La gamification fait partie de ces nouveaux concepts à la mode, qui donnent lieu à des livres entiers dédiés au sujet et même à la naissance d’entreprises spécialisées en gamification. Mais finalement, que met-on derrière ce néologisme anglicisant ?

La gamification (ou ludification en français) est, selon Wikipedia,  le transfert des mécanismes du jeu dans d’autres domaines, en particulier des sites web, des situations d’apprentissage, des situations de travail ou des réseaux sociaux. Son objet est d’augmenter l’acceptabilité et l’usage de ces applications en s’appuyant sur la prédisposition humaine au jeu.  Cette technique permet d’obtenir des personnes, des comportements que l’on pourrait considérer sans intérêt ou que l’on ne voudrait ordinairement pas faire : remplir un questionnaire, acheter un produit, regarder des publicités ou assimiler des informations.

 L’utilisation du jeu dans l’apprentissage, n’est pas nouveau en tant que tel, il est utilisé depuis notre plus tendre enfance pour susciter l’attention et développer nos capacités intellectuelles et motrices ; de même qu’en entreprise, le jeu concours ne date pas d’hier. Ce qui change c’est la généralisation et l’extension du concept, rendu possible par le web et les applications sur mobile.

 Ce concept est aujourd’hui en plein essor, et présente un vrai potentiel de développement : selon le Gartner Group, 70% des grands Groupes l’utiliseront d’ici 2015. Avec 500 millions de joueurs dans le monde – dont 13 millions en France qui jouent sur leur mobile dans les transports en commun, la gamification est devenue incontournable. Même parmi les cadres supérieurs, d’après XP Games, ils sont 61% à s’accorder des pauses jeu au travail !

Les principaux usages actuels de la gamification

 

 Plusieurs domaines d’application de la gamification sont connus et répandus depuis plusieurs années : la formation et l’apprentissage au travers des quiz, e-learning et serious games. D’autres usages dans le domaine du Marketing et de la Vente, ont également fait leurs preuves, par l’utilisation de jeux aidant à la conquête ou à la fidélisation de clients. Le système de « miles » -offrant des points aux clients qui « consomment », et leur permettent d’atteindre un nouveau statut et de bénéficier ainsi d’avantages –  bien connu des compagnies aériennes qui l’utilisent depuis de nombreuses années, est toujours en vogue puisqu’il s’est largement étendu jusqu’à la téléphonie ou aux enseignes de vêtement. Cet exemple montre que le concept du jeu auprès des clients peut être un outil marketing efficace.

 Globalement, tous ces usages sont classables en six types de jeu, selon Gabe ZICHERMANN  et Joselin LINDER dans leur livre « The gamification revolution » :

  • le grand défi, très publicisé, qui récompense les gagnants (par un haut classement, un privilège, un lot ou encore un chèque)
  • le « rapide Feedback system », qui donne un feedback immédiat aux joueurs, suite à leur action (grâce à ce retour, chaque joueur connaît ses points forts, et apprend comment s’améliorer et passer à l’étape suivante)
  • la découverte du produit par la simulation, qui informe et instruit les utilisateurs (par une démonstration impliquant directement le joueur)
  • le marathon de statuts, qui offre un statut différent selon le nombre de points cumulés  (dont l’exemple le plus connu est le système de « miles ») 
  • la négociation commerciale, qui plonge le joueur dans une situation économique proche de la réalité (comme le jeu Monopoly, repris par plusieurs marques)
  • l’expression, qui offre aux utilisateurs, la possibilité de s’exprimer librement (pour apporter ses idées ou communiquer son niveau de satisfaction)

La santé, un secteur à la pointe de la gamification

 

 On constate actuellement un boom de la gamification dans le domaine de la santé.

 Le jeu en ligne est utilisé à la fois pour :

  • la formation du personnel de la santé,
  • la prévention de tous,
  • la formation des patients, voire un soin.

 En voici quelques exemples :

 Un projet de plateforme de simulation appelé « 3D Virtual Operating Room »  est aujourd’hui en cours de développement. Il a pour objectif de mettre à disposition des professionnels du bloc opératoire, un outil de formation 3D en ligne, capable de les entrainer à la gestion des risques, et aux diverses interventions depuis l’entrée d’un patient au bloc, jusqu’à sa sortie.  Selon le Centre universitaire Jean-François Champollion, cet outil pourrait même « être révélateur d’impact de décisions individuelles ou collectives pour l’équipe du bloc opératoire. »

 De son côté, la Croix-Rouge, a détourné le jeu vidéo GTA afin de créer un jeu de prévention « Licence to Heal »,  permettant de rappeler aux gamers, les gestes des premiers secours dans le cas d’accident de la route. Les fans de GTA retrouvent ainsi les décors, le vocabulaire et les « codes » du jeu, dans cette application de prévention, utile pour sauver des vies.

Enfin, la start-up Auticiel propose elle-aussi des applications de gaming, pour les enfants touchés par l’autisme : apprendre les règles de sécurité, en s’amusant, au travers d’exercices concrets et pratiques. Grâce à ce système de jeu virtuel, l’enfant évite le contact direct avec autrui, et peut néanmoins apprendre et connaître les règles essentielles dans la vie en société, comme l’usage des passages piétons sur une route.

