La méthodologie "Obeya" et ses bénéfices

« Obeya » est un terme japonais signifiant « Grande Salle », et crée par Toyota pour le modèle « Prius ». Sous ce nom exotique, c’est une véritable méthodologie de travail qui est aujourd’hui partagée et préconisée dans de nombreuses d’entreprises françaises spécialisées aussi bien dans la construction, que le ferroviaire, projets d’Engineering Procurement Construction, ou utilities… L’esprit de cette méthodologie est d’impliquer toute une équipe, de façon régulière et dans une même salle, dans le but de suivre visiblement un projet, à l’aide d’indicateurs préalablement définis.

Grâce à ses différentes composantes, l’Obeya donne de la visibilité sur les délais, la qualité, les risques et les coûts, en vue de faciliter le suivi du projet et les décisions. La « Réunion 5 minutes » permet de fluidifier le flux d’informations (top-down/bottom-up) et de casser les silos fonctionnels ; les « Visible Planning » passent la gestion de projet en flux tirés selon les jalons, et renforcent l’efficience par la visualisation des tâches long, moyen et court termes ; les Indicateurs Clés de Performance et l’« Analyse Pareto des Causes Racines » facilitent la détection des dysfonctionnements et l’analyse des gaspillages ; l’« Issue Board » visualise les risques du projet et le plan d’action associé ; la « Fiche de Capitalisation » trace les bonnes pratiques pour alimenter à construire les processus standards. Toutes ces composantes d’Obeya contribuent à un même objectif : assurer un meilleur pilotage des processus/projets et sécurise la convergence Qualité, Coût et Délai.

Les bénéfices de la mise en place d’Obeya ont déjà été démontrés et reconnus depuis des années au sein du domaine industriel : réduction des délais jusqu’à 30 %, gains sur les coûts de projet jusqu’à 10 %, identification et anticipation des risques sur le chemin critique du projet, sécurisation des interfaces Métiers et sous-systèmes, communication efficace entre Métiers et Fonctions pour un vrai fonctionnement « Plateau ».

Quelques exemples de réalisation

L’Obeya n’est pas qu’une méthodologie théorique (voir le détail de la méthodologie dans la dernière partie), elle apporte toujours des résultats concrets et mesurables quel que soit le domaine d’application. Chez un acteur majeur de transport ferroviaire, la méthodologie Obeya a été mise en place sur un projet de développement et fabrication de tram, pour objectif de réduire de 40% le délai de développement et production du premier tram. Dans un contexte des défis techniques complexes, hautes pressions sur les coûts et la multi-localisation des métiers, 3 Obeya ont été créés au niveau de l’Ingénierie, le sous-système le plus critique, et au niveau de l’Industrialisation. Les résultats qui en découlent sont très encourageants : une atteinte à 90% de la réduction du délai prévue, un avancement du projet visible et partagé, un renforcement de la coopération et une communication entre les métiers (Ingénierie, Industrialisation, Achats, Qualité, Logistique…), processus de décision réactif et environnement d'équipe responsabilisant.

Connue pour suivre au jour le jour les activités de projet, l’Obeya peut aussi bien s’appliquer aux projets de longue durée qui existent dans le domaine de construction de centrales nucléaires. Ce genre de projet fait intervenir en général de nombreux services localisés dans des pays différents, ce qui rend très difficiles la coordination des acteurs et la gestion de projet. Face à ces défis, l’Obeya permet de visualiser les jalons au cours des années, de donner une vision claire sur l’avancement du projet et le chemin critique, et de créer une boucle réactive d’identification et résolution de risques et problèmes. Les retours donnés par le management après un Gemba Walk (visite terrain) confirment aussi ces bénéfices : meilleure communication entre les services, informations partagées à tous en même temps facilitant une réponse rapide, principaux jalons et livrables suivis de près grâce aux plannings long terme et court terme, actions et décisions prises tenant compte de toutes les interfaces...

Les mêmes exemples de réussite se trouvent également dans l’industrie pneumatique, l’énergie, la fabrication des produits de caoutchouc, l’aérospatiale… Ces résultats sont sans doute nécessaires pour confirmer la valeur de la méthodologie, mais les plus essentielles restent l’adhésion et l’appropriation de l’Obeya par l’équipe opérationnelle, sans lesquelles une Obeya ne sera pas durable et l’esprit de l’amélioration continue ne s’ancrera pas dans la culture d’entreprise.

L'Obeya, pour affronter les nouveaux challenges des projets, ...

Cet outil majeur de gestion de projet vient répondre à différentes problématiques auxquels des projets, organisations ou équipes ont pu observer sur le terrain et doivent faire face.

Les équipes peuvent être confrontées à la découverte tardive de problèmes, ce qui engendre des retards et coûts non respectés, ou à des calendriers qui ne correspondent pas à la réalité et où les personnes de l’équipe ne sont pas représentées. Elles doivent faire face à des cycles de développement courts pour s’adapter à la demande et à une pression des coûts « faire plus avec moins » où il leur est demandé d’innover, tout en réduisant le coût des produits avec moins de budget ingénierie.

La gestion de la performance peut être difficile à mettre en œuvre et que des projets sur des sites distants peuvent empêcher une mauvaise organisation de travail.

Lors de projets avec des problématiques identifiées et difficilement solvables, c’est par l’implémentation d’une Obeya que l’outil prend tout son sens. Au-delà d’y répondre, l’outil apporte une vision partagée sur les problèmes, causes et actions à mener : c’est-à-dire un sentiment d’appartenance à une équipe/projet et une vision commune au projet ; la communication entre les membres d’une équipe est fluide et il existe une véritable synchronisation entre les différentes parties prenantes du projet.

