La précarité énergétique est un mal qui a été reconnu des pouvoirs publics en 1975 et combattu à partir de 2005 avec l’introduction de tarifs sociaux en électricité puis en gaz. Le Tarif de Première Nécessité (TPN, électricité) a été instauré en 2005, le Tarif Spécial de Solidarité (TSS, gaz) en 2008 et la loi qui définit la précarité énergétique a vu le jour en 2010[1]. Une politique globale qui permettrait non seulement d’aider les foyers en situation de précarité énergétique mais aussi d’améliorer leurs conditions d’habitat est une des priorités du gouvernement actuel. L’inscription de cette thématique lors des deux conférences gouvernementales, l’une environnementale (14 – 15 Septembre) et l’autre sociale (12 – 13 Novembre), démontre cette volonté d’aller plus loin dans l’éradication de ce fléau.

En juillet 2010, le Grenelle II a défini en premier un « précaire énergétique » comme « une personne qui éprouve dans son logement des difficultés particulières à disposer de la fourniture d’énergie nécessaire à la satisfaction de ses besoins élémentaires en raison de l’inadaptation de ses ressources ou de ses conditions d’habitat »[2]. Si cette définition a le mérite d’avoir inscrit pour la première fois le terme de « précaire énergétique » dans la loi, elle présente l’inconvénient d’être peu quantifiable et ne permet pas d’identifier et de dénombrer les ménages en situation de précarité énergétique. Les Anglais ont une approche plus quantitative : tout ménage consacrant « plus de 10% de ses revenus dans les factures d’électricité et de gaz pour atteindre une température de 21°C dans la pièce principale et 18°C dans les autres pièces » est en situation de précarité énergétique.

La précarité énergétique résulte de la combinaison de trois causes complexes et difficiles à circonscrire : les conditions socio-économiques du ménage, l’efficacité énergétique du logement occupé et l’exposition aux fluctuations des prix du marché de l’énergie. Les conséquences peuvent être critiques et entraîner les foyers dans un cercle vicieux de problèmes financiers (impayés, endettement, coupure de la fourniture), sociaux (repli sur soi, isolement, absence de mobilité, etc.) et même de santé (maladies respiratoires ou surmortalité en hiver).

La réponse à apporter à la précarité doit donc passer par une réflexion globale suivant une approche systémique.

Les solutions peuvent être de trois natures et avoir un impact plus ou moins profond :

  • Contribuer à couvrir les charges liées à l’énergie via les tarifs sociaux et les primes énergies, par exemple ;
  • Améliorer l’efficacité énergétique des logements au travers, par exemple, de plans de rénovation du logement ;
  • Accompagner dans la maîtrise de l’énergie (MDE), via notamment la diffusion de bonnes pratiques.

Ainsi l’extension des tarifs sociaux et les bonus/malus proposés dans le texte de loi des tarifs progressifs de l’énergie (Octobre 2012) sont des mesures curatives agissant à court terme : leur effet disparaîtra si l’aide est supprimée. De même pour les chèques énergies, dispositif à l’étude[3], dont l’objectif ne se cantonne pas au seul subventionnement de l’électricité ou du gaz, mais adresse d’autres moyens de chauffage comme le fioul et le bois. De telles mesures favorisant l’accès à la fourniture d’énergie ont été mises en place avec succès dans d’autres pays européens : « Bonus Social » en Italie et en Espagne, tarifs sociaux au Royaume-Uni, en Belgique… Reste la question du financement… L’article 3[4] du texte de loi sur les tarifs progressifs de l’énergie précise un élargissement des tarifs sociaux aux 4 millions de précaires énergétiques. Ainsi l’assiette des tarifs sociaux (TPN et TSS) ne se restreint plus uniquement aux foyers bénéficiaires de la couverture mutuelle universelle (1,3 million environ) mais à tous les précaires énergétiques, soit près de quatre fois plus de bénéficiaires. Le coût de cet élargissement est estimé à près de 520 millions d’euros ne pourra pas être uniquement financé par la CSPE [5] (l’augmentation de cette dernière est plafonnée et a déjà été en juillet dernier de 6 € par mégawatt-heure). Son financement rentrera donc dans les réflexions d’équilibrage des bonus/malus de la loi.

