Des spécificités comptables indéniables mais des enjeux partagés avec le secteur privé

Les comptabilités des entreprises et des organismes publics diffèrent sensiblement. Les principales divergences portent sur les modes d’enregistrement, la forme des documents et les principes d’évaluation. En effet, contrairement à la comptabilité privée qui prend en charge l’ensemble des acteurs économiques, la comptabilité publique détermine les recettes et dépenses de l’Etat.

Elle se caractérise ainsi par la séparation entre les ordonnateurs et les comptables qui sont les seuls acteurs habilités à détenir et à manier les fonds publics.

Depuis quelques années, l’environnement comptable des organismes publics a connu de nombreuses évolutions. L’administration s’est véritablement inscrite dans une démarche de transparence afin de mettre à disposition des acteurs externes (citoyens, entreprises, marchés financiers…) une information comptable fiable et sincère reflétant l’image fidèle de sa situation patrimoniale et financière. Cette amélioration continue de la qualité comptable s’inscrit dans une dynamique de raccourcissement des délais de clôture et de profondes mutations des systèmes d’informations, des processus et métiers comptables. Ces nouvelles règles édictées par le décret relatif à la gestion budgétaire et comptable (GBCP) qui vient remplacer le décret du 29 décembre 1962 portant sur le Règlement Général sur la Comptabilité Publique, représentent de véritables enjeux pour les services de l’Etat. D’ailleurs, la LOLF[1] rappelle, dans son article 27, « […] la nécessité d’une véritable comptabilité en droits constatés, permettant la production d’états financiers certifiés par la Cour des comptes ».

De plus, les principes comptables applicables à la comptabilité des organismes publics ont tendance, depuis plusieurs années, à se rapprocher des principes de la comptabilité des entreprises. Ainsi, les trois standards de référence pour la définition du cadre conceptuel des normes comptables de l’état sont en phase de convergence :

-          Le plan comptable général et les règlements CRC en vigueur en France ;

-          Le référentiel élaboré par le comité secteur public de l’IFAC ;

-          Le référentiel de l’IASB.

Après la définition du cadre de la comptabilité de l’Etat et la mise en œuvre de systèmes d’information permettant la tenue de cette comptabilité (système Chorus notamment…), l’Etat semble devoir maintenant s’orienter vers une gestion plus fluide et optimisée de ses processus, et notamment de ses processus de clôture des comptes annuels, très consommateurs en ressources et temps sur une période de plusieurs mois.

Un double enjeu s’impose ainsi pour l’optimisation des processus de clôture annuelle, à savoir :

-          L’accélération de la mise à disposition d’une information financière fiable afin de faciliter le pilotage financier et budgétaire ;

-          La modernisation et l’amélioration de la performance de la fonction comptable.

Dès lors, est-il possible d’appliquer au secteur public les principes qui ont permis d’accélérer les processus de clôture dans les entreprises privées, et de mettre à disposition des différentes parties prenantes des informations fiables dans un délai contraint ?

 

Comment accélérer et fluidifier les processus de clôture dans le secteur public ?

La période de clôture comptable est particulièrement sensible dans les organismes publics. En effet, elle se caractérise par la réalisation d’opérations ponctuelles dans des délais contraints et suppose une réelle mobilisation de l’agent comptable dans une indispensable collaboration avec les différents services gestionnaires de l’organisation.

Les principaux enjeux qui découlent de cette période portent sur la nécessité de répondre aux exigences comptables de régularité et de sincérité ainsi que sur le correct rattachement des charges et des produits à l’exercice :

-          La comptabilité générale : un outil d’aide à la gestion

Afin qu’ils soient utiles et exploitables, les comptes comptables doivent non seulement refléter l’image fidèle de l’entité mais également respecter le calendrier de décision en matière de gestion. De cet enjeu, l’accélération de la production des comptes apparaît comme étant une condition indispensable aux gestionnaires dans leurs prises de décisions.

-          Le respect du principe d’annualité

Le rattachement des charges et produits à l’exercice est l’un des principes comptables que tout établissement, privé ou public, se doit de respecter. Il permet d’avoir une vision exhaustive de la situation patrimoniale de l’entité et permet d’établir des comparaisons avec les exercices antérieurs.

Outre ces deux enjeux communs à tout type d’entité, les administrations publiques sont tenues de respecter le calendrier imposé par la Cour des comptes. Ainsi, elles doivent avoir achevé leurs opérations d’inventaire de manière à pouvoir transmettre leurs comptes dans des délais compatibles avec le calendrier d’établissement des comptes de l’Etat. Cependant, les organisations publiques rencontrent un certain nombre de difficultés pour réaliser leurs opérations de clôture et atteindre leurs objectifs, tant sur la qualité de l’information que sur le respect des délais.

