Depuis le début de la crise sanitaire en janvier 2020, les acteurs du monde de l’éducation et de la formation professionnelle se sont organisés afin de proposer de nouveaux formats pédagogiques pour que l’éducation soit et rese accessible à toutes et tous.

Face à l’urgence de maintenir un système éducatif fonctionnel, les professeurs, les administrations ainsi que les services supports des établissements se sont adaptés en amenant l’éducation et la formation directement aux apprenants, notamment en s’appuyant sur les outils numériques.

L’apprentissage à distance présente de nombreux avantages pour les apprenants, le corps pédagogique et les services administratifs :

  • Flexibilité et accessibilité : permettre à chacun d’apprendre depuis l’endroit qu’il souhaite et au moment opportun ;
  • Personnalisation : adapter le rythme d’apprentissage et identifier des pistes d’améliorations individuelles ;
  • Efficacité pédagogique : diversifier les outils permettant de diversifier les apports de connaissance pour s’adapter aux différents types d’apprentissage parfois de façon ludique ;
  • Gestion des données : prendre rapidement le « pouls » et mesurer la satisfaction des apprenants, suivre leur avancée dans le programme pédagogique et leurs
  • difficultés, connaître ses utilisateurs afin d’améliorer la qualité de service apportée.

La démocratisation de l’apprentissage à distance signe-t-elle pour autant la fin des modèles présentiels d’enseignement et de formation ? Quels sont les enjeux auxquels font face les acteurs du secteur de la formation et que mettent-ils en place afin d’y répondre ?

Découvrez avec nous les réponses de Yannick GIRAULT, Ecole Nationale d’Administration-Promotion T.E. Concorde (désormais INSP), Directeur de l’École nationale des Finances Publiques (ENFiP), Vice-Président du Réseau des Écoles du Service Public (RESP).


 L’École nationale des Finances publiques organise les préparations aux concours internes ainsi que tous les concours de la DGFiP, qu’ils soient externes et internes, assure la formation statutaire et anime la formation continue tout au long de l’activité professionnelle des agents et des cadres de la Direction Générale des Finances Publiques (DGFiP). Elle est aussi en charge de l’attractivité de la DGFiP dans la diversité de ses modes de recrutement et de ses métiers. 

Elle s’appuie sur des équipes de cadres qui exercent des fonctions d’enseignants, réparties dans l’ensemble de ses établissements de formation. Avec tous les personnels de la direction de l’École de Noisy le Grand et ceux des établissements et services présents sur le territoire (établissements de formation, de gestion des concours, de documentation, etc.), l’École est à l’écoute constante des besoins des métiers comme en atteste la publication annuelle du Plan national de la formation à la DGFiP. 

Dans le contexte de la transformation numérique des administrations publiques, elle veille à renouveler en permanence ses outils et méthodes pédagogiques (e-formation, formation distancielle, apprentissage simulé sur base-écoles, etc.). 

Son action s’inscrit également dans les grandes priorités du management et de la transformation portées par la Direction Générale de l’Administration et de la Fonction Publique (DGAFP). Enfin, elle prend part activement aux travaux du Réseau des Écoles du Service Public (RESP). 


Pouvez-vous nous présenter l’ENFIP en quelques mots ? Quels sont les enjeux auxquels fait face l’Ecole ? 

Yannick Girault : L’École nationale des Finances publiques est un service à compétence nationale qui existe depuis 2010 dans son format actuel. Placée sous l’autorité du directeur général des Finances publiques au sein du ministère de l’Économie, des Finances et de la souveraineté industrielle et numérique, elle s’inscrit à la suite de la création de la Direction Générale des Finances Publiques (DGFiP) et donc à l’unification des précédentes structures de formation. 

L’ENFiP propose des formations statutaires, continues et spécialisées dans tous les domaines métiers de la DGFiP, notamment ceux de la comptabilité, de la fiscalité, de la gestion publique et du conseil aux décideurs publics, du cadastre et de la gestion foncière, de l’informatique, etc. Chaque année, elle forme environ 6 500 agents des finances publiques (en formation statutaire) au sein de 6 campus répartis sur l’ensemble du territoire, à Noisy-le-Grand, Noisiel, Clermont-Ferrand, Lyon, Toulouse et Nevers. 

De part ces volumes et les sujets adressés y compris en formation continue - dont elle a aussi la responsabilité, avec notamment le Centre de formation professionnelle de Nevers et l’appui de 23 Centres interrégionaux de formation et leurs antennes (72 000 agents en 2022 en formation continue, en mode présentiel ou distanciel,  et plus de 8500 préparants aux concours) - l’ENFiP tient une place particulière au sein des écoles publiques, s’appuyant sur environ 300 formateurs permanents ainsi que des professionnels assurant des formations théoriques et pratiques. 

