« Le football africain au centre du monde » ; voilà ce qu’a annoncé avec enthousiasme Gianni Infantino, lors du « Séminaire sur le développement des compétitions et des infrastructures en Afrique » tenu au Maroc en février dernier.

Selon le numéro un de la Fédération internationale de football (FIFA), il existerait trois axes d’intervention pour projeter le football africain dans l’élite internationale : l’arbitrage, les infrastructures et le développement des compétitions.

En effet, lors de son allocution, le patron du football mondial a fait savoir qu’une professionnalisation des arbitres était nécessaire. L’objectif étant de tutoyer ce qui se fait de mieux sur le continent européen, mais surtout d’éviter des matchs émaillés de décisions controversées, dont la ligue des champions africaine fut à nouveau victime l’année passée. Le 31 mai 2019, lors du match retour de la finale opposant le Wydad Athletic Club de Casablanca à l’Espérance Sportive de Tunis, les marocains avaient effectivement décidé de quitter la pelouse après une heure de jeu, pour protester contre une panne de l’assistance à l'arbitrage vidéo (VAR), convaincus que celle-ci aurait pu valider un but refusé par l'arbitre. Les Tunisiens ont finalement été déclarés vainqueurs après une heure et demie d'interruption marquée par quelques échauffourées, de longues discussions entre dirigeants, et une dégradation considérable de l’image du football africain.

Concernant les infrastructures, Gianni Infantino a également annoncé que « la FIFA versera 1 milliard de dollars pour que chaque pays africain puisse se doter d’un stade de classe internationale », afin de garantir un spectacle de qualité et de meilleures conditions d’expression pour les athlètes. Chaque fédération pourra soumettre son dossier pour bénéficier de cet investissement qui devrait participer à la construction de 54 stades sur le continent.

Par ailleurs, toujours selon le patron de la FIFA, le développement des compétitions africaines est nécessaire pour amener le continent au centre du football mondial. Gianni Infantino a notamment proposé d’organiser une seule Coupe d’Afrique des nations (CAN) tous les quatre ans, au lieu de deux actuellement. « Les passionnés de football en Afrique attendent beaucoup de choses. Il faut savoir qu’on gère leur sentiment et on ne peut pas les décevoir », a-t-il lancé. En diminuant la périodicité de la CAN, la FIFA espère en faire un événement mondial incontournable, à forte rentabilité et qui s’insère mieux dans le calendrier international. Une refonte des autres compétitions a également été annoncée. A cet effet, Gianni Infantino a invité à investir de manière plus globale sur les compétitions féminines, de jeunes et de clubs.

On peut se réjouir de cette ambition de la FIFA de projeter le football africain au sommet ; d’autant que son développement, outre les perspectives économiques évidentes qu’il implique, comprend une dimension politique indéniable qui ouvre le champ des possibles en faveur des libertés individuelles.

D’ailleurs, la CAN est sans doute la plus politique des compétitions internationales. En effet, la Coupe d’Afrique des Nations est née en 1957 de la pression de l’Égypte et du Soudan. Ces derniers menaçaient de quitter la FIFA si l’institution refusait la création de la Confédération africaine de football (CAF). Ils réclamaient égalité et reconnaissance, dans la droite ligne du mouvement des non-alignés.

De plus, les joueurs africains eux-mêmes représentent une influence politique à part entière. En 2005, alors que la Côte d’Ivoire était plongée dans une sérieuse crise politico-militaire, à genoux dans le vestiaire, les Eléphants de Didier Drogba demandaient à la population et aux politiciens de faire taire les armes et de revenir vers l'unité. Mais l’alliance entre footballeurs et politique a véritablement atteint son paroxysme en 2018, quand George Weah, ballon d’or 1995, fut élu président de la République du Libéria.

Et comment adresser la dimension politique du football africain sans rappeler sa caractéristique inhérente ? Des supporters progressistes. Car si la liberté s’exprime dans le continent à travers le football, c’est bien grâce à des populations de supporters influentes aux convictions fortes. En 2011, par exemple, les « ultras » de Al-Ahly et les « White Knights » de Zamalek ont observé une trêve historique pour se mêler aux manifestants de la place Tahrir face aux forces de l'ordre. Inutile de préciser que le régime de Al-Sissi les déteste et les surveille de près. En Algérie, les stades de football servent depuis des années à véhiculer des idées politiques. Les supporters algériens sont d’ailleurs les précurseurs du « Hirak », un mouvement également appelé « révolution du sourire » qui constitue une rébellion pacifique et joyeuse contre le pouvoir en place depuis février 2019.

