Stratégies commerciales et marketing B2B2C
La « commoditisation » est un risque systémique frappant de nombreux industriels évoluant dans des marchés intermédiés B2B2C. Par le jeu de la mise en concurrence chez les grands distributeurs, d’une trop faible différenciation, ou d’une nouvelle concurrence à bas coût venue d’ailleurs, la commoditisation d’un marché s’avère létale pour ses acteurs les plus fragiles. Pourtant, les réflexes des dirigeants industriels seront là : approches lean pour faire face à la guerre des prix, qualité et innovation produit, ménagement des grands clients du portefeuille.
Mais deux autres leviers fondamentaux, porteurs d’avantages concurrentiels par la « mise sous contrôle », sont souvent sous-investis par manque de savoir-faire ou de focus suffisant sur la chaine commerciale :
Objectif : « tirer » la demande par le refocus des investissements commerciaux et marketing selon la réelle influence de chaque acteur de la chaine de distribution sur le choix d’une marque ou d’un produit - leur « poids décisionnel » -.
Quoi de plus « commode » qu’une baguette de pain ?
Pour le boulanger, « industriel » à son échelle, marquer sa différence pour survivre dans un environnement ultra concurrentiel relève du tour de force. Voilà plus de 30 ans maintenant que les boulangers ont misé sur l’innovation pour sortir du lot (pains spéciaux, « baguette traditions » ...). Au-delà de la qualité même du pain qui reste un élément capital, l’innovation produit a permis à de nombreuses boulangeries de survivre, voire de développer significativement le business, face aux concurrents de la rue d’en face et à la concurrence grandissante de la grande distribution.
Mais disposer d’une offre « différente », qui adresse les mêmes besoins fondamentaux des clients, et dont la valeur perçue se paie parfois plus chère, ne fait pas entièrement le succès d’une boulangerie : la qualité de la relation et de l’expérience client proposée rentrera en ligne de compte pour le client.
Plus rare, certaines boulangeries ont bénéficié d’un autre aspect : la communication. L’exemple le plus flagrant reste celui de la « Boulangerie Moderne » dont les locaux et l’image sont loués pour les besoins de la série mondialement célèbre « Emilie in Paris ». Depuis 3 ans, Emilie se délecte des croissants et autres viennoiseries de cette petite boulangerie du 5ème arrondissement de Paris. Il n’a fallu qu’un temps pour que des hordes de curieux y fassent la queue pour y déguster des créations boulangères (+40% de clients touristes en semaine !). Et ce, malgré une qualité de produit largement critiquée sur les réseaux sociaux, y compris par son propre propriétaire : « Nous restons une boulangerie de quartier classique, on n’a jamais prétendu être autre chose. On n’est pas là pour vous vendre du rêve ! On fait de la bonne came, mais ne vous attendez pas à un truc de ouf (Sic)1 ».
En réalité, cette boulangerie vend bien « du rêve », malgré elle. Ce ne sont pas pour les produits que les clients sont venus, mais d’abord parce que la « marque » a été chargée d’un univers et s’est présentée à eux.
Il va sans dire que le Marketing de marque pour une boulangerie indépendante reste un fait rare.
Lorsqu’au début des années 90, Intel prenait le marché par surprise en communiquant massivement avec sa campagne « Intel Inside », l’industriel se bâtissait un point de contrôle majeur dans leur chaine de valeur : les clients se mettaient à exiger un processeur Pentium dans leur ordinateur, et rien d’autre. A toute la chaine de valeur de s’adapter en conséquence (fabricants-assembleurs de PC, distributeurs...). Malgré le grand scepticisme du marché à l’époque devant cette stratégie marketing coûteuse (250m$ !), chacun peut dire aujourd’hui que ce fut une réussite.
En 1986, Somfy, alors fabricant de moteurs pour volets roulant a aussi fait le pari fou de la communication en commençant par sponsoriser la météo sur Canal+. La stratégie portée par son dirigeant Jean-Philippe Demaël était de porter à la connaissance du grand public un produit que personne ne voyait. Le bénéfice direct a été « de conférer à la marque Somfy une notoriété plus importante que celle des fabricants de stores et de volets roulants qui sont nos propres clients.2 » selon Jean-Philippe Demaël. Avec une notoriété proche des 80%, un volet roulant motorisé est forcément de la marque Somfy pour une grande partie des consommateurs.
Farrow & Ball, fabricant de peinture, s’est constamment efforcée d’innover et a réussi à transformer l’image des peintures décoratives, passant de simples pots empilés dans les magasins de bricolage à des éléments d’expression et d’aspiration. Farrow & Ball a été le premier à s’adresser au client final en faisant de la peinture une déclaration de style de vie. La marque s’est tournée vers l’adoption précoce du web et des médias sociaux et continue aujourd’hui à alimenter son réseau de distribution spécialiste en investissant massivement dans cette stratégie.
Des exemples similaires sont légion : Schneider (équipements électriques), Michelin (pneumatiques), Thermor (chauffage), Velux (ouvrants), 3M (Scotch...), Gore-Tex (textile)...
