Depuis 11 ans, dans le cadre de son Observatoire du Développement International (ODI), BearingPoint et ses partenaires HEC Paris et le CIAN, interrogent des dirigeants sur les enjeux du développement international. Intitulée « Métamorphoses, ou comment les entreprises françaises se réinventent en Afrique et pour l'Afrique », l’édition 2020 de l’ODI analyse le couple « groupe-filiale » en Afrique, selon 3 axes : l’organisation, la valorisation du capital humain et les mécanismes d’innovation. Retour sur les principaux enseignements.

Des directions Afrique caractérisées par une posture « hands-on »[1]

87% des acteurs interviewés dans le cadre notre étude déclarent adopter une posture de « contrôleur des opérations » vis-à-vis de leurs filiales africaines. Ce mode de management se caractérise par une implication forte et régulière du siège dans les activités des filiales : participation active à la définition de la stratégie des filiales africaines, fixation et suivi des objectifs opérationnels (choix des indicateurs de performance et définition de la fréquence du reporting), centralisation des prestations destinées au secteur d’activité (achats notamment) ou encore identification et mise en œuvre de synergies (centres de services partagés). Force est de constater que la posture de la Direction Corporate définira naturellement le niveau d’autonomie laissé aux filiales. Le nombre de fonctions régaliennes incompressibles laissées à la main de la Direction Corporate Afrique s’illustre comme un indicateur à la fois révélateur et en cohérence avec ce choix. En effet, plus la Direction Corporate adopte une posture « hands-on », plus elle centralise de fonctions.

Autre fait marquant : les Holdings restent généralement localisées à Paris alors que les Directions Opérationnelles sont multi-localisées, le plus souvent en cohérence avec le découpage en plaques régionales défini pour le continent.

Pour un empowerment[2] des filiales « chefs de file » dotées de prérogatives à une échelle sous-régionale

Aujourd’hui, les Directions Corporate cherchent à accélérer l’autonomisation et la responsabilisation des filiales africaines. Elles développent des modèles plus décentralisés reposant sur deux facteurs clés :

  • l’octroi de fonctions de Directions Corporate à des filiales « mass-market » chefs de files qui rayonnent sur un nombre de pays réunis au sein d’une région ;
  • et la mutualisation de ressources au travers de la mise en place de Centres de Services Partagés (CSP) et de centres d’expertise.

L’organisation de la relation siège-filiales des groupes français en Afrique évolue donc  vers de nouveaux modèles caractérisés par le transfert de certaines prérogatives de Direction Corporate Afrique aux filiales chefs de file, dans une logique de délégation d’autorité. Principaux bénéfices identifiés : rapidité de prise de la décision, donc réduction du time-to-market et meilleure maîtrise des risques.

Le Groupe Orange qui a installé sa direction Afrique et Moyen Orient à Casablanca en janvier 2020 s’illustre comme un précurseur de cette logique de rapprochement des centres décisionnels et des marchés africains.

L’essor des repats et la volonté de valoriser les compétences locales

Les entreprises opérant en Afrique contribuent activement au « retour des cerveaux » sur le continent, au détriment d’anciens modèles qui privilégiaient les expatriés ou les détachés pour les postes de direction dans les filiales africaines. Plusieurs facteurs expliquent ce changement de paradigme :

  • le niveau d’éducation de ces profils s’est considérablement amélioré : leur niveau d’étude, ainsi que leurs expériences professionnelles équivalent à ceux des détachés ou expatriés occupant des postes stratégiques au sein des structures sur le continent ;
  • les talents sont plus disponibles et veulent rentrer sur le continent pour contribuer au développement économique de celui-ci ; ils sont particulièrement motivés (70% des étudiants africains en MBA veulent se relocaliser en Afrique) ;
  • les « repats » appréhendent mieux les caractéristiques socio-culturelles des environnements dans lesquels ils s’engagent et disposent de soft skills leur permettant d’aider les entreprises à proposer des produits/services voire des approches managériales adaptés aux spécificités locales. Ils allient légitimité et capaciter à naviguer entre des univers différents.

En parallèle, les groupes français renforcent leurs partenariats avec les institutions de formation reconnues localement au travers de politiques de stages ou encore de forum de recrutement. Ce qui assure un sourcing de qualité pour les profils « jeunes diplômés ».

Des stratégies RH axées sur la rétention hauts potentiels

Alors qu’ils évoluent dans des marchés africains particulièrement concurrentiels en matière de recrutement des talents, les groupes français renouvèlent leurs dispositifs d’attractivité et de rétention. Ils capitalisent sur différents leviers :

  • niveau de rémunération supérieur aux standards du marché ;
  • package attractif en éléments complémentaires adaptés au contexte local (couverture santé, indemnité logement par exemple) ;
  • accès à des dispositifs de formation et de coaching pour un développement continu des compétences ;
  • perspectives de mobilité géographique et fonctionnelle au sein du Groupe ;
  • mobilisation des salariés dans le cadre de la politiques RSE de l’entreprise (mécénat de compétences, actions citoyennes ou encore intrapreneuriat).

