L’hybridation selon le Larousse est le croisement entre deux variétés, deux races d'une même espèce ou entre deux espèces différentes. Dans le contexte de cette publication, l’hybridation désigne tout simplement la combinaison entre deux ou plusieurs business models.

Le business model, ou modèle économique en français, peut-être défini d’après Laurence Lehmann-Ortega[1], comme l’ensemble des mécanismes permettant à une entreprise de créer de la valeur et de capter cette valeur pour la transformer en profit. En d’autres termes, c’est la stratégie économique qu’adopte une entreprise pour créer du profit ou l’accroître. Selon l’étude « Renouer avec la croissance grâce aux nouveaux business models », menée par BearingPoint Institute et OpenMatters, sur les 3 500 premières capitalisations boursières en Europe et aux Etats-Unis, il existe quatre types de business models dont deux traditionnels et deux nouveaux qui ont émergé avec l’ère du digital.

Business models traditionnels

  • Producteurs et détenteurs d’actifs : ils extraient, fabriquent, distribuent ou vendent des biens physiques. Exemple : BMW, Carrefour, EDF, Marriott, ...
  • Fournisseurs de services : ils recrutent, forment des employés qualifiés et vendent leurs services. Exemple : AXA, BearingPoint, Société Générale, …

Business models nouveaux

  • Créateurs de technologie : ils développent et protègent un capital intellectuel, souvent des biens immatériels aux coûts marginaux faibles, tels que les logiciels. Exemple : Microsoft, Salesforce, SAP, …
  • Opérateurs de plateforme : ils créent et gèrent des réseaux de personnes, d’objets et d’informations, facilitant les interactions et les transactions. Exemple : Facebook, Just Eat, Priceline, Visa, …

Les analyses réalisées dans le cadre de l’étude montrent que, les nouveaux business models offrent un retour sur investissement nettement supérieur aux business models traditionnels. A titre d’exemple, les opérateurs de plateforme « tout en ligne » tels que Priceline, Facebook, Alphabet aux États-Unis ou encore Just Eat au Royaume-Uni ont été très performants : le taux de croissance annuel moyen entre 2011 et 2016 a été d’environ 20 % (en Europe et aux États-Unis), avec des marges opérationnelles moyennes de 32 %. De telles performances sont affichées par les créateurs de technologie et les opérateurs de plateforme parce qu’ils ont placé au cœur de leur approche une plateforme digitale qui sert de place de marché à la fois pour leurs services mais aussi pour ceux de leurs partenaires. Ils ont abandonné la chaîne de valeur traditionnelle, fixe et linéaire de la distribution de « produits » au profit d’une chaîne de valeur multidimensionnelle et multisectorielle orientée client. Ils jouent quatre rôles principaux, interchangeables très rapidement : producteur, propriétaire, fournisseur et consommateur.

Par ailleurs, l’étude indique également que les producteurs et détenteurs d’actifs qui ont su combiner deux, trois ou même les quatre types de business models ont réussi à multiplier presque par 2 leur croissance et leur valorisation contrairement à ceux qui ont conservé une approche mono-business model.

L’analyse du portefeuille de business models des superpuissances digitales américaines telles que Facebook, Amazon, Microsoft, etc. a permis de conclure qu’aujourd’hui, les entreprises qui possèdent un portefeuille de business models peu capitalistiques avec une dimension « réseau » sont perçus par les investisseurs et le marché comme les plus à même de générer de la croissance. Partant du constat qu’il ne s’agit pas d’effet de « bulle » dans la valorisation des entreprises traditionnelles qui investissent dans de nouveaux modèles économiques, mais d’une appréciation légitime de leur potentiel, BearingPoint et OpenMatters sont arrivés à la conclusion que le business model des entreprises de demain sera hybride. Six actions clés ont ensuite été listées pour permettre aux entreprises de repenser leurs portefeuilles d’activités pour intégrer les nouveaux business models, générer de nouvelles sources de revenus et accroître leur valeur.

Si les plus grandes multinationales européennes et américaines se font le porte-étendard de nouveaux modèles économiques, sous-tendus par le vecteur digital, et exploités à travers une hybridation graduelle de leurs modèles actuels (pour les plus performantes d’entre elles), en Afrique, un tout autre phénomène est observé. Les grandes entreprises africaines dites « historiques » continuent d’opérer selon les modèles classiques de détenteurs d’actifs ou de fournisseurs de services pour la plupart.

