2,2 mégawatts de puissance hydraulique installée en pleine agglomération grenobloise : une performance de premier plan dans le paysage énergétique français.
EDF a inauguré le 1er octobre 2015 la petite centrale hydroélectrique[1] du Rondeau, dans la commune d’Echirolles, en Isère. Un tel projet vient ainsi conforter l’idée que l’eau, comme source de production énergétique, a toute sa place en milieu urbain et a, potentiellement, un rôle important à jouer dans le développement de la ville de demain.
Bien loin des capacités proposées par des barrages comme celui de Grand’Maison et sa puissance de 1 800 MW, la petite hydroélectricité, ou PHE[2], en tant qu’énergie renouvelable de proximité et sans émission de CO2, bénéficie d’un net regain d’intérêt. Pour Yves Giraud, Directeur de la Division Production Hydraulique (DPIH) du groupe EDF, « il existe, depuis quelques années, un vrai renouveau pour l’hydraulique de manière générale, et pour la PHE en particulier ». La centrale du Rondeau illustre bien ce point.
Située à environ 7 kilomètres de la mairie de Grenoble, celle-ci est équipée de 4 turbines à axe vertical de type VLH, ou « Very Low Head ». Cette technologie, dérivée de la turbine de type Kaplan et développée par la PME française MJ2 Technologies, permet de transformer l’énergie potentielle du canal du Drac en énergie électrique[3], malgré une très faible hauteur de chute et sans aucune retenue. 4,30 mètres séparent la prise d’eau de la turbine – une réalisation adaptée aux espaces urbains souvent caractérisés par de faibles dénivellations.
Deux années de chantier auront été nécessaires pour rendre opérationnel cet ouvrage de PHE, d’une puissance de 2,2 MW et capable de satisfaire les besoins en électricité de 5 700 habitants dans la région de Grenoble.
S’il convient de mettre en perspective l’apport d’une petite centrale comme celle du Rondeau à l’échelle de la consommation globale d’une agglomération française moyenne, cette innovation prouve néanmoins qu’il est possible de produire une énergie renouvelable au cœur de la ville et pose la question de la place de l’hydroélectricité dans un mix énergétique responsable au niveau local.
Le développement et l’intégration de la PHE dans les espaces urbains constituent-ils une véritable opportunité sur le chemin de la transition énergétique pour la ville de demain ?
Tour d’horizon des avantages et perspectives pour la « houille blanche[4] » dans la Smart City.
La PHE présente un intérêt énergétique certain pour une ville. Energie renouvelable permettant une production d’électricité continue, l’hydroélectricité, pour un ouvrage d’égale puissance, dispose d’un rendement énergétique supérieur à celui de l’éolien ou du solaire, énergies par nature intermittentes. Cette évidence rappelée, il convient de s’intéresser tout spécifiquement aux intérêts environnementaux et économiques que peut représenter la PHE pour un espace urbanisé.
Intégrés dans une dynamique locale de transition énergétique, les cours d’eau peuvent en effet apporter une contribution bienvenue aux défis contemporains des villes et agglomérations françaises, en particulier la réduction des émissions de gaz à effet de serre.
Sans pour autant être la solution verte par excellence, la PHE agit dans le sens d’une maitrise et d’une réduction de l’empreinte écologique. D’après les derniers chiffres du syndicat professionnel France Hydro Electricité, une centrale hydroélectrique d’une puissance de 1 MW permettrait d’éviter chaque année l’émission d’environ 2 500 tonnes de CO2, par rapport à une centrale à combustion classique.
Emissions de CO2 par filière (Exploitation et Investissement). Source : 8-E.fr
En n’émettant quasiment aucun gaz à effet de serre et en ne rejetant pas de déchet dans l’eau, les systèmes hydroélectriques de petite taille, adaptés pour le milieu urbain, présentent donc de bonnes dispositions environnementales. Construits au fil de l’eau, ceux-ci ne nécessitent aucune retenue d’eau et aucune vidange ponctuelle ; deux opérations particulièrement déstabilisatrices pour la qualité et la morphologie d’un cours d’eau ainsi que pour la faune et la flore aquatiques.
L’innovation semble, de plus, prendre la direction d’une stricte prise en compte des enjeux écologiques. Les nouvelles technologies de turbines ou de roues à aube pour très basse chute, développées par des acteurs comme MJ2 Technologies ou H3E Industries, sont aujourd’hui capables de fonctionner à très basse vitesse, voire même d’adapter leur vitesse aux variations de débit du cours d’eau. Une turbine de la centrale du Rondeau tourne par exemple à une vitesse maximale de 50 tours par minute. En ajoutant à cela des ouvrages de franchissement adaptés, les installations se présentent ainsi comme ichtyophiles, les poissons pouvant passer à travers une petite centrale sans risques.
L’intérêt de la PHE en milieu urbain réside surtout dans son attractivité et son potentiel économique.
Un ouvrage de ce type est un investissement de long terme. Selon l’ADEME, les petites centrales hydroélectriques (PCH) ont une durée de vie comprise entre 30 et 50 ans. Si les investissements s’avèrent être conséquents au départ – la centrale du Rondeau aura coûté la somme de 8,7 millions d’euros à EDF –, ceux-ci peuvent être lissés au fur et à mesure via des mécanismes financiers prévoyant des contrats d’achat longue durée intéressants.
