L’article 173 de la Loi de Transition énergétique pour la croissance verte impose aux entreprises d’inclure dans leur rapport de gestion annuel l’empreinte CO2 dite de « scope 3 »[1], correspondant aux émissions de gaz à effet de serre indirectes, c’est-à-dire induites par l’activité de l’entreprise dans toute sa chaîne de valeur. Pour le secteur bancaire tout comme pour la lutte contre le changement climatique, l’enjeu est critique.

De la pertinence du reporting des émissions indirectes

 

Si la majorité des entreprises et banques françaises n’ont pas attendu l’article 173 pour leur reporting scope 3, la pertinence des choix de postes de reporting est au centre du débat. Depuis plusieurs années, les banques mesurent principalement les émissions liées aux déplacements professionnels ou encore à la consommation d’électricité. Lors de la COP21, les nombreux engagements pris par le secteur bancaire, répertoriés sur la plateforme NAZCA, se sont également concentrés sur les mêmes postes.

Or il s’agit d’identifier les postes les plus émetteurs et sur lesquels l’entreprise peut avoir un rôle déterminant. Selon cette logique, de fortes divergences sectorielles émergent : tandis que l’empreinte liée aux produits achetés fait plus de sens pour le secteur des cosmétiques, le secteur de l’éolien devra également considérer l’impact du traitement des éoliennes en fin de vie.

Le reporting des émissions liées aux investissements : le nerf de la guerre climatique pour les banques

 

Experts, ONG et pionniers du secteur financier sont unanimes : les émissions liées aux financements, en equity comme en prêts, doivent être le pivot du reporting carbone bancaire. Dans la logique de calcul des émissions des « biens et services produits » inscrit dans la loi, les émissions d’une centrale à charbon financée par les banques seraient ainsi imputables à leur propre bilan carbone.

La pertinence de ce reporting sur le plan comptable et stratégique est indiscutable : les banques françaises auraient investi 129 milliards d’euros dans les énergies fossiles de 2009 à 2014[2]. Face aux émissions associées, celles relatives à la consommation d’électricité dans les locaux parisiens paraissent bien marginales… Les banques françaises reportent donc aujourd’hui sur une partie infime de leur empreinte réelle.

De nombreux obstacles freinent la mise en place de structures de reporting adaptées

 

Cette limitation n’est pas tant due à l’inaction qu’à de nombreuses difficultés techniques. Dépendantes des informations fournies en amont par les sociétés et projets dans lesquelles elles investissent, les banques sont tout d’abord confrontées à des données souvent parcellaires et difficiles à harmoniser (périmètre géographique ou temporel de mesure, unité de calcul, etc.), d’autant plus que ces données sont souvent une photographie du passé et non un marqueur de la stratégie à moyen terme de l’organisation. On le voit, un reporting précis engagerait des ressources humaines et financières considérables dont sont affranchies certaines banques étrangères.

Une démarche vertueuse pour les banques sur le long terme

 

Si sa mise en œuvre opérationnelle est indéniablement complexe pour les grandes banques, le reporting de scope 3 doit avant tout être considéré comme une opportunité sur le long terme. Tout d’abord, il représente un enjeu de crédibilité pour des banques souvent soupçonnées de double discours. Ensuite, il est le préalable à la mise en place d’outils permettant le suivi, le pilotage et in fine l’alignement des portefeuilles financiers avec les scénarios climatiques. Pour finir, il permet de mesurer l’exposition des banques au « risque carbone » : suite à l’adoption de mesures environnementales ou à des changements de paradigme sur le marché, les actifs liés à l’exploitation des énergies fossiles pourraient être fortement dévalués, causant alors une baisse de rentabilité voire d’importantes pertes financières pour les banques. Près de 112 milliards de dollars d’investissements futurs[3] dans des centrales à charbon (hors Chine) pourraient ainsi subir d’importantes dévaluations.

Si le reporting scope 3 reste un outil de mesure et non de lutte stricto sensu contre le changement climatique, il en est le socle essentiel et d’autant plus pour le secteur bancaire, dont les décisions d’investissement ont un rôle considérable dans l’orientation sectorielle de l’économie. Le sujet devra être traité collectivement par la profession, en s’appuyant sur les succès et enseignements du développement d’outils communs de recensement dans certains reportings réglementaires bancaires, notamment en Allemagne avec A bacus.

Auteur :

Jules Blanc est consultant dans les équipes Digital & Strategy de BearingPoint, où il se spécialise sur les thématiques de développement durable.

Sources :

[1] Selon la définition du GHG Protocol

[2] Etude Oxfam/Amis de la Terre (2014)

[3] Carbon Tracker Initiative (2015)