Rail, gestionnaire d’infrastructure ferroviaire au Royaume-Uni, dispose d’une stratégie détaillée d’adaptation qu’il fait évoluer depuis les années 2010. Les bonnes pratiques mises en place incluent : 

  • Évaluation des risques axée sur quatre catégories : Sécurité/Santé/Environnement, Performance, Finance, et Satisfaction & Réputation 
  • Intégration de la résilience climatique dans la gestion des actifs pour maintenir un réseau ferroviaire fiable face au changement climatique 
  • Mise en place d’une gouvernance spécifique et définition de responsabilités claires pour chacun des plans d’action définis

Clé de succès 2 : Innover et s'outiller en mobilisant la technologie

L’adaptation au changement climatique n’est pas seulement une nécessité, mais aussi une opportunité pour stimuler l’innovation. Les défis posés par ce phénomène global incitent les entreprises et les institutions à repenser leurs modèles, à développer de nouvelles technologies et à exploiter des marchés émergents.  

Le BIM (Building Information Modeling) permet par exemple de mesurer et suivre les émissions de carbone tout au long du cycle de vie des infrastructures, favorisant ainsi une construction durable et résiliente. Dès la conception, il aide à identifier les solutions énergétiques et matérielles les plus efficaces, facilite l'analyse des performances et la gestion du cycle de vie.  

De nombreuses start-up se sont également saisies de ce défi en proposant des solutions innovantes pour répondre à l’urgence climatique. L’entreprise californienne Aclima est notamment spécialisée dans la mesure et l'analyse de la qualité de l'air et des gaz à effet de serre. Les données fournies par cette compagnie peuvent alors être utilisées par les urbanistes pour concevoir des villes plus résilientes.  

Une autre start-up qui change la donne est Jupiter Intelligence, spécialisée dans l’analyse des risques climatiques. Elle propose des données aux organisations et aux gestionnaires d’infrastructures pour évaluer, tarifer et gérer leur exposition aux risques climatiques physiques.  

Enfin, la disponibilité de grands jeux de données et l’augmentation des ressources de calcul ont également permis de développer des algorithmes d’IA performants dans le domaine de la prévision météorologique² , et leur exploitation opérationnelle semble désormais envisageable à court ou moyen terme. Cela permettrait alors aux GI de mieux anticiper les évènements climatiques extrêmes et prendre des mesures préventives pour protéger les infrastructures.

Clé de succès 3 : Accompagner le changement de paradigme au sein des entreprises et intégrer la dimension d’adaptation dès les phases amont des projets 

Mettre en place une gouvernance adaptée pour piloter la stratégie d’adaptation

S’il n’existe pas d’organisation standard, il est néanmoins important de bien distinguer les responsabilités ayant trait aux actions d’atténuation de celles d’adaptation au changement climatique. Le portefeuille du suivi des politiques d’adaptation peut être rattaché, selon les entreprises, à la direction de la stratégie, au secrétariat général, à la direction RSE… La configuration retenue doit permettre de piloter efficacement la feuille de route et de mettre en place des instances bien interfacées avec  la gouvernance globale de l’entreprise.

Il est important d’identifier des indicateurs d’avancement et de résultat en amont. Contrairement à l’atténuation, il n’existe pas de mesure universelle de l’adaptation du changement climatique. Un travail est à engager sur la définition d’indicateurs de résultats propres à chaque entreprise permettant de mesure les « impacts évités » par les actions d’adaptation (réduction du nombre d’incidents liés à la mal-adaptation…).

Sensibiliser et former les employés

Offrir des formations sur les risques climatiques et les pratiques durables permet de favoriser une culture de résilience en encourageant une attitude proactive et flexible face aux défis climatiques. Des outils prêts à l’emploi comme la fresque de l’adaptation³ peuvent être mobilisés ou bien des outils spécifiques peuvent être développés pour une approche sur mesure⁴.

Intégrer la dimension d’adaptation dès les phases de cadrage des grands projets pour opérationnaliser le changement.

Si les nécessités liées à l’adaptation au changement climatique peuvent entrer en contradiction avec des enjeux financiers, techniques ou de planning, il est important d’intégrer le plus en amont possible cette dimension dans les grands projets. Par exemple, la Société des Grands Projets (SGP) passe désormais d’une approche Design To Cost qui vise à minimiser les coûts et maximiser la rentabilité d’un projet (matériaux, processus, choix des fournisseurs …) à une approche Design to Planet qui intègre les dimensions environnementales et de durabilité dans le processus de conception et dans ses cahiers des charges. Cette nouvelle approche représente un différenciant clé de la SGP sur le marché de la construction d’infrastructures.

Clé de succès 4 : Impliquer toutes les parties prenantes et développer des approches partenariales 

Il est essentiel d'impliquer tout l'écosystème qui peut avoir un impact sur les infrastructures dans les stratégies d'adaptation au changement climatique.

Au niveau local, il s’agit d’impliquer les riverains et les collectivités territoriales aux abords des emprises des infrastructures. Par exemple, pour limiter les risques d’inondation des rails, les riverains et particulièrement les exploitations agricoles peuvent mettre en place des actions de gestion des eaux. Ce type d’approche est déjà mis en place chez SNCF Réseau dans le cadre des projets Végétation (convention d’entretien avec les riverains, partenariats avec l’Office National des Forêts⁵…).

Il est également important de dialoguer avec les acteurs de la filière industrielle, y compris les fournisseurs, pour encourager des réflexions sur l’adaptation en cohérence avec les efforts des gestionnaires d’infrastructure.

Les gestionnaires d’infrastructures d’un secteur peuvent développer des logiques partenariales avec leurs homologues des pays voisins pour partager les bonnes pratiques et organiser des groupes de travail sur les éventuelles interfaces communes. Par exemple, le programme PRIME (Partnership for Railway Infrastructure Managers in Europe) illustre bien cette approche en facilitant la coopération et l’échange de connaissances entre les gestionnaires d’infrastructures ferroviaires européens.

Enfin, les gestionnaires d’infrastructure des différents secteurs, souvent cloisonnés, ont un intérêt commun à travailler ensemble. Ils sont souvent interconnectés, témoignant de l’importance d’une approche globale de l’adaptation. Ainsi, les réseaux d’énergie alimentent les autres gestionnaires d’infrastructure, tandis que les différents réseaux de transport (routier, ferroviaire, fluvial, aéroportuaires) sont souvent imbriqués dans le trafic de marchandises ou de passagers.

Des projets pilotes de plateforme de dialogue multi-acteurs pourraient être mis en place pour faire progressivement émerger des instances régulières de discussion sur l’adaptation au changement climatique.

²  L’intelligence artificielle pour la prévision du temps, CNRS de Toulouse
³  https://ateliers-adaptationclimat.fr/
⁴ Guide du MEDEF sur l’adaptation climatique, juin 2024
⁵ ONF, projet Rail Bois

Face aux défis posés par le changement climatique, définir une stratégie d’adaptation efficace commence alors par une évaluation rigoureuse des risques menaçant nos infrastructures. Il est crucial de prioriser les actions en fonction de la criticité des risques identifiés et de mobiliser des technologies innovantes pour anticiper les impacts climatiques. Une gouvernance adaptée, intégrant la dimension d’adaptation dès les phases amont des projets, est essentielle. Enfin, impliquer toutes les parties prenantes favorise ce changement de paradigme nécessaire vers une résilience accrue des infrastructures.

Auteurs :
Caroline Perrin, Associée
Edouard Chambalu, Senior Manager
- Louise Mayer, Business Analyst
Arnaud Willain, Business Analyst