Selon nos recherches, le budget marketing global (brand, opérationnel...) d’une entreprise industrielle oscille entre 1 et 10% du Chiffre d’Affaires (CA), hors masse salariale. Parmi les leaders, nous observons que la part « média » (TV, presse, digital, social) du budget dédié est comprise entre 1 et 2% du CA par an.
Les investissements média sont certes conséquents mais nos recherches3 montrent des niveaux de retour sur investissement (ROI) moyens positifs (CA généré par euro investi), oscillant entre 4,9 (TV, Radio), 3,9 (Affiliation & Display) et 6,6 (Facebook) pour les médias les plus contributeurs aux ventes.
Enfin, les investissements média apportent aux industriels des effets induits, leviers puissants de décommoditisation :
Nos recommandations clés :
Les industriels les plus performants construisent leur stratégie marketing et commerciale avec la notion de poids décisionnel en toile de fond.
Dans un schéma de distribution Industriel > Distributeurs > Pro/Détaillant > Clients finaux, le « poids décisionnel », c’est-à-dire l’acteur qui influence le plus le choix d’une marque ou d’un produit en particulier face à un besoin, se déplace de plus en plus vers le client final avec l’avènement du DIY et de l’accès à l’information.
Dans le secteur des équipements de la maison, les pro-installateurs, de plus en plus pointus, jouent très souvent le rôle de « conseil » pour les clients les plus indécis. Pour exemple, certains clients éclairés, en pleine rénovation énergétique de leur logement, « exigeront » une pompe à chaleur d’une marque/gamme spécifique à leur installateur. Dans d’autres cas de figure, le client s’en remettra au conseil de l’installeur expert dans le cadre d’un budget. Autre cas de figure, l’installateur se fournissant in fine auprès d’un distributeur spécialisé laissera le distributeur lui soumettre la meilleure offre selon les besoins exprimés.
Une stratégie commerciale Push+Pull vise à intensifier la relation avec les distributeurs (push) et surtout à « tirer la demande » en s’adressant au reste de la chaine de valeur (installateurs, clients, etc.). Plutôt que d’orienter uniquement la majeure partie de l’effort commercial sur les distributeurs (négociations tarifaires, visites ponctuelles en rayon, deal de promos, etc.), ceux-ci couvrent également les maillons intermédiaires de la chaine (installateurs, prescripteurs, etc.) par des actions de prescription et d’activation. L’enjeu majeur : créer du lien et faire de la marque la « marque préférée » d’un maximum d’installateurs en promouvant les arguments produits et les services qu’un distributeur ne fera que de manière limitée et non proactive.
Somfy construit et anime depuis plus de 20 ans son réseau d’installateurs-distributeurs « Experts ». Ces indépendants, agréés, disposent d’un panel de services et d’outils fournis par le groupe pour développer leurs ventes (plateforme digital pro, merchandising, formations, etc.) en contrepartie d’objectifs de croissance. Si bien que le groupe estime à 5 le coefficient multiplicateur4 de ventes d’un « Expert Somfy ».
Tout comme Somfy, d’autres industriels développent leur relation avec les installateurs/poseurs via leurs forces de vente (ou prescripteurs) à travers des plans de visites établis et pilotés. En parallèle, une activation digitale (campagnes emailing, newsletters, etc.) est également un bon moyen de fidéliser et développer la relation avec la marque et booster les ventes.
Les implications opérationnelles sont multiples : qualification et segmentation des installateurs, définition du modèle d’engagement par segment, définition des moyens et ressources associés, revues des outils de prescription, définition précise et « quanti » des objectifs de prescription en apport de valeur business, structuration de l’organisation hybride ou dédiée et des modalités d’animation de la filière.
A noter que si ce modèle d’animation représente un investissement, l’apport de valeur business doit faire partie de l’équation.
Ce type d’initiative est gagnant-gagnant pour le couple industriel-distributeur : les flux apportés au distributeur prouvent la force de la marque et les investissements consentis pour doper le business, ce qui peut entrer en ligne de compte lors des négociations annuelles. Dans certains cas, les apports d’affaires sont même assortis de tarifs prénégociés par le prescripteur (« dérogations »).
Nos recommandations clés :
La « commoditisation » n’est pas une fatalité. Même si l’innovation produit reste une priorité absolue, sur certains marchés elle ne suffit plus. Au-delà des enjeux de relation et d’expérience client, qui sont aussi des facteurs de différenciation à ne pas sous-estimer pour un industriel B2B2C, ils existent donc d’autres voies de travail pour renforcer son positionnement sur des marchés très intermédiés, trustés par des réseaux de grands distributeurs : le renforcement de la marque, la couverture complète de la chaine de valeur par des actions de prescription et de communication et l’orchestration d’un système d’apport d’affaires. Autour de la notion de poids décisionnel, l’industriel audacieux investira dans le lien avec le client final à travers des campagnes marketing et réorientera une grande partie de ses forces commerciales vers les réseaux de détaillants et professionnels.
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Auteur : Olivier Woerth, Directeur Associé
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