Si chacun s’accorde sur le fait que le digital, locomotive de la 3ème révolution industrielle, chahute la frontière vie professionnelle/vie personnelle, l’évolution du cadre légal reste à définir, ce qui est un défi pour les entreprises, les partenaires sociaux et le législateur.

Voici les questions du moment : Quels sont les impacts et les risques du digital en entreprise ? Quelle est la réponse légale apportée ? Et quid des opportunités du digital ?

Pour vous apporter des éléments de réponse, nous vous proposons notre point de vue à partir du témoignage, lors d’une conférence récente du réseau Sciences Po Alumni, d’une avocate, d’un DRH et d’un représentant syndical.

Impacts et risques du digital en entreprise…

 

Ludovic Guilcher, DRH adjoint chez Orange, identifie, comme impact majeur lié à l’usage élargi du digital dans l’entreprise, le « blurring »  ou confusion progressive des activités professionnelles et personnelles, que ce soit en termes de lieu ou de temps de travail.

En pratique, la notion physique de lieu de travail disparait. « Aller au travail »  supposait se rendre sur le lieu de travail physique. Or les nouveaux espaces de travail deviennent modulables au gré des projets, s’ouvrent de plus en plus à des tiers, notamment via le co-working, et la pratique du télétravail prend de l’ampleur.

Autre impact majeur du digital : la surcharge informationnelle. Le symptôme le plus visible est selon L. Guilcher l’explosion du nombre d’e-mails entrainant avec elle une baisse de productivité et une addiction de la part des collaborateurs. Pour mémoire, dès 2011, Thierry Breton, ancien ministre de l’économie, avait déjà identifié ces difficultés et avait milité, sans succès, pour une réduction des e-mails dans l’entreprise. Peut-être que son idée serait accueillie différemment aujourd’hui ?  

…ne trouvant pas encore de réponse légale globale.

 

Dans ce contexte, se pose la question de la surcharge de travail.

Cette notion évolue et intègre aujourd’hui les notions de « charges physiques et nerveuse », prenant en compte la surcharge informationnelle et l’augmentation de l’amplitude des journées de travail auxquelles les salariés sont exposés.

Quant à ce dernier point, la France a été récemment condamnée par le Comité Social du Conseil de l’Europe pour non-conformité de sa législation sur le temps de travail. Le « travail dissimulé » des cadres semble être dû à la connexion permanente de ces derniers, favorisée de nos jours par les outils digitaux.

Cela montre l’étendue du travail à fournir.

Une opportunité pour les entreprises et les partenaires sociaux…

 

De ce fait, les entreprises ont tout intérêt à anticiper les transformations à venir.

Comme par exemple Axa qui a signé, dès 2011, un Accord « à blanc » sur l’anticipation des changements. Cet accord posait les principes du dialogue social sur les impacts que pouvaient avoir les transformations à venir sur l’emploi, prévoyant notamment la mise en place d’un Observatoire des métiers et l’accompagnement par la formation des métiers en décroissance.

Selon Olivier Pelras, Secrétaire du comité de groupe européen d’Axa, cet accord sert à ce jour de socle pour avancer de manière concertée avec l’entreprise en vue du lancement du plan Digital en 2016 (consultation-information du Comité d’Entreprise Européen, coordination des instances locales…).

Chez Orange, la mise en place du télétravail a été réalisée en partenariat avec les IRP,  via la négociation de plusieurs accords dont celui sur le télétravail et l’équilibre vie professionnelle/vie privée. Ce dernier autorise par exemple les salariés de ne plus répondre aux e-mails après 18h et le week-end (mesure reprenant la proposition des syndicats nationaux de l’instauration d’un droit à la déconnexion). Par ailleurs, à défaut de cadre légal déterminé, Orange anticipe et entame des négociations sur le digital et le travail en entreprise, envisageant notamment la signature d’une Charte digitale interne.

Concernant le temps de travail, la branche professionnelle Syntec a signé en avril 2014 une extension de l’accord relatif aux forfaits jours instaurant notamment une obligation de déconnexion des outils de travail à distance. Les salariés sont par ailleurs encouragés à émettre des alertes en cas de surcharge. Selon cet accord, il revient néanmoins aux entreprises de mettre en place des outils de suivi du temps de repos car c’est à l’employeur qu’incombe la responsabilité de la prise de repos par les salariés.

Cet accord a engendré plusieurs initiatives, que ce soit de la part de l’employeur ou des IRP : interruption de la réception d’e-mails pendant les arrêts de travail ou en cas de suspension de contrat, calcul des temps de connexion, alerte sur le PC, tableaux de bord permettant de suivre les temps de connexion des salariés.  

Néanmoins, se doter d’un cadre légal ne suffit pas. En effet, Caroline Ferté, avocate, rappelle que c’est également la responsabilité de l’employeur de veiller à ce que les salariés maîtrisent bien, techniquement, les outils et sachent comment se déconnecter. Dans ce contexte, le cadre légal doit être doublé d’une sensibilisation des salariés aux usages des TIC, comme le prévoit l’accord national interprofessionnels sur la qualité de vie au travail (2013), préconisant de mettre en place des formations à l’utilisation des technologies de l’information et de la communication (TIC).

C’est ce que fait par exemple Orange, avec la mise en place de formations spécifiques permettant d’éduquer les salariés à l’usage des e-mails et des réseaux sociaux.  De son côté, afin de préparer sa fonction RH et ses IRP aux enjeux du digital, Axa propose des formations-conférences sur des sujets comme le Big Data, le fonctionnement des start-ups et des témoignages d’autres métiers fortement impactés par le digital (comme l’hôtellerie, qui a vu l’arrivée de concurrents dont le business model est basé sur le digital, tels qu’Airbnb…).

A travers ces exemples, nous voyons bien que seule une approche globale, impliquant les entreprises, les IRP et le législateur, permettra de transformer l’opportunité du digital en véritable bienfait pour tous.

Contact: Mihaela Vlad Rivoallon, Consultante