Cette conception globale du biomimétisme repose sur l’observation des interrelations entre le vivant et son environnement. Il s’agit de considérer un écosystème dans son ensemble, les interactions successives entre les divers organismes qui le constituent, afin de trouver une forme d’équilibre. Ainsi que l’observait Janine Benyus, dans la nature, chaque déchet est transformé en source d’énergie pour un autre organisme, les sources énergétiques sont puisées à proximité du lieu de leur utilisation et les ressources sont optimisées.

1. La zone Libellule Suez Environnement à Saint Just (34) [5]

La « Zone Libellule » est une expérimentation mise en œuvre en 2009 par le groupe Suez près de Montpellier pour offrir un traitement naturel de dépollution des eaux, en aval d’une station d’épuration.

Certains micropolluants résistent en effet au traitement classique des eaux usées. Afin d’utiliser la capacité épuratoire complémentaire de la nature, Suez a imaginé un ensemble successif de bassins en eau, abritant une faune et une flore diversifiée, permettant l’absorption de certains polluants, comme les résidus médicamenteux, les solvants, pesticides, etc. Les divers types de milieux et d’espèces présentes sont pensés pour traiter la variété des polluants mesurés. Par exemple, le nénuphar y est implanté pour sa capacité à absorber le Zinc. De même, le delta et les méandres aménagés dans la zone permettent une stagnation de l’eau à faible profondeur, ce qui permet la dégradation par l’exposition longue à la lumière du soleil de résidus pharmaceutiques photosensibles. L’eau traverse cette zone Libellule en une quinzaine de jours en moyenne avant d’être rejetée dans le cours d’eau voisin.

L’utilisation des capacités d’épuration naturelles pour traiter les eaux usées n’est pas en soi une nouveauté, l’intérêt de cette zone repose sur la constitution d’un parcours cohérent, permettant des réactions physico-chimiques successives, aboutissant à l’absorption ou la décomposition d’une partie des polluants de l’eau. Il s’agit ici d’un écosystème entier et complexe de 1,7 ha qui a été reconstitué en vue de créer une phyto-épuration.

Les résultats affichés par Suez en 2013 sur les capacités de cette zone annonçaient une réduction de la concentration des micropolluants de 70 % pour 56 % des molécules analysées.

À partir d’expériences de Zones Humides Naturelles telles que l’espace Libellule, des espaces de plus petites échelles tendent à se développer : les Zones de rejet végétalisées (ZRV) offrent ainsi la possibilité aux collectivités (voire aux particuliers ruraux) d’épurer les eaux pluviales et domestiques sur des surfaces réduites.

2. L’assainissement par les insectes, les vers et les bactéries

Dans une logique proche de celle des Zones Humides Naturelles, des entrepreneurs se sont lancés dans le service de traitement des eaux à destination des particuliers.

Biolytics Water est une entreprise Néo-Zélandaise qui s’est inspirée du rôle joué par l’humus dans le sol pour son produit phare, le Biopod. De forme cylindrique, le Biopod est une sorte de réservoir, composé de strates horizontales filtrantes. Il contient un écosystème composé d’insectes, de vers et bactéries, qui dégradent les déchets solides, en le transformant en humus. Les vers permettent d’aérer naturellement le « lit filtrant » et éliminent les odeurs de décomposition.

Les eaux usées ménagères deviennent ainsi sources de nutriments pour les organismes du Biopod et en sortie du réservoir, l’eau filtrée peut être utilisée pour l’arrosage.

Selon l’entreprise, sa solution est beaucoup plus efficace et moins énergivore que le traitement traditionnel des eaux usées. Elle permettrait une économie d’énergie de 90% sur l’ensemble de son système, n’ayant pas besoin d’oxygénateurs.

Le biomimétisme d’écosystème repose moins dans une logique de copie de la nature que dans celle de réintégrer le vivant (végétal ou animal), en vue de réguler les déséquilibres générés par l’activité humaine. Il s’agit ici de retrouver un état de symbiose entre les espèces et, revenant sur le clivage Homme/environnement issu des Révolutions Industrielles, de relier à nouveau l’Homme à la biosphère, dans une logique de cycles courts.

Conclusions sur le Biomimétisme

Les questions de durabilité et de préservation de la biosphère sont aujourd’hui devenues des enjeux majeurs de l’innovation. Le biomimétisme ouvre de nouvelles inspirations et perspectives pour la recherche, en matière d’optimisation de la production d’énergies renouvelables, de leur stockage et leur distribution, ainsi que de la réduction des polluants. Les quelques exemples abordés plus haut ne se situent pas au même stade de maturité, du projet théorique à la commercialisation, mais ont l’avantage d’illustrer la diversité des innovations reposant sur le biomimétisme, et représentant des perspectives commerciales.

