La transformation digitale est au cœur de la stratégie des grandes entreprises, avec aujourd’hui une accélération des investissements sans commune mesure, tirée par la menace de nouveaux entrants et pure players du Web qui du jour au lendemain pourraient bien faire basculer les modèles de service traditionnels les plus solidement ancrés dans notre paysage économique.

Tous les secteurs sont concernés et des leviers sont actionnés tous azimuts avec un mot d’ordre : accélérer et se transformer. La collaboration avec les startups se décline sous plusieurs formes pour innover et accélérer la mise sur le marché de nouveaux services à valeur ajoutée pour le client (lire notre article sur la collaboration entre start-ups et grands groupes publié en deux parties le 3 octobre et le 10 octobre).

Pour autant la déception majeure des directions générales reste un constat de lenteur.

 

Elles envient aux startups leur agilité et leurs méthodes de travail collaboratives, toutes deux soutenues par une « culture digitale » qui ne connait pas les lourdeurs des cultures traditionnelles dont ils ont la charge. 57% des responsables digitaux interviewés dans une récente étude indiquent sur les problèmes d’organisation sont les principales barrières à la finalisation de leurs projets Expérience Client[1].

Trop souvent oubliée des phases amont des projets d’innovation, la population des managers de proximité doit être correctement embarquée dans la transformation. En effet, si les orientations digitales sont à impulser par le haut avec la collaboration des « champions » du digital (au sein des fonctions marketing, digital, SI des entreprises) l’adoption des nouveaux usages passe par toutes les strates à commencer par celles qui portent un devoir d’exemplarité au quotidien auprès des opérationnels.

Pourquoi les managers de proximité freinent votre transformation digitale ?

 

Ecouter les managers de proximité est éclairant, à commencer par ceux dont les équipes sont impactées par le digital pour l’expérience client et l’excellence opérationnelle : managers front-office, managers d’équipe en service client, animation commerciale etc.

Leurs résistances sont révélatrices :

Réaction #1 : la stratégie impulsée par le top management sur le digital n’est pas claire

 

Les managers ont une vision lointaine de la stratégie entreprise dans le domaine du digital. Récepteurs d’une communication institutionnelle épisodique, ils entendent le discours sur les impacts et la nécessaire transformation mais manquent de visibilité sur les résultats. Pour eux, la transformation digitale est un discours sans incidence réelle sur le business, les offres et encore moins les façons de travailler en interne. Les entreprises doivent impérativement mettre en œuvre un plan de communication interne à 360° impliquant les managers et appuyé par des preuves. Le risque étant de se heurter à un scepticisme à grande échelle lors du lancement de ses nouveaux services.

Réaction #2 : les clients n’ont pas besoin des innovations digitales

 

Préoccupés par la résolution de problèmes au quotidien, les managers peuvent manquer de vision sur l’expérience client proposée dans des secteurs similaires et par les géants du Web – à la différence du COMEX et du top management régulièrement conviés à des conférences et autres Learning Expeditions. Pour développer leur curiosité et une appétence digitale, il est utile de faire descendre cette information et montrer aux managers exemples inspirants et bonnes pratiques cross-sectorielles. Ceci pour leur culture et afin de les équiper d’éléments de langage utiles à leur mission d’ambassadeurs.

Réaction #3 : les besoins réels des collaborateurs internes ne sont pas entendus

 

La frustration des collaborateurs quant aux limites des outils de travail proposés par l’entreprise (arbitrages stratégiques, limites réglementaires, contraintes de sécurité IT…) est largement partagée dans les entreprises. En témoigne le phénomène du Shadow IT (outils personnels utilisés dans leur vie professionnelle par les salariés, qui n’ont pas fait l’objet d’une approbation préalable de la DSI), qui concernerait 83% des salariés[2]. Cette frustration rejaillit sur l’expérience pour les collaborateurs en contact clientèle. Des projets « Employee experience » menés avec les managers, l’équipement en solutions nomades et collaboratives des forces vives de la relation client et des actions régulières de pédagogie sur la cybersécurité permettront d’améliorer l’expérience en interne, la fierté d’appartenance à l’entreprise tout en les responsabilisant sur les risques inhérents aux usages professionnels du digital.

Réaction #4 : les solutions sont développées « hors sol » et déconnectées de la réalité business

 

Insuffisamment impliqués en amont lors des sessions de design thinking et leurs suites, les managers estiment que les solutions ont été développées sans lien avec une réalité business qu’ils maîtrisent mieux que tout autre. Leur amertume, à raison ou à tort, peut mener au rejet pur et simple des solutions par les managers et par conséquent leur équipe. Associer des managers représentatifs en amont pour prototyper des solutions IT parfaitement imbriquées dans les processus commerciaux et clients est un impératif pour que les solutions développées à la cible soient utilisées et créent de la valeur.

Réaction #5 : le digital apporte complexité et perte de temps

 

Utilisateurs directs ou indirects, les managers profitent des avancées des solutions rapidement développées… mais aussi de leurs dysfonctionnements, nombreux du fait de l’impératif de vitesse des projets Métiers. Car si le test & learn et les prototypes présentent un intérêt avéré (tests utilisateurs, feedback, preuves envoyées au terrain…) gare à la phase d’intégration ! Du fait d’architectures IT toujours plus complexes, les solutions une fois intégrées dans les systèmes peuvent apporter plus de complexité que la promesse initiale. Les entreprises doivent s’équiper rapidement d’infrastructures IT agiles pour mettre en place des services adaptés tant aux clients qu’à leurs utilisateurs internes.

Faire sauter les résistances au digital

 

Ces 5 réactions des managers sont une réponse à un vrai stress : crainte de perdre son expertise ou sa légitimité vis-à-vis des plus jeunes, crainte de perdre son emploi dans le cas des innovations qui remplacent le service humain (ex. : bots et robotic process automation)… le manager s’arque boute sur ses positions pour faire face à une nouvelle donne dans l’organisation qui le déstabilise fortement. Il est pourtant l’homme clé sur lequel doivent se concentrer les efforts d’acculturation au digital et d’accompagnement au changement. La constitution et l’animation d’un réseau décentralisé de « managers de proximité champions du digital » décupleront l’effort des acteurs du changement pour les projets de grande ampleur. Le digital est paradoxal ; dans un monde où tout s’accélère, savoir prendre le temps pour sensibiliser, accompagner, impliquer, embarquer et co-créer avec les équipes est devenu différentiant et certainement le facteur clés de succès de la transformation digitale de l’organisation.

Auteurs :

Muriel Monteiro est Partner dans les équipes Digital & Stratégie de BearingPoint. Elle accompagne les directions générales dans leur transformation digitale et stratégie d’innovation. Digital Mum, elle est adepte à ses rares heures perdues de yoga et marche nordique.

Marielle Garagnani est manager dans l’équipe Digital & stratégie de BearingPoint. Elle intervient sur des grands projets de transformation de fonctions relation client et d’accompagnement au changement. Mélomane, elle utilise aussi sa sensibilité digitale au piano.

[1] Source Forrester’s Q1 2015 Digital Experience Delivery Online Survey

[2] Cisco, mars 2016