Virement par SMS, transfert d’argent par tweet, ou encore Android Pay vous connaissez ?

Un ensemble de solutions de paiement alternatives qui se multiplient depuis quelques années et qui veulent toutes trouver leur place dans le quotidien des consommateurs. Ce qui n’était encore, il y a peu, qu’un phénomène marginal, limité principalement au règlement des achats effectués sur internet, tel PayPal, tend aujourd’hui à se développer et à remettre en cause la structuration du système bancaire actuel. Si certaines de ces innovations sont retombées dans l’oubli aussi vite qu’elles étaient apparues (qui se souvient de Buyster), l’une d’entre elles est au cœur d’une nouvelle bataille où les banques bien sûr, mais aussi les géants de l’internet et les opérateurs mobiles se livrent une véritable course au clocher. Objectif avoué : s’imposer par le nombre.

Au début il y avait les pièces de monnaie. Puis se développèrent les billets et les chèques. Lancées dans le courant des années 1970, les cartes bancaires marquèrent le premier tournant vers une numérisation des règlements. Malgré leurs différences, tous ces moyens de paiement partagent pourtant un dénominateur commun : le contrôle qu’exercent les banques sur leur émission et leur gestion. Un monopole fortement ébranlé par l’offensive des géants de l’internet sur la chasse gardée historique des institutions financières.

Google, Apple, eBay : ils veulent tous remplacer votre carte bleue !

D’après les dernières études[1] les taux d’équipement en téléphone mobile atteignent 100% dans les pays développés. Un taux d’équipement record qui explique l’appétit des sociétés de la Silicon Valley pour un marché encore émergeant mais prometteur : le règlement par mobile. Apple Pay, Android Pay ou encore Samsung Pay, chacun veut son application.

Google, à lui seul, est présent via son système d’exploitation Android, sur 81.2%[2] des smartphones vendus en 2015 dans le monde, soit plus d’un milliard de terminaux à travers la planète ! Une force de frappe dont aucune banque ne peut se prévaloir, et un véritable cheval de Troie dans la poche du consommateur.

S’appuyant sur la technologie NFC, utilisée pour l’échange de données sans contact et à très faible distance (quelques centimètres tout au plus), ces sociétés transforment grâce à une simple application votre smartphone en un moyen de paiement. Un modèle identique aux cartes bleues sans contact. Le client n’a qu’à approcher son téléphone du terminal de paiement électronique pour que son compte soit automatiquement débité. Une démarche rapide, puisqu’aucun code n’est nécessaire (jusqu’à 20 €, obligatoire au-delà), et sécurisée, le téléphone devant obligatoirement être déverrouillé pour que la transaction soit effectuée. En cas de perte du téléphone, l’utilisateur a même la capacité de bloquer l’application pour éviter toute utilisation frauduleuse.

Les banques à l’affût… et les opérateurs mobiles en embuscade

Face à la multiplication des offres concurrentes, les banques traditionnelles ont pris le train en route, avec la farouche intention de ne pas se laisser distancer sur ce juteux marché. Ainsi 4 des principales banques françaises (BNP Paribas, Société Générale, La Banque Postale et le groupe BPCE) se sont associées et testent actuellement une offre commune de paiement sans contact sur mobile auprès de clients pilotes[3]. Une offre développée avec le support des deux leaders mondiaux des réseaux de paiement, les américains Visa et MasterCard.

Dans le même temps Orange a lancé son propre service ‘Orange Cash’, qui propose une carte virtuelle sur mobile. Le client alimente son compte sur Orange, dans un modèle de carte prépayée, puis effectue ses règlements chez les commerçants directement via son mobile. Une manière subtile pour Orange de se substituer à la banque, en récupérant une partie des commissions, tout en disposant d’une maîtrise du cash propre au modèle du prépayé.

Les commissions de paiement : un enjeu de plus de 3 Mds d’euro

On comprend facilement l’intérêt de tous ces nouveaux intermédiaires lorsque l’on sait que rien qu’en France les commissions sur les règlements par carte bancaire sont estimées à plus de 3Mds d’euros par an.

Une somme qui peut paraitre conséquente, mais qui en réalité se base sur une commission restreinte (de l’ordre de 0,2% sur chaque transaction). Un montant unitaire finalement relativement faible, qui ne laisse qu’une marge de manœuvre limitée à chacune des parties. Qui de la banque, de l’opérateur ou de l’éditeur de l’application aura la part du roi ?

Le modèle économique est encore balbutiant et les lignes devraient évoluer très rapidement dans les mois à venir. L’arrivée de l’ogre Apple Pay en France oblige les concurrents à réagir, et déjà de nombreuses tensions apparaissent. En bloquant l’application d’Orange sur ses téléphones, Apple a lancé un signal fort pour garder la main mise sur un des services qu’il considère comme le plus prometteur. Les banques sont elles aussi entrées dans des négociations à couteaux tirés avec Apple et Google, ne souhaitant pas se faire déposséder d’une partie de leur métier, mais ne voulant pas rater un relais de croissance rare dans un marché mature. Un bras de fer qui obligera sans doute le législateur a rapidement se pencher sur la question, afin de garantir aux consommateurs une offre lisible et éviter la création d’un duo pôle Apple-Google sur ce marché en devenir.

Une nouvelle brique pour construire l’entreprise 2.0

Même s’il s’agit toujours d’un marché en devenir, la mise en œuvre dans le monde de l’entreprise semble prometteuse, et laisse déjà présager une multitude d’usages. En mettant à disposition des entreprises des plateformes de paiement intégralement digitalisées, ces innovations ouvrent la voie à une révolution dans la gestion des flux financiers.