La crise sanitaire a joué un formidable rôle d’accélérateur pour faire évoluer les modes d’enseignements de l’École dans leurs différentes dimensions (format des cours, matériels informatiques, communication avec les apprenants, etc.). Nous avons notamment su capitaliser sur trois leviers : 

  • les formations en ligne  “eFormation”, grâce à un mouvement innovant lancé dès 2014, constitué actuellement d’une bibliothèque de plus 200 thèmes, dont le support technique est confié à l’Institut de la gestion publique et du développement économique (IGPDE) ; 
  • l’équipement de tous les agents en formation initiale de PC portables dès 2019, puis la mobilisation de classes virtuelles avec les licences Blackboard ; 
  • une organisation solide de collaborateurs internes investis sur les outils et l’innovation pédagogique que mon expérience précédente, acquise à la direction du SCN Cap Numérique de la DGFiP, a pu encourager pour dessiner une trajectoire ambitieuse. 

À l’issue de la crise sanitaire, nous avons constaté que nos formateurs et nos apprenants exprimaient un fort besoin de recréer des liens physiques et de retrouver, notamment à travers la formation professionnelle présentielle, une relation inter-personnelle qui caractérise la pratique des métiers à la DGFiP. Mais chacun a également ressenti que nous changions d’époque, que les usages numériques connus des jeunes lauréats dans leurs cursus antérieurs de formation ne pouvant s’arrêter aux portes de l’ENFiP et que le télétravail doit aussi être appris à l’École avec un enseignement innovant. 

Aussi, nous sommes désormais totalement orientés vers une ingénierie pédagogique innovante, avec l’hybridation progressive des formations, soit un jour sur 5 en formation initiale totalement distancielle en autonomie. Au travers de ce projet « Ariane », nous ambitionnons, d’ici 2024, de réaliser cette formation dans cette proportion 80/20 sur l’ensemble des cycles de formation initiale, avant bien sûr que cette même démarche procure encore plus de souplesse à la formation continue. 

Je crois que c’est un enjeu crucial d’adaptation, mais aussi un enjeu de convergences avec les autres grandes écoles du service public et le monde universitaire. Par exemple, de récents échanges établis avec l’INSP pour le cycle de formation initiale des futurs administrateurs de l’État nous ont permis de répondre à la fois à une attente pédagogique présentielle, mais aussi de mobiliser des outils d’e-learning établis par l’ENFiP. 

Au niveau de la formation supérieure et universitaire, ces modes de formation sont en cours de déploiement mais l’École souhaiterait que ce rapprochement des usages innovants soit une opportunité nouvelle, que nos stagiaires bénéficient de parcours certifiants permettant d’enrichir leurs compétences et leur profil. Une même réflexion pourrait d’ailleurs être conduite sur la place des doctorants dans nos organisations. 

Et puisque l’ENFiP est engagée dans une politique volontariste d’attractivité, comme en témoignent les signatures récentes de conventions de partenariats avec les réseaux des CPAG/IPAG, des IAE et avec certains IEP, nous devons pouvoir décrire de nouveaux partages de savoirs et d’outils de formation. 

Nous regardons d’ailleurs aussi les expériences conduites dans le cadre du Réseau des écoles du service public et nous avons la chance de conduire des échanges inter-Ecoles pour apprendre à travailler ensemble et préparer le cadre de travail de demain, qui devra être très largement interministériel et décloisonné. 

Comment avez-vous accompagné vos équipes dans les usages de ces nouveaux modes d’apprentissage ? 

Yannick Girault : Afin d’appuyer cette ambition, nous nous sommes équipés d’une nouvelle plateforme Learning Management System, Moodle et avons recruté une équipe d’une dizaine de motions designer afin d’outiller l’Ecole. Nous avons aussi fait appel à un prestataire extérieur pour nous accompagner sur l’ingénierie pédagogique tout en laissant à la main des équipes pédagogiques, sous le regard attentif des équipes de direction, la sélection de ce qui pouvait ou non être réalisés à distance (en e-learning ou visioconférence) dans le cadre des parcours de formation. Cela a été un réel facteur de succès et de motivation : comme ailleurs, l’innovation numérique n’est pas d’abord une affaire de technologies, mais de sens, de trajectoire partagée. En plaçant à la fois les attentes des stagiaires et le savoir-faire des enseignants au cœur de notre démarche, nous avons avancé avec rapidité sur un mode de sprint, en prenant soin de jalonner le projet de RetEx. D’ici à la fin 2023, ce seront des milliers de stagiaires qui auront utilisé nos centaines de capsules numériques, quiz, vidéos et autres outils d’apprentissage ! 

Notre souhait est de faire évoluer nos formations vers un modèle hybride : aujourd’hui, nous sommes dans une phase de montée en puissance où l’augmentation des volumes de stagiaires présents dans les établissements, du fait du fort renouvellement générationnel, ne nous permet pas d’atteindre tout de suite notre cible. Mais une fois passée la « bosse » démographique, à l’horizon 2025/2026, nous pourrons enrichir nos formations avec plus d’hybridation distanciel/présentiel. 

