Rencontre avec Miroslav Sviezeny, co-fondateur avec Paul Benoit de Qarnot computing, start-up valorisant la chaleur issue de leurs data centers décentralisés. Il nous explique le concept Qarnot et nous dévoile également sa vision sur l’évolution d’un monde de plus en plus calculatoire.

Pouvez-vous nous présenter votre concept et votre produit, le Q.rad ?

Miroslav Sviezeny. L’idée de valoriser la chaleur fatale des data centers n’est pas nouvelle, mais elle passait habituellement par la mise en place d’un réseau de chaleur urbain.

A la différence des autres solutions, nous partons du principe qu’il est plus facile, efficace, et moins cher de transporter la donnée que la chaleur. Qarnot se démarque donc en sortant les serveurs des data centers et en les mettant là où il est pertinent de produire de l’énergie. On se libère également des problématiques liées au refroidissement des data centers, l’habitat devenant l’espace de refroidissement du serveur.

C’est sur ce concept que le Q.rad a vu le jour après 2 ans de développement. C’est à la fois un radiateur électrique et un serveur de calcul haute-performance.

Si vous deviez synthétiser l’histoire de Qarnot en 3 dates clés, quelles seraient-elles ?

Miroslav Sviezeny. La première date à mentionner est bien évidemment ma rencontre avec mon associé, Paul Benoit, qui a trouvé l’idée à l’origine de Qarnot. Après 6 ans dans la R&D en banque d’investissement, Paul est parti de deux constats : celui du besoin grandissant des banques en puissance de calcul pour leur salle des marchés et celui de la chaleur générée par les multiples ordinateurs implantés dans son domicile. A partir de là, mon rôle fut d’aider Paul à matérialiser son idée et à concevoir techniquement les produits.

En seconde date, je citerai notre première levée de fonds en janvier 2014, qui reste un moment émouvant.

Enfin, 2016 fut également une année importante car nous avons signé notre plus gros contrat avec un bailleur social permettant l’équipement d’un bâtiment complet en Q.rad.

Vous avez adjoint au Q.rad des fonctionnalités de smart home comme la détection d’intrusion ou bien la mesure de la qualité de l’air. Pourquoi était-ce important pour vous ?

M.S. Notre vision, c’est que le bâtiment de demain doit avoir une autonomie énergétique, mais également numérique.

A ce titre, nous pensons que la machine va occuper une position stratégique dans l’habitat. En effet, elle est présente dans toutes les pièces de la maison et comprend les deux prérequis au fonctionnement des objets connectés, à savoir l’alimentation en électricité et la connexion. De facto, cela place le Q.rad comme une plate-forme intéressante pour lancer des fonctionnalités de smart home et de smart building. L’intelligence est déjà sur place et peut être mobilisée pour les besoins de la maison.

Enfin, nous devons également justifier le prix du Q.rad avec des fonctions allant au-delà du chauffage écologique et gratuit.

Comment sélectionnez-vous les lieux où installer les Q-rad ? Quels sont les critères de sélection ?

M.S. Plusieurs critères sont pris en compte. Tout d’abord, le lieu doit être raccordable à la fibre optique et accueillir un minimum de 20 machines. Enfin, ce sont souvent des sites subventionnés pour la mise en place de sources d’énergie verte. Si je prends l’exemple du contrat que nous avons signé avec Gironde Habitat, le bailleur social a financé les Q.rad et les locataires bénéficient gratuitement de la chaleur produite, ainsi que du wifi.

En effet, l’immeuble étant équipé entièrement en Q.rad, notre propre fibre optique y est installée. Nous sommes donc en mesure de fournir une connexion internet de qualité gratuitement au locataire, en plus des fonctionnalités précédemment évoquées.

Au final, que vendez-vous ? De la capacité de calcul ou un radiateur ?

M.S. Notre core business, c’est clairement de fournir de la capacité de calcul.

Nous avons décidé de ne pas faire payer le chauffage aux hôtes pour deux raisons. La première c’est qu’ils doivent déjà acheter le Q.rad, ce qui finance une partie de nos actifs. Nous voulons que leur retour sur investissement soit intéressant.

La seconde raison, c’est que nous voulons éviter que les hôtes limitent la production de chaleur pour réduire leur facture, ce qui contraindrait nos capacités de calcul.

Vous comptez déjà plus de 500 clients. Qui sont-ils et, d’un point de vue prospectif, quels marchés visez-vous ?

