On parle généralement du leapfrog africain pour qualifier le bon technologique du continent dans certaines branches du secteur tertiaire, notamment bancaire et télécom. Le secteur primaire est quant à lui souvent considéré comme le parent pauvre du développement, avec une agriculture africaine essentiellement vivrière et faiblement productive, ne permettant pas aux paysans de dégager des revenus suffisants. Pourtant, le continent dispose de 60% des terres arables inexploitées de la planète et le secteur primaire emploie environ 65% de la main d’œuvre.

L’autosuffisance alimentaire du continent avoisine aujourd’hui les 80%, mais provient essentiellement de l’agriculture vivrière. Chaque année, l’Afrique importe environ 45 milliards d’euros de denrées alimentaires, principalement des produits de première nécessité tels que le riz et le blé. D’après la BAD les importations alimentaires de l’Afrique pourraient atteindre 91 milliards d’euros en 2025, ce qui creuse d’autant plus la balance commerciale du continent. De fait, alors que la population est amenée à doubler d’ici 2050, comment produire suffisamment et de façon durable dans une Afrique qui se réchauffe ?

L’agriculture africaine : un champ du possible

Le système de production agricole du continent doit indéniablement évoluer, à la fois pour accroître sa production et pour faire preuve de résilience face au changement climatique. Pour ce faire, différentes voies peuvent être envisagées.

La première est l’agriculture conventionnelle, très plébiscitée par les Etats-Unis qui ont déjà investi plusieurs centaines de millions de dollars sur le continent. Elle s’appuie sur la chimie, la mécanisation et la sélection de variétés à haut rendement. Au XXe siècle, l’agriculture conventionnelle a permis des gains de productivité importants et une baisse des coûts de production. Toutefois ces gains ne sont pas sans conséquence : destruction de la biodiversité, érosion des sols, pollution des eaux, endettement des paysans, dépendance aux subventions étatiques. Il est donc légitime de s’interroger sur le caractère soutenable de ce modèle.

L’agriculture raisonnée ou l’agriculture biologique pourraient constituer des alternatives moins polluantes. La première cherche à optimiser le résultat économique en maîtrisant les quantités d’intrants, notamment les substances chimiques utilisées dans le but de limiter leur impact sur l’environnement. L’agriculture biologique exclut quant à elle l’utilisation de produits chimiques de synthèse, des OGM et limite l’emploi d’intrants.

Enfin, une autre voie de plus en plus plébiscitée, est celle de l’agroécologie.  Elle constitue une approche globale qui concilie agriculture, écologie, productivité, activité humaine et biodiversité. L’objectif est de valoriser les agro-écosystèmes en optimisant la production et en minimisant les intrants.

L’agroécologie un potentiel à exploiter 

L’agroécologie repose sur des principes simples : fertilisation naturelle des sols, optimisation des ressources en eau, réintroduction de végétaux pour combattre l’érosion, pratique de la polyculture afin d’augmenter la résistance et la résilience des écosystèmes, etc. Il s’agit d’une agriculture plus intensive en termes de connaissances mais moins en intrant. Elle demande de la créativité et exige une transmission du savoir et, par-là, revalorise les métiers agricoles.
Son efficacité n’est plus à prouver comme au Tigray en Ethiopie où la productivité des cultures de céréales a crû de 60% entre 2003 et 2006 tout en diminuant les quantités utilisées d’engrais. La démocratisation de fermes agroécologiques permettrait à l’Afrique d’endiguer de nombreux défis sociaux et environnementaux auxquels elle est confrontée.

Premièrement, elle permet d’améliorer la sécurité alimentaire et nutritionnelle. Le rétablissement des écosystèmes et de la qualité des sols permet d’accroître la productivité des terres ainsi que l’apport calorique des espèces qui y sont cultivées.

Deuxièmement, elle contribue à limiter les risques économiques auxquels sont souvent confrontés les paysans. La polyculture assure une diversification des risques liés à la production d’une culture unique : maladies, intempéries, ravageurs, etc. Par ailleurs le cultivateur ne dépend plus de l’utilisation d’intrants chimiques coûteux et fréquemment synonyme d’endettement.