Les problèmes généralement rencontrés par ces administrations peuvent être synthétisés en quatre grands thèmes :

 

 

 

 

 

 

Afin de faire face aux nouvelles contraintes réglementaires et optimiser leur processus de clôture comptable, les organisations publiques disposent de plusieurs leviers, dont nous détaillons les caractéristiques ci-dessous :

 

 

 

 

 

-          Un pilotage efficace des opérations de clôture

Un pilotage efficace doit notamment prévoir une phase préalable de préparation et d’organisation. Cette phase a pour rôle principal de définir des objectifs en termes de délais et de qualité. Elle impose également de réviser les procédures internes et d’engager une réflexion globale sur les modalités d’organisation des procédures d’inventaire. L’ensemble des parties prenantes doivent être sensibilisées et formées pour participer aux opérations de fin de gestion. Une fois l’équipe de travail constituée et le chef de projet désigné, il convient d’élaborer un planning de clôture et d’attribuer les responsabilités à l’équipe projet. La fin de gestion requiert une étroite collaboration entre l’agent comptable, les ordonnateurs ainsi que le service en charge de piloter les travaux de clôture.

-          Un dispositif d’amélioration continue des processus de gestion comptable et budgétaire

à expiration en fin d’exercice avec des engagements juridiques non soldés, clôture des demandes de paiement, nettoyage des pièces budgétaires…). Ces retours d’expériences garantissent également une meilleure visibilité et une réallocation du temps sur les tâches à plus forte valeur ajoutée au profit de l’information financière produite.

-          L’efficience des systèmes d’information

Le rôle des systèmes d’information est crucial pour garantir une clôture comptable efficace. Il s’agit d’exploiter au mieux leur potentiel et d’automatiser le plus grand nombre de tâches. Des restitutions peuvent également être envisagées pour accélérer l’obtention des données nécessaires aux comptables et aux ordonnateurs.

-          Anticipation et mise en place de phases intermédiaires avant la clôture

Cet axe d’amélioration peut être envisagé dans le secteur public, sur le modèle de ce qui est déjà réalisé dans le secteur privé, en tenant compte néanmoins des spécificités du public.

Le schéma ci-dessous présente les différentes possibilités d’arrêtés intermédiaires :

Arrêté intermédiaire : il s’agit d’un arrêté complet dont le périmètre peut être réduit à certains postes sensibles comme les provisions. Dans le cas particulier de la pré-clôture au 30 novembre pour une clôture annuelle au 31 décembre, seules les opérations de décembre feront l’objet de travaux de clôture approfondis au 31 décembre.

Hard close : il consiste à clôturer définitivement certains comptes au 30 novembre en ayant anticipé les données de décembre. Il peut également porter, au sein d’un groupe, sur des entités non significatives ou dont l’activité de décembre peut être facilement estimée.

L’objectif de la mise en œuvre d’arrêtés périodiques (mensuels ou trimestriels) est notamment de capitaliser sur les opérations réalisées, afin de réduire les durées d’un certain nombre d’opérations récurrentes, le facteur clé de succès étant de garantir un effet d’expérience et d’apprentissage. Afin d’optimiser la mise en place de clôtures intermédiaires, il convient d’établir une matrice identifiant les points de contrôle pour chaque processus. Cette matrice aura vocation à évoluer au fil des retours d’expérience effectués.

 

En conclusion, le processus de clôture est souvent vécu comme une contrainte lourde par les acteurs du secteur public, qui considèrent qu’ils y consacrent un temps beaucoup trop important. L’objectif de ce processus est bien de fournir des éléments fiables, nécessaires au pilotage de l’administration. Il se doit donc, dans la mesure du possible, d’être agile et de permettre la production des informations dans un délai raisonnable.

L’application au secteur public de certaines des bonnes pratiques du secteur privé pourrait aider à atteindre cet objectif.

Sans aller jusqu’à la mise en œuvre de hard close, quasiment inapplicable en environnement public, en raison des opérations budgétaires nombreuses en décembre, l’intégration d’une dose d’arrêtés intermédiaires, sur des sujets clés (flux sur les stocks et les immobilisations par exemple) permettrait de fluidifier et d’accélérer les opérations de fin d’année. Dans un deuxième temps, un travail en profondeur sur les processus et le pilotage de ces opérations dans chacune des administrations viserait à identifier les principaux points de blocage et les améliorations qui pourraient être mises en œuvre.

Imaginer le fast close dans le secteur public, une utopie ? Non, un roman d’anticipation !

Auteurs : Ludovic Leclerc, Lamia Benbouzid