On peut déjà, sans trop d’effort, imaginer une application concrète au sujet complexe de la gestion des notes de frais. Véritable casse-tête pour les entreprises, leur traitement fait aujourd’hui encore, largement appelle à des processus de déclaration et de vérification manuels. En remplaçant l’historique carte de crédit, mais surtout en y associant une gamme de services dédiés, le paiement 100% digital offre des perspectives alléchantes. Déclaration automatique des dépenses, e-tickets, ajustements à la demande des plafonds, alertes et reporting dynamiques, tout cela devient possible. Le pilotage en temps réel prend forme, le délai de remboursement est réduit et le décalage budgétaire limité. Un progrès immense pour l’entreprise tout comme pour le salarié, puisqu’il signerait la fin des déclarations manuelles. Un simple passage sur un TPE de taxi et la ligne budgétaire serait automatique débitée, l’utilisateur identifié, la dépense classifiée, et la facture géo-localisée et horodatée.

Si pour l’instant tout cela n’est que pure chimère, il existe à n’en pas douter une formidable opportunité pour les entreprises.

Du rechargement du passe Navigo pour les transports, à l’intégration avec les cartes de fidélités pour la grande distribution, les débouchés semblent multiples, et chaque secteur trouvera sans doute un moyen de s’approprier les possibilités qu’offrent ces nouvelles technologies.

Et après ?

Alors que les premiers services de paiement sans contact viennent tout juste d’être lancés, la prochaine bataille est déjà en préparation. Au-delà du rôle de « carte de crédit nouvelle génération », les géants du numérique se voient déjà en intermédiaire financier à part entière.

Bien que rien n’ait été annoncé, comment ne pas imaginer Google ou Facebook profiter de leur présence mondiale et de leurs milliards d’utilisateurs pour proposer des solutions de transfert de fonds ou de couverture du risque de change ? En mettant en compensation immédiate les millions de flux qui transiteraient sur leur plateforme, ils pourraient offrir des frais de changes et de virement pour quelques centimes seulement. Le virement d’un père américain à son fils étudiant en Europe se retrouve compensé par le flux inverse, d’un touriste européen échangeant ses euros en dollars. Une épine de taille dans le pied des banques et autres bureaux de changes dont le business repose sur ces confortables commissions. Alors que les banques ont grandi dans une logique nationale, présentant toujours une exposition déséquilibrée à leur marché domestique, les figures de proue du web sont nées mondiales. Facebook possède ainsi un nombre similaire d’utilisateurs en Europe et en Amérique du Nord, de quoi équilibrer facilement des flux colossaux.

Cette digitalisation des flux financiers et le développement d’une technologie de poche semblent suivre l’émergence d’un mouvement initié dans les années 70 vers la disparition progressive de l’argent liquide. Avec le Bank Secrecy Act de 1970 aux Etats-Unis, et le plafonnement progressif des paiements en espèces en Europe, la volonté des états de lutter contre le blanchiment d’argent s’est toujours accompagnée d’une restriction du recours à l’argent liquide, par définition intraçable. Si l’Allemagne est toujours citée en exemple pour l’usage massif d’argent liquide, d’autres pays ont entamé une transition parfois bien avancée. Ainsi au Danemark un tiers de la population n’a pas de recours régulier à l’argent liquide[4], et les pays du nord de l’Europe, Norvège et Suède ont mis en place des journées sans cash. Dans ce dernier on estime que 95% des transactions sont réalisées sans pièces ni billets. Un mouvement qui devrait s’amplifier dans les années à venir (au Danemark le nombre de personnes ayant recours à l’argent liquide est ainsi passé de 85% à la fin des années 90 à moins de 25% aujourd’hui) grâce aux nouvelles solutions technologiques mises en place. En complément du e-commerce, la dématérialisation des moyens de paiements et des transferts entre particuliers ouvre la porte à un monde sans liquide. Un atout fiscal mais aussi sécuritaire pour les états, dont les pays en développement seraient les premiers bénéficiaires.

Alors comment sera le monde de demain ? Qui gèrera notre argent ? Comme souvent lors d’un virage technologique, si les appelés sont nombreux, les élus le seront probablement beaucoup moins. Il y a fort à parier que le marché connaitra un mouvement de concentration ou seules 3 ou 4 firmes s’imposeront. Une constante dans le domaine de la haute technologie, tel que l’a connu le secteur des télécoms et des fournisseurs d’accès internet au milieu des années 2000.

Les leaders de demain sont-ils parmi ceux-là ? Très probablement. Leur politique d’investissement agressive les amène à acheter par dizaine de micro-sociétés, n’ayant parfois fait état que d’une simple idée !, de peur de se retrouver distancé. Une stratégie de rachats des startups innovantes initiée par les géants que sont Google, Microsoft, Facebook ou encore Amazon, qui investissent à coup de milliards pour maintenir leur position dans la course à l’innovation. Une démarche qui, en ratissant large, ne laisse finalement que peu de place à un nouvel entrant pour éclore. Mais dans le monde de l’innovation tout va très vite et les leaders d’hier sont parfois les suiveurs de demain. Peut-être n’aurons-nous plus des euros ou des dollars dans nos poches mais des « Googlecoins » dans notre mobile. Cependant les positions ne sont pas jamais définitivement figées. Yahoo!, leader incontesté de l’internet il y a 15 ans et aujourd’hui à l’agonie, pourra en témoigner.

Mais n’enterrons pas trop vite nos systèmes monétaires millénaires. Sommes-nous vraiment prêts à renoncer à jouer à la petite souris pour nos enfants ?

Auteur : Antoine Bernard