M.S. A date, nos clients demandeurs en capacité de calcul sont principalement des banques d’investissement et des studios d’animation. Les contraintes grandissantes de la règlementation bancaire poussent le secteur à être de plus en plus calculatoire, afin de contrôler les risques. Quant à l’animation 3D, la progression des techniques conduit à la même tendance. Aujourd’hui, une superproduction d’animation peut demander jusqu’à 100 millions d’heures de calcul, ce qui représente l’équivalent de plus de 2 000 foyers chauffés en Q.rad.

On se dirige vers un monde beaucoup plus calculatoire alors qu’aujourd’hui nous faisons essentiellement du stockage de données. Les besoins en calculs et en simulations vont progressivement s’étendre à d’autres secteurs, comme le pharmaceutique.

Vous êtes en quelques sortes gestionnaire d’un réseau hybride avec d’un côté une capacité et une demande de calcul et de l’autre une capacité et une demande d’énergie thermique. Comment en assurez-vous l’équilibre ?

M.S. A vrai dire, la valeur ajoutée de Qarnot réside dans sa plate-forme informatique permettant d’optimiser la gestion du parc d’ordinateurs en fonction des besoins en puissance de calcul, en temps réel.

Celle-ci prend en compte les contraintes, comme la température souhaitée par l’hôte du Q.rad dans son habitat. Notre plate-forme est capable de réguler le nombre de processeurs allumés ainsi que leur fréquence pour maîtriser la température ambiante. Celle-ci peut également aller puiser automatiquement de la capacité de calcul chez un data center partenaire si jamais nos ressources Qarnot ne sont pas suffisantes.

Par rapport à vos concurrents, arrivez-vous financièrement à compenser le fait d’être obligé à faire appel à de la sous-traitance lorsqu’il n’est pas nécessaire de chauffer ?

M.S. Nous avons justement développé plusieurs partenariats permettant ces débordements.

Nous travaillons également au développement d’une chaudière numérique nous permettant de calculer plus facilement en période de forte chaleur.

Cependant, notre modèle économique nous permet malgré tout d’être deux à quatre fois moins chers que nos concurrents. En comparaison, nous avons très peu de coûts d’exploitation et peu d’investissements, les Q-rad étant financés par les hôtes.

Devez-vous faire face à d’autres contraintes, autres que la saisonnalité ?

Nous avons de fortes contraintes réglementaires. La réglementation thermique 2012 ayant pratiquement écarté le chauffage électrique, nous devons constamment demander des dérogations via le titre V[1]. La non-obtention de cette dérogation pouvant bloquer le permis de construire du bâtiment.

Nous nous efforçons également d’accélérer la mise en place d’incitations fiscales pour le Q.rad, comme c’est le cas pour les autres énergies vertes.

Notre difficulté, c’est d’être confronté à un marché qui n’est pas encore familier avec ce type d’innovation.

Dans un monde de plus en plus digitalisé, la production de données croît de manière exponentielle. Faut-il selon vous mener une réflexion sur leur production-même et leur surabondance ?

M.S. Tout à fait. Il est vrai qu’aujourd’hui nous emmagasinons beaucoup de données : nous sommes actuellement dans un monde de stockage. Demain, celle-ci sera davantage traitée. Nous nous dirigeons donc rapidement vers un monde beaucoup plus calculatoire.

Que ce soit pour satisfaire les besoins croissants en simulation ou pour soutenir des innovations, il va falloir avoir des capacités de calcul beaucoup plus importantes. Le modèle du data center doit donc évoluer. Nous pensons que le système central tel qu’il existe aujourd’hui n’est pas tenable à terme. Il faudra des data centers plus petits, plus répartis et plus distribués. On touche ici des notions d’avenir comme le Edge Computing et le Fog Computing, signifiant que les données et les calculs seront beaucoup plus étalés qu’aujourd’hui.

Pour finir, Qarnot a été lauréat de nombreux prix depuis sa création. Duquel êtes-vous le plus fier ?

M.S. Les prix les plus gratifiants pour nous sont certainement ceux décernés par nos clients, car ils symbolisent une reconnaissance, comme le prix spécial ENGIE 2016 ou bien le prix de l’efficacité énergétique de la Société Générale.

Mais pour être honnête, notre fierté personnelle repose plus sur la signature des contrats passant par l’obtention du titre V car ils récompensent les efforts de l’équipe et démontrent notre capacité à faire évoluer le marché en répandant le concept innovateur de Qarnot.

Auteurs :
Naïc Marcangeli, Consultant
Lionel Braun, Consultant
Patrice Mallet, Directeur Associé