Un achat performant repose sur un dialogue permanent entre acheteurs et fournisseurs. Ce dialogue est indispensable à l’acheteur (définition d’une une stratégie d’acquisition adaptée, évaluation réaliste du montant d’une opération, etc.) comme au fournisseur, a fortiori s’il s’agit de PME et/ou de « nouveaux entrants ». Sans être interdite, cette nécessité de dialoguer en dehors des phases de passation et d’exécution des marchés était ignorée par le droit des marchés publics, ce qui a ralenti la mise en place d’une gestion de la relation fournisseurs outillée et professionnalisée au sein du secteur public.

La récente publication par la Direction des Affaires Juridique (DAJ) de Bercy, à des fins de concertation publique, du projet de décret d’application de l’ordonnance du 23 juillet 2015 relative aux marchés publics, vient combler ce manque en consacrant la notion de « sourcing ».     

Ainsi, le sourcing, renommé « sourçage », apparait dans l’article 3 du projet de décret : « Afin de préparer la passation d’un marché public, l’acheteur peut réaliser des consultations, solliciter des avis, faire réaliser des études de marché ou informer les opérateurs économiques de son projet et de ses exigences». Jusqu’à présent, seule une récente décision du Conseil d’Etat, datée du 14 novembre 2014 (1) était venue préciser les modalités opérationnelles du sourcing et, en creux, favoriser son utilisation par les acheteurs publics.

Cette consécration de la notion de sourcing, dans le prolongement des directives européennes et de la jurisprudence du Conseil d’Etat, va permettre :

  • De développer et de systématiser une pratique du sourcing qui se heurte aujourd’hui à beaucoup de réticences de la part d’acheteurs et de prescripteurs peu enclins à dialoguer avec des fournisseurs sans cadre réglementaire défini ;
  • D’encadrer davantage la pratique du sourcing, qui ne doit pas aboutir en aval à l’émission d’un cahier des charges « sur mesure », l’article 3 précisant : « Les résultats de ce sourçage peuvent être utilisés par l’acheteur, à condition qu’ils n’aient pas pour effet de fausser la concurrence et n’entraînent pas une violation des principes de liberté d’accès à la commande publique, d’égalité de traitement des candidats et de transparence des procédures » ;
  • De responsabiliser davantage acheteurs et prescripteurs sur la nécessité de spécifier des besoins qui ne soient pas déconnectés des offres du marché fournisseur et sur la valeur ajoutée résultant d’un dialogue avec les fournisseurs en amont de la rédaction d’un cahier des charges ;
  • D’élargir la mise en concurrence à de nouveaux entrants en permettant à ces derniers de disposer, en amont d’une consultation, d’informations qui leur permettront de disposer d’un temps suffisant pour adapter si nécessaire leur offre de service, leur organisation (recrutements, investissements,…), et leur stratégie commerciale (recherche de partenariats notamment) dès avant la publication de la consultation ;
  • De prendre davantage en compte les caractéristiques économiques du marché fournisseur pour déterminer la stratégie d’acquisition et la structuration du marché à venir (mono vs multi-attribution, accord-cadre vs. marché ordinaire, niveau d’allotissement, etc.).

Ainsi, si le projet de décret ne rend pas le « sourçage » obligatoire, il est permis de penser qu’il favorisera le développement de cette pratique, indispensable à l’enrichissement du dialogue entre le fournisseur et l’acheteur public et à l’amélioration de la performance de l’achat public. Cependant, pour atteindre ces objectifs, cette évolution réglementaire doit s’accompagner d’indispensables évolutions organisationnelles, humaines et managériales :

  • Mieux allouer les ressources existantes au sein des services achats-marchés qui sont aujourd’hui majoritairement focalisées sur les étapes de passation du marché, au détriment des étapes « stratégiques » préalables à la passation des marchés (« sourcing », travail en binôme avec le prescripteur sur la spécification des besoins, etc.). A cette fin, il est nécessaire de privilégier l’utilisation de vecteurs contractuels « mutualisés » et de mieux corréler le niveau complexité du vecteur contractuel utilisé à son poids économique estimé (logique de « coût complet » de l’acte d’achat) ;
  • Responsabiliser davantage l’acheteur quant aux résultats de la consultation et à la nécessité de limiter drastiquement le recours à la déclaration d’infructuosité, coûteuse pour l’administration comme pour les fournisseurs, en particulier les PME. Ainsi, l’acheteur disposant désormais de la faculté de recourir à une procédure préalable de sourçage, pourra-t-il sans risque recourir à la déclaration d’infructuosité qui, comme le rappelle la DAJ de Bercy, dans sa fiche technique en date de février 2015, « […] suppose une inadéquation totale entre les attentes exprimées par l’acheteur public et l’offre présentée par les candidats » ? La question sera sans doute posée par les entreprises ;
  • Valoriser davantage la fonction d’acheteur, consacrée elle aussi par le projet de décret, dont le rôle est d’apporter au prescripteur une vision stratégique de l’acte d’achat : une connaissance du marché fournisseurs et de ses évolutions, une capacité à « remettre en cause » les besoins du prescripteur au regard des caractéristiques de l’offre fournisseurs (niveau de maturité technologique, etc.), une capacité à proposer des modes de contractualisation adaptés, etc.

Auteur:
Clarisse Lemouton, Senior Manager