 Le secteur de la santé se place ainsi comme un « domaine précurseur » de la nouvelle vague de gamification, mêlant les dernières technologies et innovations de pointe, aux divers mécanismes de jeu. Un secteur à surveiller de près pour s’inspirer des dernières tendances …

 La gamification : allié RH  pour rallier et motiver ses troupes?

 

 Du côté des RH et au-delà de la formation (cf précédents articles sur les MOOCs et le blended learning), ce sont principalement l’image de marque et le recrutement qui profitent de la gamification

 L’Oréal avait lancé en 2010 « Reveal by L’Oréal », un jeu en ligne permettant de recruter des stagiaires à travers le monde. Les étudiants du monde entier se connectent sur le site, et peuvent ainsi découvrir les métiers du Groupe, se tester et se mettre en situation.

 Pour mieux toucher la jeune génération, et recruter ses stagiaires, le cabinet d’audit KPMG, accompagné de Penna Plc, a lancé un challenge en ligne : «80 Days : Race The World», qui offre au gagnant un stage au sein du cabinet, ainsi qu’un bon de voyage (d’une valeur de 1000 £).

Pour les candidats, l’objectif est quadruple :

  • réussir 10 défis, en lien avec les missions du stage,
  • faire le tour du monde,
  • passer l’équateur,
  • réaliser le tout en un temps record.

Au travers de ce jeu, KPMG peut alors tester ses candidats, et sélectionner les meilleurs Talents qui feront preuve de curiosité, d’aptitude à l’innovation, mais aussi d’avoir une vision globale et un esprit d’équipe. Une bonne réussite pour ce cabinet, qui a pu à la fois élever la compétition depuis le lancement du jeu, et à la fois s’implanter de manière originale sur les médias sociaux, offrant à la génération connectée, la possibilité de coopérer avec d’autres joueurs sur Twitter, et de partager diverses informations.

Récemment, Mc Donalds a mis en ligne son jeu « World of Good » dont l’objectif est d’améliorer chez ses collaborateurs, leur connaissance autour de la marque Mc Donalds, et leur compréhension de la stratégie du Groupe. Ainsi, au travers de ce jeu, les employés sont encouragés à en apprendre d’avantage sur leur entreprise, et à devenir des ambassadeurs de la marque, fiers de porter les « couleurs » de Mc Donalds. Les plus impliqués dans cette démarche, sont reconnus et récompensés. Afin de proposer aux collaborateurs des informations actualisées, et de maintenir leur motivation et envie de jouer, le jeu est mis à jour tous les 3 mois. Le jeu compte plus de 11.000 inscrits, issus de 40 pays différents. Un vrai succès !

D’autres terrains de jeux RH ?

 

Mc Donalds, et d’autres, comme Bouygues Telecom, utilisent déjà le jeu pour le confort de leurs collaborateurs : faciliter l’intégration du nouvel arrivant, développer l’esprit d’entraide et d’équipe, renforcer les connaissances de l’entreprise de chaque employé, recruter des candidats, rendre les formations plus ludiques, etc.

A l’heure où le DRH doit fidéliser ses employés, devenus des « clients internes » de leur employeur, il est important que les tâches RH à réaliser lors de son intégration et tout au long de sa vie dans l’entreprise ne soient pas perçues comme trop longues ou contraignantes ! Un nouvel entrant sera sans doute directement plus séduit par un processus d’intégration présenté sous forme d’un jeu, de type chasse au trésor, plutôt qu’une liste imprimée sur une feuille A4. L’occasion de faire une première bonne impression auprès des jeunes générations.

D’autres processus RH pourraient être « gamifiés» tels que le processus d’évaluation, de demande de congés, ou de réponses aux questionnaires de satisfaction interne. Créer la rupture avec le côté parfois rébarbatif des procédures RH, permettrait ainsi de booster les taux de participation et de renforcer le respect des délais demandés par les Directions. Les entreprises peuvent alors s’inscrire dans le mouvement de gamification, pour leurs employés et plus uniquement pour leurs candidats ou clients.

Une autre opportunité s’offre également aux entreprises : intégrer leurs actions de RSE sous forme de jeu, afin de mobiliser un maximum de collaborateurs. En effet, en réalisant des campagnes ponctuelles sous forme de jeu virtuel (via une application web par exemple) ou par un jeu physique (dans l’espace café par exemple), les employés seront naturellement intrigués, et curieux de découvrir un nouveau jeu.  

Attention cependant aux limites de l’exercice ! Vouloir tout transformer en jeu est non seulement illusoire mais peut être contre-productif. L’utilisation du jeu doit être faite de manière pertinente, par exemple le challenge entre équipes ou individus crée une saine émulation dans certains contextes, par exemple dans les départements commerciaux, à l’inverse il peut créer un esprit de compétition et individualiste qui divise les équipes. Si on tombe dans l’excès, on peut même imaginer que certains salariés ne feront pas certaines activités si ce n’est pas ludique ou s’il n’y a pas une récompense à la clef, rentrant ainsi dans un cercle uniquement de donnant-donnant voire de mercenariat.

Pour conclure, la gamification est un outil intéressant pour peu que l’on s’en serve à bon escient, et constitue une belle opportunité pour les DRHs  d’accompagner le changement, d’entrainer une rupture comportementale au sein de leur organisation, et de susciter l’adhésion des collaborateurs. Un mouvement à suivre donc, mais toujours avec discernement.

Contact: Olivier Parent du Chatelet, Associé