Le recours à la main d’œuvre plutôt qu’à des machines permettrait au secteur agricole, s’il se développe vers la voie de l’agroécologie, de constituer une source d’emplois importante pour la jeunesse du continent.

L’agroécologie apparaît également comme une réponse pertinente à la problématique d’adaptation agricole des régions sèches. En stockant une quantité de carbone importante dans les sols elle contribuerait à lutter contre le changement climatique.

Enfin, l’agroécologie véhicule une forte dimension sociale et culturelle. Des savoirs agricoles ancestraux et souvent oubliés, tels que la pratique du zaï[1] ou de la demi-lune sont revalorisés, le maintien du lien social et le développement de circuits courts sont encouragés.

Les conditions nécessaires à la pratique de l’agroécologie sont peu coûteuses à mettre en œuvre et facilement applicable aux petites exploitations communément rencontrées en Afrique. Elles résident principalement dans l’acquisition du savoir et de la connaissance des sols. 

De fait, les programmes visant à promouvoir l’agroécologie et ses bienfaits se multiplient sur le continent et sont encouragés par de nombreuses organisations internationales : l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), la Banque africaine de développement (BAD), l’Agence Française de Développement (AFD), la Deutsche Gesellschaft für Internationale Zusammenarbeit (GIZ), etc. Parmi les plus populaires, la ferme SONGHAI, fondée en 1993 à Porto Novo (soutenue par l’AFD), ou encore la ferme Yelemani au Burkina Faso, fondée par Blandine Sankara sœur cadette du président révolutionnaire. A plus grande échelle, le Sénégal est depuis 2015 fortement engagé vers une transition agroécologique. Portée par le président de la République sénégalaise, la transition s’inscrit parmi les cinq initiatives majeures du Plan d’Action Prioritaire de la deuxième phase du Plan Sénégal Emergent (2019-2024).

La transition vers une agriculture plus durable n’est pas un luxe mais une nécessité. La transition agroécologique est au centre des objectifs de développement durable (ODD) définis par les Nations Unies, notamment les suivants :

  •  ODD 2 : «  Zéro Faim »
  • ODD 13 : « Lutte contre le changement climatique »
  • ODD 15 : « Vie terrestre »
  • ODD 12 : « Consommation et production responsables » 
  • ODD 1 : « Pas de pauvreté »

Les acteurs publics comme privés disposent des moyens nécessaires pour favoriser la transition vers l’agroécologie.
Pour les acteurs publics, il peut s’agir d’investissement dans l’éducation, de la mise en place de programmes de formation dédiés, d’accompagnement à la création de projets, de revalorisation des métiers agricoles ou de politiques de soutien financier, de subventions aux engrais avec assurance pour les plus pauvres, d’octroiement de prêts à taux encadré.
Les acteurs privés et organismes à but non lucratif peuvent assister les acteurs locaux pour assurer un transfert de compétences et les accompagner à la création de projets.
Enfin, certaines avancées technologiques issues du secteur privé pourraient contribuer à faciliter la transition agroécologique : formations en ligne, mobile paiement, micro-assurance, certifications biologiques, etc. Quoi qu’il en soit l’implication des acteurs locaux est primordiale car le succès d’un projet réside avant tout dans l’adhésion de la communauté qu’il concerne.

Plus qu’un modèle technique, l’agroécologie est un modèle de vie sociale, économique et écosystémique qui pourrait permettre à l’Afrique de devenir un modèle agricole pour le monde. Toutefois, cela ne peut se faire sans l’investissement de l’Etat et des acteurs privés car la question de la souveraineté alimentaire est bien plus large, et c’est toute la chaîne de valeur alimentaire qui devrait être transformée.

 

[1] Technique agricole ouest africaine consistant à semer dans des trous qui concentrent naturellement l'eau et les fertilisants par simple ruissellement.