En France, le CEEBIOS (Centre Européen d’Excellence du Biomimétisme de Senlis) est le premier réseau dédié à la promotion du biomimétisme, un centre qui favorise échanges et coopération entre des scientifiques, équipes R&D, ingénieurs, startups, enseignants et étudiants. Un objectif affiché fin 2016 par le CEEBIOS est de fédérer les acteurs français du biomimétisme, « soit 130 laboratoires et 70 entreprises »[1]. Si la considération de la thèse de Janine Benyus a été lente en Europe, la multiplication des travaux de recherche, formations ou conférences sur le biomimétisme sur les dernières années en fait un sujet d’actualité. Le CEEBIOS a identifié « une soixantaine d’entreprises impliquées sur le biomimétisme aujourd’hui »[2], dont des groupes industriels tels que Renault, Air liquide, Eiffage ou l’Oréal, ainsi que de très nombreuses PME.

Afin d’accroitre l’intérêt que génère le biomimétisme, un décloisonnement des spécialités scientifiques est nécessaire. La promotion de la démarche passera par le développement d’un véritable réseau de représentants de cette approche et par la formation, par des cours dédiés dans les écoles et universités, par des MOOC, des concours d’innovation, etc.

En matière de perspectives d’avenir, un indicateur américain développé nous permet d’appréhender la croissance de l’intérêt pour le biomimétisme et la bio-inspiration sur les dernières années. L’index « Da Vinci » est la synthèse de 4 grands indicateurs sur ces sujets : nombre d’articles universitaires, brevets, subventions et leur valeur en dollars, aux Etats-Unis. Cet indicateur nous révèle une croissance significative des travaux, brevets et subventions accordées sur les sujets autour du biomimétisme de 2000 à 2014.

En 2011, le Fermanian Business & Economic Institute (de l’Université américaine de Point Loma Nazarene à San Diego) a publié des projections sur le futur impact du biomimétisme sur l’économie américaine : en 2025 il pourrait « représenter 300 milliards de dollars dans le PIB américain », rapporter « 50 milliards de $ par la réduction de la consommation de ressources naturelles et des émissions de CO2 » et jusqu’à « 1000 milliards de dollars » à échelle mondiale. Si ces projections semblent optimistes au vu de la stagnation de l’Index observé sur les deux dernières années, cette tendance nous laisse néanmoins présager que cette démarche n’en est aujourd’hui qu’aux prémices de ses applications au service des entreprises.

Les entreprises disposent aujourd’hui d’un certain nombre d’outils et de méthodes pour les accompagner dans une démarche d’innovation durable :

  • Matrice de décision du biomimétisme (MDB) proposée par Olivier Allard[3], qui s’applique à l’ensemble du cycle de vie d’un produit. À chaque étape d’analyse du cycle de vie, les différents choix possibles sont soumis à une grille de critères (la MDB), répondant aux grands « principes du vivant » observés par Janine Benyus, tels que :
    • les stratégies d’optimisation
    • la favorisation de l’intégration de processus cycliques
    • la démultiplication des interdépendances
    • une conception saine… (Pour en savoir plus)
    • Méthodes d’élaborations de solutions innovantes en ingénierie[4] :
      • BioTRIZ : ce concept est né de la rencontre entre le biomimétisme et la méthode d’innovation « TRIZ », utilisée pour la conception de produits innovants. Cette méthode est donc un outil d’éco-innovation, basée sur l’étude de 500 phénomènes biologiques et 270 fonctions naturelles.
      • EcoASIT : reposant sur la méthode ASIT, cette démarche vise à générer des éco-innovations lors du processus de conception d’un produit ou service. L’EcoASIT intègre l’analyse du cycle de vie dans sa démarche, permettant l’innovation en conformité avec les 3 piliers du développement durable.
      • Outils au service de l’innovation :
        • AskNature, une base de données en ligne : cette base, alimentée par le Biomimicry Institute, répertorie des solutions observées dans la nature susceptibles d’inspirer l’innovation, ainsi que de nombreuses inventions humaines bio-inspirées.
        • DANE 2.0 : autre base de données, visant, entre autres applications, à faciliter la conception analogique bio-inspirée. (Pour en savoir plus : TEDx talk du Dr. Ashok Goel, qui a travaillé au développement de DANE 2.0 au sein du Design Intelligence Lab du Georgia Institute of Technology)

Ces outils et méthodes ne sont que quelques exemples parmi de nombreux autres, encore mal connus et peu utilisés au sein des entreprises. Notre pari est que grâce aux efforts d’homogénéisation et de diffusion de ces outils, les professionnels de la R&D et de l’innovation auront bientôt tout intérêt à les intégrer dans leur boîte à outils, afin de concevoir des solutions durables.

Auteurs :
Elise Viné, Consultante
Sébastien Maltaverne, Senior Manager