Ces mesures d’aide au financement, pourtant nécessaires pour aider les ménages à court terme, doivent être complétées par des actions préventives à plus long terme visant à améliorer l’efficacité thermique des logements et à sortir les ménages de la précarité énergétique. Comme le souligne la Fondation Abbé Pierre, « les mesures d’urgence de la conférence environnementale concernant le bâtiment doivent traiter de la précarité énergétique et amener au moins deux engagements : rénover en priorité les logements occupés par les ménages en situation d’extrême précarité et impliquer les acteurs concernés […] pour assurer la construction rapide d’une politique globale cohérente ». C’est l’objectif poursuivi par le futur plan de réhabilitation thermique qui vise à porter la cible des logements rénovés à 500.000 par an (5 à 9 Mds d’euros d’investissements), en plus des 500.000 logements neufs prévus chaque année. Là encore, des réflexions sur le mode de financement sont en cours. Un mécanisme émergent « tiers-investissement »[6] propose une réponse durable et citoyenne à cette question, il consiste à ne plus demander aux habitants des « passoires énergétiques » d’auto financer leurs travaux, s’élevant souvent à plusieurs dizaines de milliers d’euros, mais de les faire financer, au moins en partie par un tiers qui se rémunèrera sur les économies d’énergie obtenues. L’identité de ces tiers reste toutefois à déterminer : des banques ou des fournisseurs d’électricité ou encore la Banque Publique d’Investissement ? Un autre exemple de dispositif innovant et efficace est celui de Renovassistance et Relogeas en Belgique qui font rénover des immeubles insalubres par des entreprises d’économie sociale et louent ensuite aux personnes à revenu faible.

Enfin, le troisième pilier d’une lutte efficace contre la précarité énergétique concerne l’accompagnement des foyers dans la maîtrise de la consommation de l’énergie (MDE), pour les aider à moins et mieux consommer. Cet accompagnement se fait nécessairement au plus près des besoins des foyers, et cela dans la durée. C’est pour cette raison que de nombreuses initiatives existent au niveau local, associant une myriade d’acteurs : énergéticiens, pouvoirs publics, mais aussi ONG, médiateurs, etc. Chacun met à disposition ses compétences afin d’apporter une réponse globale :

  • les structures de médiation sociale ou d’information apportent conseil et support aux précaires énergétiques, tels que les espaces « Info Energies » de l’ADEME ou l’Union Nationale des Centres Communaux et Intercommunaux d’Action Sociale (UNCCAS, partenaire d’EDF) ;
  • les points d’accueils pour les personnes en difficulté (« Les Points d’Information Médiation Multi-Services », PIMMS) qui leur proposent un appui dans la réalisation de démarches quotidiennes notamment liées à la fourniture d’énergie (EDF propose au personnel d’accueil des formations aux tarifs sociaux)
  • les initiatives collectives telles que « MédiaTerre » où des jeunes en service civique ont pour objectif de « sensibiliser les familles modestes à la préservation de l’environnement et de les aider à passer à l’acte en adoptant progressivement 10 éco-gestes » (6000 volontaires depuis la création). Cette initiative a assuré son efficacité en fédérant de nombreux partenaires : des acteurs privés (Veolia, AG2R-La Mondiale, Bouygues Immobilier, EDF ou le Crédit Foncier, etc.), les pouvoirs publics et d’autres ONG (France Nature Environnement).

Des dispositifs similaires alliant sensibilisation, éco conseils et accompagnement personnalisé ont également été déployés dans les pays voisins à une maille locale pour aller à la rencontre des consommateurs : le « train du climat » en Suède en 2010 (train sillonnant les villes et prodiguant des conseils pour réduire la consommation d’énergie au quotidien, etc.), ou encore les « guichets de l’énergie » en Belgique (guichets physiques en région Wallonne qui fournissent des conseils concrets, gratuits et de proximité).

La diversité de ces initiatives et des réponses qu’elles apportent renforcent le besoin d’un mode de pensée systémique. La précarité énergétique ne peut pas se réduire à la seule problématique du chauffage des logements. Des modes de gouvernance pérenne, au niveau national et européen, à l’identique des réflexions entamées lors de la présidence belge de l’UE en juillet 2010, doivent être mis en place pour que l’ensemble des acteurs harmonisent leurs définitions, s’accordent sur leurs rôles et l’impact souhaité de leurs actions (vision curative complétant la vision préventive) et en suivent l’évolution dans la durée.

Auteurs :
Aurélien Couderc, Senior Consultant
Meriem Jlaidi, Consultante
Bopha Jumelet-Sok, Senior Manager
Emmanuel Autier, Associé
Isabelle Viennois, Senior Manager

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