En Afrique, le mono business model domine, en forte corrélation avec la maturité digitale des entreprises

Du fait d’une conjecture économique marquée par la dévaluation des devises du continent et depuis 2014, par la chute des prix des matières premières, les grandes entreprises africaines opérant essentiellement les business models traditionnels sont aujourd’hui focalisées sur leur capacité de résilience à travers l’amélioration de leur efficacité opérationnelle et l’optimisation de leurs coûts, aux fins d’une meilleure performance économique. Lorsqu’il s’agit d’opérer un classement en termes de chiffre d’affaires ou de capitalisation boursière des entreprises africaines, les business models créateurs de technologie et opérateurs de plateforme sont quasi absents. Cela ne veut pas dire pour autant que ces dernières ne créent pas de technologie, ou sont incapables d’orchestrer des écosystèmes d’acteurs à travers des plateformes digitales. Bien au contraire, les écosystèmes d’innovation fleurissent à l’aune de la transformation digitale tant attendue du continent. Le cas particulier des grands opérateurs de télécommunications tels que MTN ou Safaricom est à souligner. Ils se sont distingués par la mise en place de plateformes de paiement mobile, dont l’émergence a été imposée par les spécificités économiques du continent et l’explosion de l’usage mobile.

 L’économie des plateformes, vecteur d’hybridation des business models en Afrique

On parle d’économie de plateforme, lorsque le cœur du business model d’une entreprise repose sur une plateforme digitale. L’étude « Renouer avec la croissance grâce aux nouveaux business models » démontre que l’élément le plus disruptif dans l’hybridation provient de l’émergence des plateformes digitales qui, en plus de contribuer à la diversification des modèles exploités, a le mérite d’agréger des opérateurs tiers, porteurs eux-mêmes de leurs modèles économiques respectifs. En Afrique, le paiement mobile est une tendance majeure et disruptive concernant les business models. Il promeut un écosystème pour les opérateurs de paiement mobile, les opérateurs télécoms ainsi que les organisations tierces, facilitant ainsi les transactions sur un ensemble de verticales industrielles. Les agrégateurs de paiement sont un exemple intéressant de business model hybride sur le continent. Ils sont des opérateurs de plateforme entre une multitude de clients finaux, tantôt détenteurs d’actifs ou fournisseurs de services et parfois même créateurs de technologies quand ils proposent des solutions BI ou de pilotage d’activités.

Les start-ups africaines sont aujourd’hui le meilleur porte-étendard des business models hybrides en Afrique

Le manque d’intégration et la fragmentation des chaînes de valeur des différentes verticales industrielles en Afrique créent de facto le besoin de solutions et services couvrant un maximum de maillons de la chaîne, et apportant des réponses concrètes aux problématiques du continent. De ce fait, de nombreuses start-ups africaines telles que Thumbzup, SunCulture, Mobisol, etc. émergent par l’apport de solutions aux problématiques qui minent l’intégration, l’efficience et la rentabilité des chaînes de valeur africaines.

Thumbzup par exemple, est une start-up Sud-Africaine fondée en 2011 dont le business model repose sur la vente de produits technologiques innovants (détenteur d’actifs et créateur de technologie) et qui au fil de son développement, se mue progressivement en fournisseur de services pour offrir des solutions de paiement tout en un. Elle est spécialisée dans la fabrication d’appareils technologiques qui rendent les moyens de paiement (carte de crédit, cryptomonnaie, carte cadeau, carte de fidélité, …) autres que l’espèce et le chèque, accessibles aux entreprises indépendamment de leur taille, de leur secteur d’activité ou de leur niveau de digitalisation.

Au Kenya, SunCulture fabrique et finance des systèmes de pompage et d’irrigation à énergie solaire pour les petits fermiers africains. Avec un business model alliant actifs, services et plateforme, la start-up exploite de facto un modèle hybride qui tend avant tout à lever un certain nombre d’obstacles économiques et financiers.

Nombreuses sont ainsi, les start-ups africaines qui à l’image de Thumbzup et SunCulture apportent à travers des modèles économiques innovants mais surtout nativement hybrides, des réponses concrètes à l’économie africaine. Elles jouent également un rôle de développement socioéconomique au profit des populations sur différents volets : accès à l’énergie, accès aux infrastructures de transport, monétisation des produits et services locaux, etc.

In fine, contrairement aux schémas européen et américain, l’exploitation de modèles économiques hybrides n’est pas née d’une diversification progressive des activités des entreprises, sous-tendue par la nécessité d’une meilleure performance économique. Elle découle en effet d’innovations locales visant à répondre à un besoin réel, renforçant davantage la pertinence du leapfrog digital africain. L’hybridation des modèles économiques en Afrique provient plus de l’adjonction de différents acteurs autour d’une chaine de valeur modifiée que d’un seul acteur, avec une prééminence affirmée pour les start-ups. Cette dichotomie entre « grandes entreprises » et startups dans l’exploitation des 4 types de business models démontre la vitalité et le dynamisme de l’innovation digitale en Afrique, se positionnant ainsi en tant que véritable vecteur de développement du continent.

Retrouvez nos analyses détaillées dans nos différents Livres Blancs ci-dessous.

 

[1] Docteur en sciences de gestion, Professeur de stratégie à HEC, Spécialiste des business models innovants et Auteur des livres à l’instar de : « (Ré)inventez votre business model avec l'approche Odyssée 3.14 », « (Ré)inventez votre business model par le Big Data »

  • Renouer avec la croissance grâce aux nouveaux business models
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  • L’hybridation, nouveau business model pour les entreprises africaines de demain ?
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