L’élan donné par la FIFA au football africain est également prometteur puisqu’il s’accompagne d’une réponse aux récurrentes polémiques autour de la corruption, gangrène de ce sport et des fédérations africaines en particulier.

Les propositions de Gianni Infantino viennent effectivement parachever une mission de six mois convenue entre la FIFA et la CAF. En fait, avant l’été 2019, le dirigeant de la Confédération africaine de football avait sollicité l’aide de « la maison mère » afin qu’elle réalise un audit complet de son institution et qu’elle puisse accompagner la Confédération dans l’instauration d’une meilleure gouvernance pour « apporter stabilité, sérénité, professionnalisme et développement effectif du football sur le continent africain ».

Malgré son allégation enthousiaste, appuyée par une dimension socio-économique forte et une volonté d’endiguer la corruption, Gianni Infantino est loin de faire l’unanimité.

Premièrement, si les dirigeants de la CAF ont favorablement accueilli l’idée de mobiliser un milliard de dollars pour construire des enceintes, cette somme semble bien dérisoire pour parvenir à l’objectif d’ériger au moins un stade de haut niveau dans chacun des 54 pays africains. A titre d’exemple, le seul stade Paul Biya, prévu au Cameroun en vue de la Coupe d’Afrique des Nations 2021, va coûter 217 milliards de FCFA, soit plus de 360 millions de dollars. De plus, de larges doutes planent sur l’annonce de la possibilité de multiplier par six la rentabilité de la CAN par le seul fait de l’organiser tous les quatre ans.

Par ailleurs, la crédibilité de la FIFA a largement été ternie depuis le « FIFAgate ». Pour rappel, cette enquête portait sur des soupçons de corruption au sein de la Fédération internationale de football et avait notamment entrainé en 2015 la suspension de toutes activités footballistiques pour une durée de 8 ans à deux membres éminents du comité exécutif de la Fédération : Michel Platini, président de l'UEFA, et Sepp Blatter, président de la FIFA. Loretta Lynch, la ministre de la Justice américaine qui avait supervisé l’affaire et dévoilé l’acte d’accusation contre les hauts responsables de la FIFA, avait alors affirmé que l’organisation connaissait une corruption « rampante, systémique et profondément ancrée ». Cinq ans plus tard, les erreurs passées ne semblent pas effacées de la mémoire collective et les leçons de gouvernance données aux dirigeants du football africain sont parfois reçues avec une profonde dubitation.

Aujourd’hui, personne ne peut mettre en doute le développement du football en Afrique. Premier sport pratiqué sur le continent, il est un levier majeur d’émancipation et de valorisation des Africains ; en ligne avec les objectifs de développement durable de l’ONU, qui mettent en avant le sport comme un facteur de paix, d’éducation, de santé et d’inclusion sociale. En plus des efforts de la FIFA, l’Afrique a vu naître des projets d’acteurs locaux, comme l’Académie Génération Foot de Mady Touré, fondée au Sénégal en 2000 et qui œuvre à la fois pour le développement de la pratique de masse et pour la professionnalisation des talents.

Néanmoins, la prédiction du roi Pelé n’a jamais eu aussi puissant écho. Lors du siècle dernier, le triple champion du monde avait effectivement déclaré qu’une équipe africaine gagnerait la Coupe du monde avant l’an 2000. 20 ans plus tard, le constat est clair : aucune d’entre elles n’a soulevé le plus prestigieux des trophées du ballon rond. Le souhait exprimé par Gianni Infantino de projeter le football africain dans l’élite mondiale aura-t-il plus de réussite ? L’Afrique arrivera-t-elle enfin à atteindre la renommée footballistique qu’elle mérite ? Affaire à suivre.

 

Auteur : Grégoire Petit, Consultant au sein de l'équipe Afrique et Développement International chez BearingPoint