Non, il n’est pas plus difficile d’innover en Afrique que dans le reste du monde

En matière d’organisation de l’innovation, 61% des entreprises interrogées dans le cadre de l’étude ont mis en place un modèle hybride d’organisation dédiée à l’Afrique. Ce modèle se caractérise par l’existence de structures d’innovation centralisées et mutualisées dédiées à l’Afrique qui collaborent avec les pôles d’innovation existant dans chaque filiale du continent.

Les groupes s’inscrivent dans une logique d’innovation systémique. L’innovation n’est pas à sens unique, de la maison-mère aux filiales ou des filiales vers la maison-mère, mais plutôt à double sens. Ce modèle permet de créer une boucle permanente d’ajustement de l’innovation à la fois verticale (du siège vers les filiales) et horizontale (entre les filiales).

Principaux bénéfices associés à la démarche :

  • Une exploitation optimale de la connaissance qu’ont les filiales de leurs marchés
  • Une implication des filiales qui valorise les collaborateurs
  • Un cycle de l’innovation optimisé grâce à une structure allégée permettant de réduire le time-to-market
  • Une diffusion de la culture de l’innovation au sein des filiales

Le modèle d’organisation de l’innovation de la Société Générale est Afrique illustre parfaitement ce schéma. 3 types d’acteurs y coexistent :

  • au niveau Groupe : la Direction de l’Innovation au sein de la Direction Afrique, Bassin Méditerranéen et Outre-mer ;
  • au niveau régional : le Lab Innovation de Dakar et la Digital Factory de Casablanca ;
  • au niveau local : les pôles d’innovation des filiales, animés par des « Innovactors ».

Le financement de l’innovation est lui-aussi mutualisé. Pour un produit donné par exemple, dans une logique de MVP[3], le siège supporte les coûts associés au développement d’un socle adoptable par l’ensemble de filiales. Chaque filiale finance ensuite les spécificités qu’elle souhaite apporter au produit de base.

Pour une innovation contextualisée grâce à la collaboration avec les écosystèmes locaux

En matière « d’innovation ouverte », définie par Henry Chesbourgh, comme « l’utilisation des flux entrants et sortants de connaissance à dessein pour accélérer l’innovation interne au profit d’une expansion sur de nouveaux marchés », les groupes français privilégient la co-création et le corporate venture au sein de leurs filiales en Afrique.

La co-création regroupe l’ensemble des initiatives de développement de nouveaux produits/services avec les acteurs des écosystèmes d’innovations locaux tels que les hackatons, concours d’entrepreneuriat, ou partenariats avec des instituts de recherche.

Forme spécifique du capital-investissement, le corporate venture renvoie quant à lui au financement de l'innovation via la prise de participation d'une grande entreprise dans une jeune pousse innovante. Le Groupe CFAO a par exemple lancé en partenariat avec Tsusho Corporation (TTC) la joint-venture Mobilty54. Ce véhicule d’investissement cible les start-ups africaines opérant dans le domaine de la mobilité et qui viendront enrichir la proposition de valeur de CFAO Automotive. Orange a également lancé Orange Ventures, un fonds d’investissement technologique multi-stage de 350 millions d’euros à visée internationale qui finance les startups innovantes dans les domaines d’expertise d’Orange (Networks & IT, Entreprise Digitale, Cybersecurité, et Fintech) et au-delà (Consumer platforms, E-gaming, Edtech, Santé etc). Orange Ventures pilote l’activité corporate venture d’Orange à l’échelle mondiale, Afrique incluse.

En conclusion, les entreprises françaises ont résolument pris le pas de la différenciation. Le contexte de compétition accrue et d’avènement de nouveaux partenaires des Etats africains ont accélérer cette dynamique qui repose sur la redéfinition de leurs directions Afrique et l’empowerment de leurs filiales africaines. La valorisation du capital humain et l’évolution des pratiques RH participent au renforcement de la marque employeur des entreprises françaises par rapport à leurs concurrentes européennes et panafricaines. Enfin, face à des clients de plus en plus connectés et qui revendiquent leurs identités « afrotopiques et afro-contemporaines »[4],  les entreprises françaises commencent à mettre en place des dispositifs d’innovation plus pragmatiques car « enlocalisés ».

 

[1] De pilotage resserré

[2] Renforcement des responsabilités et prérogatives des filiales

[3] De l'anglais « Minimum Viable Product », il s’agit de la version d'un produit qui permet d'obtenir un maximum de retours client avec un minimum d'effort

[4] En référence à l’ouvrage « Afrotopia » de Felwine Sarr, qui définit Afrotopia comme « une utopie active qui vise à découvrir l'immense arène des potentialités au sein de l'Afrique réelle et à les fertiliser ». L’émergence de cette utopie repose sur la survenue d'une « afro-contemporanéité », ce « continuum psychologique du vécu des Africains, incorporant son passé et gros de son futur, qu'il s'agit de penser ».

  • Métamorphoses ODI 2020 LB
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