« Les ouvrages hydrauliques inférieurs à 12 MW peuvent bénéficier de conditions de marché et de conditions de vente d’électricité attractives. Les tarifs d’achats, aujourd’hui, et le complément de rémunération du marché, demain dans le cadre de la loi de transition énergétique, permettent de sécuriser l’investissement dans un tel ouvrage » estime Yves Giraud, accréditant la compétitivité de la PHE par rapport aux autres sources d’énergie verte.
De plus, les coûts liés à l’exploitation du site et les coûts liés à sa maintenance sont particulièrement raisonnables. D’après l’ADEME, les coûts directs d’exploitation pour une PCH, représentent environ 10 à 30% des recettes brutes ; la rentabilité offerte permettant de dégager une marge significative et d’atténuer l’impact financier des investissements initiaux.
Fourchettes des coûts moyens actualisés de production par filière. Source : Cour des comptes – Données ADEME
Autre avantage économique et non des moindres pour la PHE en milieu urbain, le coût du raccordement au réseau. A la charge du producteur, « les coûts de raccordement au réseau ont explosé ces dernières années et peuvent mettre en péril l’équilibre économique d’un projet », pour Jean-Marc Lévy, délégué général de France Hydro Electricité. Or, en zone urbaine, avec de nombreux postes fixes, les ouvrages se trouveront inévitablement proches d’un réseau de transport et de régulation de l’électricité produite. Le raccordement à RTE, ERDF ou toute autre entreprise locale de distribution serait alors simple et peu onéreux dans le cadre d’un développement d’un tel projet de PHE en milieu urbain.
Véritable énergie de proximité, ancrée dans les territoires, la PHE présente enfin un intérêt économique pour les communes. L’hydroélectricité est l’une des énergies renouvelables les plus taxées qui soient : redevance de l’eau, taxe foncière, taxe professionnelle, taxe piscicole… La liste est longue et les opportunités de financement nombreuses pour les collectivités. Un ouvrage de PHE pourrait donc participer économiquement à la vie locale, tout en alimentant une commune ou une agglomération en électricité.
Jean-Marc Lévy souligne par ailleurs « l’attrait touristique réel d’une petite centrale, en tant que patrimoine industriel local ». Une usine se visite, pouvant ainsi générer de nouveaux revenus et/ou, tout du moins, favoriser l’entretien du lien entre élus et citoyens.
Si la PHE constitue un atout considérable pour les villes dans leur poursuite d’une certaine indépendance énergétique, l’affirmation se doit d’être nuancée.
La PHE a également ses limites et l’impact sur l’environnement n’est pas nul. Des modifications des cours d’eau sont en effet possibles du fait d’un blocage en amont des alluvions et sédiments par les ouvrages hydroélectriques. Pouvant créer une érosion aval ou un enfoncement du lit du cours d’eau, ces altérations des régimes hydrauliques ont un fort potentiel de nuisance, d’autant plus risqué en zone fortement urbanisée et habitée.
Les ouvrages doivent aussi être pensés pour strictement respecter l’écoulement du cours d’eau. La création de zones d’eaux dormantes pourrait directement impacter la faune et la flore en modifiant l’habitat naturel et en colmatant certains fonds.
Le développement de la PHE en milieu urbain est également contraint par des limites techniques et pratiques. Tout d’abord, l’aménagement d’un site et la construction d’un ouvrage hydroélectrique peuvent être complexes en pleine ville. Les accès pour effectuer les travaux conséquents se heurtent à une logique d’urbanisation limitant le déploiement de tels ouvrages.
Puis, se pose la question des nuisances sonores. Si le progrès permet aujourd’hui des ouvrages de moins en moins nuisibles – la petite centrale du Rondeau en marche produit environ 60 décibels –, une usine de production électrique fait du bruit. L’isolation phonique est encore un point d’amélioration sur lequel il convient de rester vigilant.
La pollution est, ensuite, un facteur important à prendre en compte dans les villes. Les déchets flottants étant fréquents, des grilles ou tout autre système de blocage des déchets devront être déployés en amont pour éviter d’endommager les installations hydrauliques.
Enfin, l’inconvénient majeur pour la PHE en milieu urbain demeure la limite à laquelle est confrontée la possibilité énergétique du cours d’eau du fait de chutes particulièrement basses. L’absence générale de relief dans les villes est un frein majeur au développement de la PHE en ville. Sans chute conséquente, point de véritable salut !
Auteurs :
Julien Martinez, Business Analyst
Hoel Le Gallo, Consultant
Patrice Mallet, Directeur Associé
[1] L’Union internationale des distributeurs d’énergie électrique a établi la classification suivante :
- la pico-centrale : < à 20 kW
- la microcentrale : de 20 à 500 kW
- la mini-centrale : de 500 kW à 2 MW
- la petite centrale : de 2 à 10 MW
[2] Le Schéma Régional Climat Air Energie, ou SRCAE, a établi la classification suivante :
- grande hydroélectricité : > 5 MW
- petite hydroélectricité : < 5 MW
[3] La puissance disponible d’un cours d’eau dépend de deux facteurs : la hauteur de la chute d’eau et le débit de la chute.
[4] Hydroélectricité