... vient démontrer les limites de la PMO "classique"

La qualité du Project Management Organization (PMO) a un impact important sur le succès des projets

Même avec une PMO de bon niveau, les grands projets ont du mal à atteindre l’ensemble de leurs objectifs, surtout les programmes complexes. Les outils de la PMO ont beaucoup progressé avec des fonctionnalités sophistiquées (chemin critique, analyse et valorisation des risques, suivi des écarts et actions correctives…). Les expériences de mise en place d’Obeya et une comparaison d’une PMO « classique » avec une PMO renforcée d’une Obeya démontrent la principale limite de la PMO classique : « Travailler et décider ensemble ».

Plus concrètement, les multitudes lignes des plannings (plus de 10 000 pour un projet de centrale électrique et plus de 5 000 pour un projet de train ou métro) contiennent une quantité d’informations. Il est impossible pour les membres de l’équipe projet de les parcourir et de les analyser dans le détail et de façon régulière. Idem pour les alertes reçues par dizaines tous les jours (la fonction Cc y est pour beaucoup). La réalisation du projet est souvent basée sur des hypothèses pas ou peu partagées ou validées. Le volume d’information a tendance à faire travailler les parties prenantes en « silos », chacun se concentrant sur son propre périmètre pour ne pas être noyé. Or la clef de réussite d’un projet complexe réside dans la gestion efficace des interfaces : un problème ou un risque identifié à un endroit donné, a – souvent - des causes racines chez d’autres parties prenantes (un plan 3D, non utilisable par un fournisseur, des capabilités process industriel pas connues par les concepteurs ou les fournisseurs, une nouvelle spécification client pas partagée…).

Les différentes instances de suivi (comités de pilotage) se multiplient et se trouvent à constater des écarts. Chaque partie prenante se trouvant « naturellement » expliquer les causes des dérives dont elle n’est pas ‘en partie’ responsable. La mise en place d’un mode Obeya ne remplace pas les outils de la PMO classique, mais permet de mettre en place un travail d’équipe transparent, impliquant les parties prenantes, et un vrai changement d’état d’esprit : « Comment faire pour converger ensemble vers les objectifs du projet ? »

Les conditions de réussite d'une Obeya

Mettre en place une Obeya, c’est mettre en place une nouvelle méthode de travail et ainsi, l’application de nouvelles techniques d’animation et d’organisation de travail. Avant de démarrer, il est primordial de définir les objectifs qui poussent la mise en place d’une Obeya et que ces derniers soient expliqués, partagés et compris par toute l’équipe.

C’est par cette adhésion de toute l’équipe que la démarche sera maintenue sur le long terme et où les bénéfices seront plus importants.

Une Obeya n’est pas qu’un festival de post’ It, de couleurs ou d’assemblage d’impressions de fichiers existants. Son succès repose sur divers facteurs clés qui ont chacun leur importance et qui ne peuvent être négligés, bien au contraire…

Avant toute chose, c’est par la mobilisation et participation de tous que l’outil rencontrera ses réels bénéfices. L’équipe qui mettra en place et suivra l’Obeya se compose de personnes pluridisciplinaires et d’une autorité indispensable. Il est important de souligner que chaque projet est unique, et ainsi, que chaque projet a son propre Obeya : on parle ainsi de co-construction sur mesure avec et pour l’équipe, dont la forme s’articule par des standards et dont le contenu est décidé et ajusté par le client, en fonction de son besoin.

Les standards d’une Obeya se présentent sous forme de panneaux statiques (Information board, présentation de l’équipe) et de panneaux dynamiques (Plannings à moyen et long terme, Action board, Issue board et Indicateurs Clés de Performance).

Une fois ces facteurs clés de succès assimilés et les prérequis enregistrés, ce qui va faire que votre Obeya apportera les bénéfices attendus préalablement identifiés, et ce qui va déterminer sa durabilité sur le long terme : c’est le rituel ! Sans rituel, sans réunion en continu, sans rythme… l’Obeya meurt ! Lors de sa mise en place, l’équipe s’accorde sur le rythme de la réunion Obeya (quotidien, hebdomadaire ou mensuel) et s’engage à s’y tenir. Cette réunion « entre » dans les agendas de chacun et fait désormais partie d’un engagement.

Pendant la phase d’apprentissage (phase des premières réunions Obeya), il se peut que les réflexes d’une réunion Obeya ne soient pas encore totalement enregistrés et les bénéfices pas encore visibles. C’est le rituel et la régularité de ce management visuel qui feront que les premiers résultats seront atteints prochainement. L’animateur doit être différent à chaque séance afin de garantir l’investissement de chacun, et que chaque animateur comprenne et enregistre rapidement les automatismes et la mécanique.

Au-delà d’une méthodologie puissante dans le but de faciliter le suivi et les décisions d’un projet et ses actions, l’Obeya, par ses multiples fonctions, dépasse les frontières de l’industrie. Cet outil est réalisable et généralisable dans d’autres domaines : l’informatique, les services, ou tout projet où le pilotage des délais, de la qualité, des coûts et des risques reste une priorité.

Auteurs :
Ghada Aissa, Manager
Ewoud Huig, Partner
Flore Montandon
Fathi Trigui, Directeur associé
Liang Zhao