Utopies créatrices

Start-ups, écosystèmes dynamiques, digital, accélération ou encore passage à l’échelle … autant de « buzzwords » qui traduisent l’engouement des dernières années pour la création de jeunes pousses innovantes en Afrique.

La sémantique du réveil de l’Afrique rejoint le regard nouveau que de nombreux jeunes africains, décomplexés par rapport à la génération de leurs parents, portent sur le continent et sur eux-mêmes.

Ce mouvement s’inscrit entre tradition et modernité car résolument tourné vers l’innovation, tout en restant solidement ancré dans la valorisation de l’héritage culturel.

La levée de 1,16 milliard de dollars par 146 start-ups du continent en 2018, annoncée par le géant du capital-risque Partech Africa, donne le vertige. Mais qu'on ne s'y trompe pas, la dynamique de création de start-ups en Afrique reste très contrastée. Quoi qu’il en soit, l’Afrique s’illustre comme le continent le plus jeune (43 % de sa population a moins de 14 ans) et le plus entreprenant au monde. Au Nigéria 39,9 % de la population âgée de 18 à 64 ans mène des activités entrepreneuriales, 38,6 % au Sénégal, 26 % au Ghana, contre seulement 9,9 % en Inde et 5,3 % en France.

Mais aujourd’hui, force est de constater que ces statistiques nourrissent l’omniprésence d’un discours (hyper)médiatisé qui a tendance à mettre en avant les « start-ups africaines », et à travers elles l’entrepreneuriat, comme la panacée face au défi de l’employabilité des jeunes africains. Ce qui est souvent un raccourci facile et inexact. 

Maillon central de la chaîne de valeur du renforcement du tissu entrepreneuriat formel en Afrique, les SAEI[1] (Structures d’Accompagnement à l’Entrepreneuriat Innovant) doivent faire l’objet d’une attention particulière de la part des acteurs du développement économique et social sur le continent.  Force est de constater qu’elles présentent des disparités en termes d’offre et de niveaux de maturité, et qu’un accompagnement visant à mieux les outiller et les structurer rendra leurs activités plus impactantes. Mais elles bénéficient d’atouts intrinsèques indéniables que les parties prenantes du développement en Afrique - gouvernements, bailleurs, entreprises privées et société civile - doivent mettre à profit pour développer des initiatives pertinentes car alignées sur les réalités locales.

4 tendances qui vont probablement marquer l’évolution des SAEI en Afrique

1- La professionnalisation et la structuration du « marché de l’accompagnement » vont s’accélérer

Deux axes clés d’organisation incontournables :

  • Un renforcement du rôle « d’opérateurs de programmes locaux » des SAEI : 
    • pour le compte de géants de la tech (GAFA) ou de start-ups internationales (Uber, Airbnb, etc.) ;
    • pour le compte de programmes/plateformes d’accompagnement africains ou internationaux (tels que Techstars ou NEST), dans une logique de développement de franchises locales.
  • Une réduction du nombre de SAEI actives sur le continent lié :
    • aux exigences croissantes des porteurs de projet (sous l’impulsion des « repats[2] » notamment) en matière d’accompagnement (qualité, alignement sur leurs besoins, qualité du réseau des SAEI pour la mise en relation et l’accès au financement, etc.) ;
    • à la fin de l’effet de mode et aux exigences croissantes des bailleurs, des acteurs publics et du secteur privé en termes de suivi et d’évaluation de la performance des SAEI financées et/ou mandatées pour opérer des programmes.

2- Les partenariats avec le secteur privé vont se renforcer

Très souvent perçue comme un effet de mode et un puissant outil de communication, l’open innovation reste aujourd’hui à un stade embryonnaire. Elle doit se renforcer et dépasser le cadre de la politique RSE du privé en s’inscrivant comme une volonté affirmée des entreprises de collaborer avec les écosystèmes entrepreneuriaux locaux.

Le renforcement du « corporate venture capital » (capital investissement d’entreprise)[3], pourra accélérer cette dynamique. Au travers de fonds d’investissement en capital-risque, les sociétés privées, le plus souvent de grands groupes, financeront les start-ups et les PME innovantes, porteuses de croissance, par des prises de participations minoritaires. Le conglomérat nigérian Honeywell et la filiale japonaise de CFAO s’inscrivent déjà dans cette logique avec leurs initiatives respectives : Itanna et Mobility 54.

3- Le dialogue avec les pouvoirs publics va s’intensifier

La création de structures dédiées à l’entrepreneuriat, à l’instar de la DER au Sénégal, ainsi que la ratification progressive de « start-up acts » laissent présager un engagement marqué des pouvoirs publics en faveur de l’entrepreneuriat. Cette dynamique prendra plusieurs formes : consultation de la société civile, développement d’outils souples et simples permettant l’octroi de financements (prêts ou prise de participations) aux start-ups ou encore délégation de la conduite de programmes publics à des SAEI spécialisées. Les relations entre les états et les bailleurs de fonds pourront également évoluer, dans la mesure où ces derniers devront redéfinir leurs modes d’action pour s’inscrire en cohérence avec les stratégies et politiques définies au niveau local.

4- Les modèles économiques des SAEI vont évoluer

Certaines SAEI pourront partiellement migrer vers un positionnement de type cabinet de conseil basé sur la fourniture de prestations d’accompagnement, le développement de méthodologies et d’outils ainsi que la valorisation d’expertises auprès du secteur privé, du secteur public et des bailleurs. Dans une optique de différenciation, d’autres pourraient également pencher pour un positionnement de spécialiste, en se focalisant sur un secteur d’activité en particulier.

 

En conclusion, il faut professionnaliser les SAEI. Cela passe par la mise à disposition d’outils adaptés à leurs besoins, en commençant par une offre de formation sur les fondamentaux de l’accompagnement. Les équipes opérationnelles de ces structures pourront ainsi acquérir :

  • des compétences « techniques » : démarche projet, marketing/analyse de marché, gestion financière, modélisation de business plan, gestion des réseaux sociaux, etc. ;
  • des compétences « transverses » : design thinking, management visuel, etc.

Bien évidemment le digital apparaît comme un levier transverse sur lequel capitaliser pour la formation, le partage de bonnes pratiques ou encore l’animation de communautés de SAEI.

Enfin, les SAEI constituent au moins autant que les financeurs, un élément central de la chaîne de valeur de l’entrepreneuriat en Afrique. A horizon 2025, un quart des habitants de la planète sera africain. Si l’entrepreneuriat est effectivement un levier clé de lutte contre le chômage, les SAEI apparaissent comme le maillon fort sur lequel s’appuyer pour, d’une part, assurer la transition de l’informel vers le formel, d’autre part, créer des entrepreneurs africains professionnels et pérennes.

 

[1] Sigle créé par le collectif Afric’innov et qui désigne l’ensemble des dispositifs d’accompagnement aux entrepreneurs : accélérateurs, incubateurs, fablabs, pépinières, start up studio…

[2] Abréviation du terme anglais « repatriate », la notion de « repat » fait référence aux ressortissants africains ayant vécu et étudié hors du continent et qui reviennent s’y installer. Ce terme faisant ainsi écho au phénomène du retour des cerveaux en Afrique.

[3] Le corporate venture ou "capital investissement d'entreprise" est une forme spécifique du capital-investissement. Il finance l'innovation via la prise de participation d'une grande entreprise dans une jeune entreprise innovante.

De la nécessité de renforcer les structures qui accompagnent l’entrepreneuriat innovant en Afrique

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