Afin de soutenir tous les formateurs qui ont déjà tous été précédemment sélectionnés sur la base d’aptitudes pédagogiques et techniques, nous allons créer en 2023 un nouveau stage interne de validation des acquis pédagogiques prenant en compte les sujets liés à la formation à distance. Nous souhaitons également disposer, au sein même des établissements, de quelques salles pouvant accueillir des cours dans un format mixte, du bi-modal à l’état de l’art ! 

Sur l’ensemble de nos dispositifs, je souhaite rester à l’écoute de toutes les parties prenantes (enseignants, stagiaires, personnels administratifs, etc.) et capitaliser sur nos projets. Nous organisons, de manière très régulière, des retours d’expérience qui ont été l’occasion de bilans très positifs, permettant d’ajuster notre modèle et nos modalités pédagogiques. Si dans un format de pédagogie présentielle notre taux de décrochage a toujours été faible grâce à l’organisation de séances de rattrapage et de tutorat, pour les apprenants en difficulté, nous devons aller encore plus loin dans une approche bienveillante et personnalisée ! 

L’un des avantages de l’apport de solution numérique dans nos systèmes éducatifs est aussi celui de la gestion de la donnée. Grâce à Moodle, nous avons de nombreuses données dont l’exploitation nous permettra notamment, à terme, de différencier nos parcours selon le niveau de nos apprenants. Cela reste aujourd’hui un terrain d’investissement puisque nous n’utilisons, je crois, qu’environ un tiers des données que nous collectons grâce à la plateforme. Dès lors que l’ENFiP est une école de formation d’application technique, nous n’avons pas d’enjeu de classement (c’est l’affaire du concours d’entrée !), nous souhaitons pouvoir, à terme, renforcer les acquis de chacun et permettre aux stagiaires qui le souhaitent d’aller plus vite et à un rythme plus soutenu, comme en formation continue.

Quels enjeux futurs identifiez-vous dans les domaines de l’éducation et de la formation à distance ?  

Yannick Girault : J’ai le sentiment que le 100% numérique n’est pas dans l’immédiat une option pour une école d’application technique. Il faut davantage hybrider nos savoir-faire. 

Certes les réalités sont prégnantes : 40% de nos agents en formation initiale sont issus de concours internes et sont donc déjà dans un monde professionnel où le télétravail est pleinement déployé. Nous ne pouvons plus proposer une formation exclusivement en présentiel. Elle ne correspondrait plus aux postures professionnelles de nos apprenants et les universités et autres écoles supérieures sont déjà pleinement actrices de la formation digitale. Cependant, la formation à des métiers techniques suppose l’accès à de nombreuses applications pour porter des « gestes métiers » en environnement le plus proche possible des services locaux, avec un partage d’expériences dont les stagiaires issus des services locaux (c’est-à-dire lauréats des concours internes) ont un rôle majeur. Nous allons donc vers un modèle de formation hybride devant s’adapter aux apprenants grâce à la formalisation d’un portefeuille d’outils numériques permettant d’accompagner au mieux les apprenants dans leur formation. L’acte de formation doit rassembler, favoriser l’échange interpersonnel et faciliter le progrès de chacun. Il y a encore de l’avenir à du présentiel pour des actions longues de formation, sans doute une part moindre qu’actuellement pour les actions ponctuelles, un peu comme nous l’avons pressenti en s’engageant dès 2014 à construire une solide bibliothèque virtuelle de plus de 230 e-formations ! 

Maintenant, c’est un long chemin : nous avons encore beaucoup à apprendre du numérique, d’où notre objectif de lancer et tester des projets, mais aussi de réaliser une veille des expérimentations en cours. Par exemple, l’Institut National du Travail, de l’Emploi et de la Formation Professionnelle s’engage vers des formations immersives avec une technologie 3D permettant d’illustrer concrètement ce qu’est le métier d’inspecteur du travail aux apprenants. 

Dans nos promotions de recrutement par concours, nous constatons un fort esprit de cohésion. Cela met en lumière l’importance de la formation en présentiel qui permet d’entretenir l’esprit collectif mais aussi le rôle des formateurs. N’ayons pas peur de cette contradiction apparente : en nous s’éloignant du présentiel systématique, nous en renforçons sa valeur. La manière d’utiliser la formation présentielle dans un parcours de formation doit donc être repensée. Cela souligne également qu’il n’y a pas de formations sans formateur.Ce sont eux qui ont la connaissance et qui peuvent la transmettre ! Nous souhaitons valoriser le facteur humain et créer les conditions d’un vrai passage de relais selon les attentes de chacun. 

Interview réalisée par Séverin de Crémiers et Lucie Cadinot, rédigée par Pierrick Lallemand 

 

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