Annonceurs et acteurs de l’Ad Tech prennent des options fortes sur le marché publicitaire : quels choix pour les médias traditionnels ?

L’écosystème publicitaire a pris pleine conscience de la domination de Facebook et Google et de son effet sur les éditeurs de contenu traditionnels. Leur croissance s’appuie sur l’automatisation d’un modèle opérationnel, dont les annonceurs perçoivent les effets indésirables.

En conséquence, les acteurs prennent des options fortes : Google et Facebook investissent dans des ressources techniques et humaines pour garantir sécurité et privacy, les annonceurs internalisent des savoir-faire. Pour les éditeurs de contenu, l’heure est également au choix… et à l’action.

L’étude DGMIC/CSA sur la publicité en ligne[1] a permis d’estimer les revenus publicitaires sur Internet par catégorie d’acteurs. Alors que le marché du display a connu une hausse de +20 % entre 2016 et 2017 – notamment portée par le mobile – les acteurs de la presse interrogés ont vu leur part de marché baisser de 3,6 points.

Google et Facebook ont assis leur domination en maniant au moins quatre atouts :

1. La maîtrise des véhicules d’audience et l’apport d’une démarche servicielle.
En captant le contenu produit par d’autres et en multipliant les contacts, ils ont optimisé la collecte de data.

2. L’intégration verticale sur l’ensemble de la chaîne achat/vente.
Dans un modèle de vente gré à gré, sur 100 euros investis, l’éditeur captait environ 85 %. Il peut en espérer 40 % dans un modèle programmatique automatisé, 60 % allant aux intermédiaires (agences comprises).

3. Une stratégie de présence globale.
La proposition de valeur est déclinée par fonction (DSI, DG, Marketing, Achat Média…), et propose un accompagnement auprès des annonceurs. Cette approche locale s’articule d’une stratégie globale sur les Grands Comptes.

4. L’optimisation du cadre réglementaire et fiscal auquel leurs activités sont soumises.
Le niveau est tel qu’il n’y a guère qu’Amazon pour rivaliser frontalement avec les Géants installés, en apportant une donnée intentionniste, et en mesurant l’effet sur les comportements d’achat en ligne d’une exposition publicitaire dans Prime.

Ce modèle opérationnel accélère l’automatisation de la chaîne média : curation de contenu, rencontre en temps réel de l’offre et de la demande publicitaire, exposition du message, mesure de la performance. Mais il a aussi généré des erreurs répétées dans le contexte de diffusion, conduisant les annonceurs à exiger une grande vigilance (brand safety).

L’impact des premières alertes

Les premières alertes largement médiatisées, concomitantes à des mesures erronées, amènent les annonceurs à questionner les fondamentaux de leur activité publicitaire. Ils contestent des pratiques tarifaires peu transparentes, et des indicateurs qu’ils jugent peu cohérents. Les plateformes investissent dans des dispositifs de modération, le marché initie des démarches de labellisation, et l’exigence des annonceurs augmente. Les plus matures internalisent des technologies et des compétences pour adresser directement leurs cibles et renforcer le hors-média (médias propriétaires, marketing direct, event). Certains analystes anticipent une baisse substantielle des dépenses média à horizon 5 ans, et voient chez plusieurs FMCGs des objectifs renforcés de ventes directes.

La réaction des médias traditionnels

Avec leurs économies fragilisées, faisant face à la confiscation du marché publicitaire mobile d’un côté et à « l’OTT des marques » de l’autre, les médias traditionnels doivent rapidement choisir leurs combats, et prendre des orientations stratégiques. S’ils n’ont en rien la capacité financière et technologique pour contrer frontalement les GAFA, les éditeurs de contenus peuvent valoriser un ensemble d’atouts. C’est un triptyque Audience/ Performance/ Influence qu’il va leur falloir manier.

Leurs contenus originaux et les audiences associées forment un premier avantage. L’étude DGMIC/ CSA a montré une faiblesse dans la valorisation des audiences, pas dans leurs structures. Et ce sans que les potentiels de l’IA soient exploités dans la recommandation de contenu. La bataille des interfaces est peut-être perdue, mais pas celle du fond et de la crédibilité. Reste à y garantir l’accès sans partager la valeur ; les performances des grands quotidiens américains sur leur volume de recrutement d’abonnés et sur leur ARPU sont une illustration encourageante. L’effondrement des modèles gratuits, tributaires des variations algorithmiques des Géants et exposés aux adblocks, renforce cette idée, comme le débat public sur les fake news et la protection de la démocratie.

La bataille de la performance publicitaire sera plus rude. Les acteurs traditionnels doivent améliorer leur réponse aux attentes des annonceurs : formats innovants, brand content créatifs, atteinte de cibles spécifiques et objectif de reach. Ils pourront sceller les alliances pour valoriser des environnements protégés et qualitatifs, mettre en commun leurs datas, en simplifier l’exploitation. Les organisations devront évoluer, en renforçant les compétences Data et Innovation, en incarnant la dimension Technologique, et en privilégiant la relation aux annonceurs. L’apport du machine learning dans la construction des offres (configuration / pricing / quotation) doit être urgemment exploré : les solutions existent, elles ne sont simplement pas envisagées, dans des structures qui privilégient les processus artisanaux et portent une dette technologique trop lourde.

Enfin, les acteurs traditionnels sous-estiment leur potentiel d’influence, et manquent de coordination pour faire entendre pleinement leur voix. Pourtant, comme le récent débat sur les Droits Voisins au Parlement européen nous l’a montré, ils ont la capacité de déformer le cadre juridique et réglementaire à leur avantage. Cela nécessite de l’anticipation, de la synchronisation et une présence continue auprès des instances locales et globales. De la même manière, les acteurs traditionnels doivent prendre leur part dans l’éducation du marché sur les efficacités publicitaires pour faire entendre leur différence.

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[1] Etude Médias et publicité en ligne – Transfert de valeur et nouvelles pratiques – Juillet 2018, étude BearingPoint pour DGMIC/CSA

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